C’est tous les jours comme ça

Livre de Pierre Autin-Grenier (Editions Finitude).
Partout, alentour, dans les moindres recoins, le monde est devenu brutal. Tandis qu’en haut le président parade et préside, en bas, l’eau et l’électricité se raréfient en même temps que la liberté d’être, de penser et de circuler à sa guise. La mise en cause du régime n’est plus tolérée. De même, avoir des livres chez soi est vivement déconseillé.
D’autres constats s’imposent et font peur. Ainsi, la population des Martin s’amenuise. Plus de 70 % de ceux qui portaient ce patronyme ont déjà disparu. Il en va de même de la gent féminine, en voie d’extinction très peu naturelle. Les infarctus augmentent. Trois en moins d’une semaine dont celui d’un sportif qui a perdu pied en plein footing, laissant son Labrador attendre, seul et penaud, l’arrivée du SAMU.
« S’évader en rêve, la nuit, entre les rayures de son pyjama va-t-il bientôt devenir la seule échappatoire possible à ce cauchemar ou allons-nous enfin nous réveiller et passer à l’action ? »
Cette situation, cette mise à plat ventre permanente, le nez au ras du sol et les yeux à hauteur des chaussures des décideurs, Bonnard, qui parcourt « la ville avec seulement son âme en bandoulière » le vit mal. Il s’inquiète. Et résiste à sa façon en tenant au jour le jour le registre des incidents. L’implacable chronique qu’il tient, conçue à coups de courts récits oscillant entre tristesse, boutade, nonchalance et feinte résignation, est un témoignage direct et précieux. Apte à préparer l’indispensable riposte. Celle-ci pointe doucement. Des couteaux s’aiguisent en cadence dans les arrières boutiques. Les trancheflics soixante-huitard ressortent des placards et se mettent à briller sous la lune. Des rendez-vous clandestins ont lieu dans l’arrière-salle de l’ancienne Friterie-bar Brunetti. Plus la situation se dégrade et plus la révolte s’organise.
Ces méfaits méchamment orchestrés, ceux d’un quotidien qui part en vrille et dont il faut à tout prix capter les pépites, y compris les plus noires, Pierre Autin-Grenier n’a pas son pareil pour nous les transmettre. Partant de vérités et d’évènements réels légèrement extravagués, riant jaune, déversant quelques burettes d’absurdité sur les pavés (afin que certains s’y rétament), il réussit, en un tournemain, en emboîtant anecdotes et faits divers, à en amplifier la portée pour y planter de redoutables banderilles.
Pierre Autin-Grenier : C’est tous les jours comme ça, éditions Finitude.