Diogo Maia | Le tableau Le Désastre et L’Oiseau (#7)



Je suis en face du tableau Le Désastre de Vieira da Silva, au musée Cantini. J’ai attendu le dernier jour pour le voir. On est le 6 novembre. Ce jour-là, j’avais une lourdeur dans la tête qui pesait sur moi de façon inégale : mon corps balançait, tanguait devant les carreaux que cette peintre représente et déforme.

Je sentais que j’allais glisser.

Lorsque je suis rentré dans la salle d’exposition, j’ai franchi, plusieurs fois, la ligne noire qui nous tient à l’écart des tableaux. Chaque dépassement, chaque bras étiré, entrainait l’arrivée d’un autre bras, le bras de la sécurité. Bras nerveux, tendu car il craignait que je m’en prenne aux tableaux. La veille, on avait appris que quelqu’un avait essayé d’endommager un tableau de Goya, La Maja nua, en signe de protestation contre le réchauffement climatique. Chaque tentative du corps engendrait, ici, un son automatique de crainte.

Regarder Le Désastre devenait quelque chose de compliqué et la nudité quasi-forcée, voire impudique, de la Maja Nua semblait s’imposer à cause de la chaleur incontestable de notre monde. Et moi, je continuais à penser à une barrière peinte fine et fraiche qui adoucirait nos esprits par ses couleurs, par ses traits inachevés, par son accoutrement contestataire, enfin, par une certaine opacité visible.

J’avais dû mal à y croire.

Mon esprit tanguait, notre maison dénudée s’écroulait lentement, et nous semblions un peu déformés par nos envies automatiques. Le tableau de Vieira da Silva me rappelait un autre tableau, la Bataille de San Romano de Paolo Uccello ou Paolo L’Oiseau, comme Artaud le nommait.

Depuis des années que ses lances et ses cimiers en perspective, en réel mouvement vers nous, me fascinaient. Ce peintre, L’Oiseau, a cherché à tout dessiner dans son détail afin que la déformation y ait lieu : les lances devenues des branches, les cimiers des becs, et la bataille un vol.

Après l’exposition, je me suis arrêté dans un café : le cœur ballant, les bras du cœur à la recherche d’un stylo, devenu un bras, puis devenu un trait, et je me disais que la poésie était une fine barrière, une chorale, une sorte de Maja dénudée, à la Goya, très surprenante et toujours vêtue et dévêtue par l’allure naturelle et inconnue du son.

Ô poésie, douce perspective, j’arrive, je vais te joindre ! piaillait, le soir, L’Oiseau, en guise d’augure.

Je reviens à la peinture de l’Oiseau :

Des têtes de chevaux et des têtes d’Hommes formaient un étagement parfait, un nivèlement Homme Nature, l’isocéphalie comme solution, et ce tout était peint pour nous faire penser. Et Paolo Uccello le peignait, obstiné qu’il était, jour et nuit.

« Attaquer la Maja, percer la Maja, ô poésie, le Désastre est là » pensions-nous.

Vieira da Silva suivait les lignes, comprenait les villes, les villes encore à venir, aux lignes déformées.

Et Uccello, l’Oiseau, volait avant elle, avec elle, vers nous.


Novembre/2022

17 février 2023
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