Sylvain Jamet | Six chutes de la lumière
Photographie : Azzedine Allaoui
Le vent faisait trembler un point dans la nuit
Les choses, forcément, bougeaient. À cette distance
c’était comme voir la mer – dans le lent, dans le loin
dans le sombre
Il descend de voiture – la portière claque – allume
une cigarette, s’avance. Un point rouge dans le lent
dans le sombre
La fille debout dans le loin
Dans le feuillage quelque chose bouge, remue
dans l’indéterminé
Dans les branches une porte s’ouvre
grande ouverte
dans le sombre
D’heure en heure il fuyait le vide de la pièce
Plus tard
le téléphone sonna
et sonna.
De l’autre côté la voix commença à se tordre
puis finalement se rompit
un fil gelé après l’autre.
Qui êtes-vous restait une question possible
chacun cherchant son équilibre à l’autre bout du fil.
En raccrochant, il se souvint d’un silence semblable
tout saturé d’attente –
un léger déclic précédant la venue de l’hiver
la première feuille tombée contenant les suivantes
les milliers d’autres chutes
ou n’importe quelle autre saison.
Il y a une fable de la lumière ,
pense-t-il
– la lumière née
juste après le langage
et née du langage
– « que la lumière soit »
dit la voix dans le noir
et le monde soudain se chargea de couleurs
c’était
il y a des années
quand nous allions nus et qu’aucune lueur
n’accrochait encore le soir les fenêtres
du palais des Conventions
Lorsqu’une planète s’allume, le ciel autour s’assombrit
Le rayon pouvait toucher un objet
puis un autre
et enfin atteignait son visage
et ne se trouvait nullement changé
quand ses traits à lui devenaient différents
chargés du poids de tout
ce que la lumière avait vu
Il y avait un discours que nous comprenions mal
Cela
impliquait de se taire
et d’écouter s’élever dans
le silence autour
des voix plus basses que les nôtres
l’arbre
noir parlant à voix plus basse
l’antéfixe
la mangeoire
des oiseaux suspendue
à sa branche
se balançant
un vent discret
ou nos propres dérives
la fin du jour
ou le caddie dans l’entrée
de l’hypermarché brillant
de tous ses chromes
Un reste de lumière qui le tenait encore debout
On reconnaît généralement un changement à sa marche
les signes de sa venue prochaine
comme l’époque
le bruit de ses pas dans l’escalier
l’accroissement des jaunes dans le square
un premier gel
le frisson dans l’air quand la nuit s’avance
le bruit – presque rien –
qu’elle fait lorsqu’elle tombe.
Parfois aussi l’événement passe
et le signe s’attarde –
sur la pelouse, un reste de rosée
dans le cou, une rougeur –
une année de plus.