Une lecture critique d’ "A la surface de l’été" de Laurence Werner David, par Etienne Achille.

David Hochney, La plage de Santa Monica près des montagnes, 1990

Ce triptyque romanesque est articulé autour du thème de la perte affective et présenté à travers le récit du quotidien de ceux qui sont restés derrière, ceux qui ont été expulsés de leur propre histoire suite au départ de l’être aimé. D’Antoine et son ami Martin dans Derrière la montagne à Paul et son fils Silvère dans À la surface de l’été, en passant par l’officier instructeur de Saint-Cyr à la retraite dans Éclats de fuite, les existences des personnages masculins explorées par l’auteure sont ainsi toutes marquées par “l’impénétrable vide” faisant suite à la séparation brutale, qu’elle soit amoureuse, amicale ou familiale. Dans ces trois récits, ce sont en effet les hommes qui sont au cœur d’histoires se rejoignant également dans la réflexion qu’elles proposent sur la figure du père dont les différentes facettes sont brillamment exposées dans toutes leurs complexités et contradictions. L’esthétique du texte de Laurence Werner David est remarquable, notamment dans le second récit, Éclats de fuite, avec sa narration à la seconde personne et l’utilisation de procédés qui mélangent le réalisme et le romanesque. Nous remarquerons surtout le travail d’écriture qui parvient à retranscrire l’angoisse et le malaise permanents de ces hommes qui depuis le jour fatidique n’ont “cessé de regarder [leur] vie de l’arrière” et, pour survivre et oublier, s’obligent à bâtir un quotidien répétitif et anesthésiant. L’auteure s’attache en particulier à faire ressentir l’incapacité des personnages à surmonter l’indifférence ou l’absence de regrets de la personne partie, chose intolérable, après mure réflexion. Ainsi Antoine, dont le père a décidé lors d’un séjour dans le chalet alpin familial de quitter cette “vie de famille qui ne lui inspirait qu’ennui”, se demande non seulement si “la quantité d’années passées avec quelqu’un compte ?”, mais surtout si “cela aurait dû compter ?”. La décision d’Antoine de contacter l’ancienne compagne de son ami Martin est motivée par le besoin de “savoir ce que cette jeune femme [...] avait éprouvé après avoir quitté un matin d’hiver la maison de son compagnon sans plus donner aucun signe de vie”. De même, Paul ne cesse de se demander, en faisant référence à sa femme, “depuis combien de jours, de mois, peut-être d’années, Marie avait tout préparé, tout décidé” avant de partir. Lorsqu’il la croise pendant un match de rugby des années plus tard, alors qu’il est tous les jours assailli par les “Souvenirs d’un homme autre que [lui]”, le détachement et le désintérêt de Marie lui sont insupportables : “À son regard, notre histoire s’effondra pour la seconde fois”. Ancré autour du motif de la montagne, seul élément stable dans des mondes constitués de “domaines flottants”, À la surface de l’été plonge le lecteur dans des “zones d’incertitude et de dépossession radicales” qui forment l’univers des personnages dont la violence est quelque peu atténuée à la fin du texte.

Cet article est paru dans The French Review en December 2013.

28 mai 2021
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