Ludovic Hary | Camembert Roi
Hexagone, vous avez dit Hexagone : pays à l’histoire mouvementée, nation ingouvernable, dit-on, tiraillée entre verticalité et horizontalité, entre le désir d’avoir un Roi à sa tête et celui, par passion égalitaire, de lui ôter la tête. Serait-ce là l’inconscient politique hexagonal ? C’est lui, entre autres choses, que cette trilogie voudrait poétiquement raconter.
Le texte qui va suivre est extrait du volume intitulé Le retour de la voix, deuxième de la trilogie Bientôt rois, dont le premier, Les fuites de Greg Men, est paru chez Unicité le 10 mars 2020 : Greg Men veut devenir Roi de l’Hexagone, mais Benjamin Spielsohn, un ancien camarade, aspire à l’être aussi. Une lutte alors s’engage entre eux. Le dernier volume nous la détaillera...
Camembert Roi
Un régime de bananes monte au ciel, l’éclaboussant de photons. Des centaines de personnes s’extasient de l’effet retard, leurs pupilles dilatées par la gerbe de lumière qu’escorte en boucle des ho oh. L’applaudissement arrive quand les bananes s’effacent sur des détonations nettes, clignotantes, le ciel se poudrant de vestiges jaunes. Là haut gisent les ex-fruits. Des peignes bleus labourent la campagne, des lustres secoués s’ébrouent, lâchent leurs perles, ravissent les enfants et les grands. Des grains de blé, des retombées concombre, des pointes de photons elles-mêmes diffractées en petites têtes d’épingles crayonnant le soir, un assaut faisant la foule enfantine, quel que soit son âge. Des tirs de Défense Contre Avions pour rire, l’œil voit l’horizon poinçonné de
rouge poivron
à lèvres
les dreadlocks du cosmos, le ciel rastafari !
Et qui finissent en poudre marron jaune
des fusées à l’oblique un p’tit tour
et puis s’en va,,,,,,
une framboise solitaire,
le ciel est un boum boum !
palimpseste qui prendra d’autres coloris. Jets d’eau sur fond bleu, des hippocampes jetant leur silhouette sur la nuit. Les États Généraux de la Surprise, ce soir, se réunissent là, dans ce feu d’artifice que donne Benjamin Spielsohn pour ses amis et ses collaborateurs, en vue de former un jour le gouvernement de l’Hexagone. Il a mis le paquet en détonations et couleurs. Un perroquet vole dans les parages. Des grains de blé, des retombées concombre, des pointes de photons elles-mêmes diffractées en petites têtes d’épingles crayonnant le soir, un assaut d’échelle faisant la foule enfantine, quel que soit son âge.
La robe du ciel est noire depuis quelques secondes. Le feu d’artifice semble terminé. Le public, fleuriste averti, n’applaudit pas, n’ayant pas encore aperçu le bouquet final. Soudain, des éventails jaunes coiffent la colline d’où est tirée le feu. Deux mannes symétriques, jumelles et espiègles, pourvoient chaque œil spectateur en kaléidoscopes ocres. Les premiers caramels du monde. Du marron étonné de s’être échauffé sans perdre sa teinte. Un obus vermillon part maintenant haut, jaloux de toutes ces couleurs qui, depuis des dizaines de minutes, viennent d’œuvrer avant lui, mais le rouge s’affole, perd sa primauté. Tout le spectre arc-en-ciel suit en diadème et fait, par un effet stroboscopique, trembler les façades alentour.
L’Hexagone est a réinventer.
Des étoiles jaunes, joyeuses et flanquées d’une traîne, grimpent à la verticale, serpentent légèrement en fin de course, tournesols de nuit, le feu d’artifice n’était donc pas terminé. La foule hurle son enthousiasme en frappant des mains. Et quand les bouquets émeraude, grenat, citron, aubergine, enfin fusionnent les uns dans les autres, ils forment un paon multicolore, hybride, royal, et qui finalement fait la roue ! Ces bouquets lumineux, ces dreadlocks texture blé, l’épi bien mûr, ces cœurs et rosaces, ces cris de joie et de presque tachycardie tambourinent tous à l’unisson voulu par Benjamin Spielsohn, le maître de cérémonie.
Le feu d’artifice est fini. Les convives s’approchent du buffet éclairé par des bougies. Les tables à tréteaux s’allongent sur trente mètres. Posées sur elles, des bougeoirs à n branches. La flamme de chaque bougie part vers le ciel, maintenant noir. La nuit est vraiment tombée. Une aura citron baigne les victuailles, estompe la limite entre sucré et salé, seules les papilles gustatives diront. Des taboulés verts, au persil, des taboulés jaunes, à la graine de couscous, agrémentés de merguez, ouvrent la suite des entrées. Olives noires s’offrent, pyramidales et à l’ail, dans des ramequins de verre. Les tables sont drapées de blanc, et les bouteilles posées dessus comme les mâts d’un yacht. Ramequins de chips incurvées comme les pétales de jeunes roses en fleurs. Poulets rôtis aux ailes abaissées vers le plat par un couteau qui s’y connaît, ayant tiré sur le blanc, dont l’élasticité saille dans une lyre de filaments et de fibres, de part et d’autre de la bête. Soufflés brocolis, craquelés de plis jurassiques. En fusent quelques bulles chaudes, mouvantes, un manteau tectonique. Truites saumonées flanquées de poivrons jaunes, de bouquets persil, les derniers arbustes qu’elles verront de leur pupille mourante. Il y a des cakes aux tulipes confites, fichées dans la nef même de la pâtisserie, des mousses chocolat bruissantes à la cuillère, qui se tasseront sur elle dans un chuintement, les molécules rentrant leurs épaules tandis qu’une fois dans la bouche, elles reprendront leur volume. Un fromage de deux mètres de diamètre se tient isolé sur une table ronde. Les bougies font trembler sa croûte dans la nuit noire, fêtant le Camembert d’une aura majestueuse.
L’enfoiré, soupire Greg Men, Benjamin Spielsohn lui aussi veut devenir Roi de l’Hexagone.