Thomas Pietrois-Chabassier | L’invention de la danse

Crédit photo : Asling

A l’été qui emporte.

Il était peut-être six heures, peut-être sept, huit ou neuf heures, c’était le matin pour les autres, et dans le défilé de nos jambes, dans la manière de danser sur les alentours qu’avaient nos yeux, nos épaules et nos cÅ“urs, il était toutes les heures du monde. Et la nuit s’avançait, infinie, comme les rayons prunes d’un matin d’orge, de lumière, de gravats, sur les sentiers qui se rejoignaient tous au milieu du grand champ, juste au dessous de nos pieds qui dansaient. Au milieu du grand champ, les corps aux lunettes noires, les passions endormies, se balançant au son de la musique qui coulait sur nos peaux allumées, rêveuses, nerveuses, triturées par l’étendard flambant de la célébration du jour. Nous dansions. Un homme s’exagérait les muscles des bras, il les brandissait haut comme le vainqueur de l’univers en remuant la tête, paradant comme un fou, tournant autour d’un cercle de quatre zombies stoïques dansant la gueule ouverte, attendant la becquée, les trous de leurs chemises traversés de lumière blanche. Près d’eux, une femme penchée écrivait dans la terre, et son genou battait le souvenir du rythme de la nuit qui n’en finissait pas. Nous étions les derniers, au milieu du grand champ. Et nous nous balancions sous le regard de Dieu qui ne comprenait pas que nous lui parlions le silence àhaute voix sur la plaine. Il était toutes les heures du jour et de la nuit, du monde et de sa suite, les corps se diluaient dans les rêves que nous finissions par devenir les uns pour les autres, et nous dansions sur le marbre de l’herbe, brandissant le drapeau des sommeils vitalisés par l’infini. Et nous dansions, en haut des marches de la nuit. Et nous dansions, évanouis en paix. Et l’air nous attrapait la peau, l’eau des vagues nous liait au destin de la terre, et nous dansions, la lumière ne venait plus que de nous-mêmes, et nous dansions.

10 octobre 2020
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