Noë lle Mathis | Je parle pas la langue 2/3



Au départ, il n’y a rien.


Il y a le vide. Die Leere. Il y a de l’air. Luft. Il y a des trous. Ein Loch. Mehrere Löcher. Au départ, on ne sait pas pourquoi on y va. Pourquoi ein Loch. Pourquoi un trou ? A hole in the wall. Un trou dans la paroi du ventre. Un trou dans le vide. On questionne le vide de la langue et le trou laissé quand la langue se vide. On évite d’en parler. On évite de faire cas du hole de la langue, du Loch des mots qui tombent. On ne sait pas ce qu’ils veulent dire et pourquoi ils tombent et pourquoi ils sont vides.


Au départ, il n’y a rien.


Il y a du vide. Il y a de l’air. Au départ, on ne sait pas pourquoi on y va. Pourquoi on y est alors qu’on pourrait être ailleurs de tellement plus lumineux, tellement plus léger, tellement plus insouciant.


Au départ, c’est impalpable. Le vide, c’est du rien. Ça glisse entre les doigts. Ça ne s’arrête sur rien. Ça coule. Ça s’écoule. Et puis, le vide s’écroule. Il y a des fils. Il y a des enchevêtrements. Il y a des nœuds. Il y a la négation. Il y a la langue d’avant les mots. Il y a la mère qui lit sous les draps avec la langue de poche. Il y a la langue qui plisse. Qui substitue lampe àlangue.


Quand je glisse sous les draps. Quand je mets la main dans la poche, je ne trouve pas de langue. Dans la poche, je pioche du rien. Je reproche le vide. Je m’approche des fibres du tissu. Un fil àl’endroit, l’autre àl’envers. La poche est ronde. Coupée en deux. J’y mets la main froide et parfois un mouchoir àétouffer la voix.

Ne pas avoir la langue dans sa poche tient alors du paradoxe. Pour parler librement, il faut une langue. Or dans la poche pas de langue. Ni français. Ni allemand. Ni aucune autre. Ne pas saisir ce qui cloche.

Je mets la main dans la poche. Ensuite, j’oublie qu’il y a une poche. Je ne sais pas ce qu’il y a derrière le proche. Je ne sais pas ce que je pioche et pourquoi la langue de poche. Et pourquoi le mouchoir sur la langue. Et la lampe dans la poche du sombre.

Il y a des murs. Je ne sais pas s’il y a des murs.


Cela ne bouche pas. Cela ne bronche pas. C’est dans la cave, alors il y a des murs et des poutres. Et s’il y a des poutres alors il y a du plancher. Il y a un escalier, il y a des marches et des dimanches. Il y a d’immenses ombres et je ne sais pas si la porte s’ouvre et si les portes s’ouvrent quand on est né dans la cave de sa maison.

Le mur, c’est la chute. Le mur, c’est la langue de poche.


Lorsque les frontières s’imposent. Lorsque les langues imposent. Lorsqu’on passe d’une langue àl’autre. La domination des puissances coloniales. Les croches chutent. Lorsque les lignes bougent. Les croches glissent. Elle chute la langue. Elle chuinte accrochée aux fils des coutures. Dans les coulures de sons.


Je mets la main dans la poche. Je couvre le vide et le froid. Les croches décochées de leur lignée. Si peu sà»res d’exister, àpeine ébauchées. La main dans la poche. On est proche de la main sur la bouche.


C’est une langue de poche. La lampe sous les draps nécessaire. Tant on n’y voit guère.


C’est une langue de proche. Tant de reproches àla langue d’avant les mots qui ressemble trop au boche. Trop de boche dans le proche de la langue. Trop de boche, c’est moche pour la langue dans la poche. Le mouchoir serre fort pour qu’elle ne déborde aux coutures. On presse fort. Que le boche de la langue meure. Que la bouche se mure. Et le boche s’est tu. C’est au mouroir qu’on retrouve la langue.

Je mets la main dans la poche. C’est chaud une poche. C’est du dedans. C’est recouvert de tissus. C’est une maison une poche. Pour des doigts. Pour des ongles. Pour des lignes de la main. C’est grand une poche. Ça possède une entrée, un couloir sans fenêtres, une pièce sombre protégée, un fond de cave et parfois une porte de sortie d’où tout s’écroule.

On ne nie pas une langue de poche.

On y va avec une lampe de poche.

On affectionne une langue de proche. Les fils et les coutures. Les espaces entre les fils et le tissu. Les espaces tout décousus, tout lâches et tout défaits. Les espaces tout propices àlâcher ce qui tient et ce qui ne tient plus. Et ce qui se fait. Et ce qui a tenu au fond de la cave.

Ce qu’on sait coule. Ne reste que ce qu’on ne sait pas. Et parce que c’est lourd, et parce qu’on sait ce qui s’est écoulé. Ce qu’on ne sait pas, on le sait maintenant, présent, tout resserré entre les fils de la poche, tout plein de nids d’oiseau. Tout inutile àdire tant le temps a passé. On a grandi, mais le temps n’y peut rien. L’espace a guéri et les plumes sont restées.


Et le frère et la sœur. Leur langue de proche obscure.
Ils demandent : « que sais-tu de la langue de proche ?  »
Ils demandent : « comment fait-on pour pardonner ?  »
Ils demandent : « comment fait-on pour vivre le vide et les fils qu’on n’a pas tissés ?  »

4 juillet 2022
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