Bengt Emil Johnson | Extrait 1

Texte traduit du suédois par Julien Lapeyre de Cabanes

 

(Tableau)

Un qui est debout sur les chaumes.
Il dit quelque chose.

Une clôture en bois

Derrière lui un fossé qu’il a creusé, bien
qu’on ne le voie pas.

Les chaumes sont inclinés.
Il a dit quelque chose.
Il est en train de dire quelque chose.
Il va dire quelque chose,

tant que l’image existe,
tant qu’on s’en souvient.

Le dit n’a pas d’importance.

 

Cri acerbe des petits du pic-vert
ici d’un autre monde,
entre les maisons.

Un pourtant en errance parmi les troncs,
toute cette journée-là,
et encore davantage. C’est là

qu’on se décompose. En tout. Et se décompose. Sans fin.

 

(rêve)

Tout semblait galoper
sur les chemins qui auraient
peut-être pu être les siens.

Comment disperse-t-on
l’effroi hors du champ humide
des bouleaux ?

Quelque chose qui nous
éreinte. Une dévoration.

Ta main trempe dans le marécage.

 

(Répit)

Ça s’en va. Ça
n’est plus là.

Tout, prévu, qui gît
en tas et pourrit

peut bien gésir là
et pourrir. Année après année

s’évanouit par
ses confins. Venue au monde

ininterrompue par détour,
c’est loin d’ici et là

et s’en va. Captures
et rejets mêlés,

nous font obstacle là
où nous croyons gésir

encore. Ça prend du temps
mais ça s’en va

et ce dont on se souvient est bref
et meurtri et mouillé.

Nous avons le pouls qui bat en nous.
C’est assez.

 


Né àSaxdalen (Suède) en 1936 et mort en 2010, le poète Bengt Emil Johnson est l’un des représentants d’une scène artistique expérimentale qui, dans les années 1960, a rassemblé écrivains, compositeurs et metteurs en scène et que caractérise un retour àla poésie concrète. Le poème "Souvenir d’hiver" est tiré de Vittringar (éditeur : Bonniers, Stockholm, 1995), une anthologie de poèmes (1958 - 1993) sélectionnés par Bengt Emil Johnson lui-même.

Julien Lapeyre de Cabanes vit àBerlin où il se consacre àla traduction du suédois et du turc. Pour remue.net, il a également traduit des poèmes de Bengt Emil Johnson.

2 mars 2015
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