Plage

Roman de Robert Steiner chez Cambourakis.


« C’est dans la fragilité des pétales que j’ai pris la mesure de la vie, et seul m’apaise le subtil moteur des pattes de sauterelles. »

Plage, au tout début, semble une fenêtre qui s’ouvre, donnant à voir des fragments de paysage où domine une sensation de chaleur, de calme et de plénitude estivale. Une impression qui va, peu après, littéralement voler en éclats.

« Abstenez-vous de pénétrer dans l’odeur de cannelle et la brume olive de notre village sans l’obscurité de la passion. Les désespérés arrivent ici protégés ; les amoureux viennent couverts de parures ; ceux dont la maladie a mis le cœur en lambeaux se découvrent une âme impatiente de suivre. La vigueur de nos pêcheurs et de nos femmes, créatures aux formes généreuses et à la sueur abondante, ne sert qu’à rendre les faibles plus faibles encore et à faire souffrir davantage les malheureux. »

Celui qui parle est jardinier. Il œuvre à son rythme dans un pays de soleil et de bord de mer où les touristes qui affluent ne s’intéressent qu’au décor ambiant et aux plaisirs qui vont avec sans s’inquiéter de la réalité politique de l’endroit.
Mais ce que les autres ne veulent voir, lui, habitué à regarder au ras du sol, à jauger, à jongler avec les semences et à veiller « sur le lotus et la rose », va le dévoiler. Avec des mots simples et subtils.

« Je sais la forme de la perfection et puis la projeter : d’où vient qu’il y a des gauchos dans la pampa, des vedettes de cinéma dans des portefeuilles tout neufs, des prêtres et des présidents. »

C’est cela, ces morceaux de vérité suintant d’un quotidien où rien ne tourne rond, pris dans les mailles d’un paysage trop paisible et luxuriant, qu’il va saisir et porter. Celui à qui il s’adresse et qu’il nomme « citoyen » (autrement dit lecteur, flâneur, quidam, touriste) va devoir tout entendre, tout peser. Y compris le côté obscur de ce paradis de façade. Où l’ordre règne mais où la résistance s’organise, celle du jardinier – contraint pour l’heure d’observer les ébats érotiques de sa femme Ponchita et de son apprenti Rudy – se mêlant à celle de tous les habitants du lieu.

Le jour, il s’en remet aux plantes, aux herbes, aux fleurs. La nuit, il essaie de capter la radio du Caire. Naviguant entre peur et passion trouble, il reste en permanence cet homme méticuleux et aux aguets qui n’a de cesse de sonder ce qui l’entoure et l’envahit. L’oppression, transcrite avec le lyrisme dont ne se dessaisit jamais Robert Steiner, est partout présente. Le port où est ancré ce roman bref et percutant n’est pas cité mais de nombreux indices permettent de le situer assez précisément.

Robert Steiner (né dans l’Illinois en 1948) est peintre et écrivain. Plage a été écrit lors d’un séjour qu’il fit en Europe (notamment en Grèce et en Espagne) dans les années 1970.


Robert Steiner, Plage (traduit de l’américain par Philippe Jaworski), éditions Cambourakis.

4 juin 2009
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