Bengt Emil Johnson | Extrait 2

Texte traduit du suédois par Julien Lapeyre de Cabanes

 

Tiré d’un duo.
Pour Kerstin

 

1

Crois-moi en mon lieu.
Ou : ne me crois pas, là
où j’ai pu être.
Mon pays existe.
Le paysage existe là
où il se trouve.
Je m’enfonce en
mon lieu. Du reste
je suis entouré.
Ici nous séparons-nous.

 

2

Donc : en direction du lieu,
qui m’entoure.
Vous ne me voyez pas
en mon lieu. Mon pays existe.
Et ce que vous entendez
sont seulement mes mots. Crois-moi
en eux, en leur
lieu et conditions. Ici
aucun mot n’aide. Et ici
il n’y a d’aide presque
que de mots. Ils forment
le lieu où je m’enterre
ou me déterre.
En direction du lieu. Ils poursuivent
leur croissance. En autre lieu ils forment
l’origine de mes jours,
mes jours ajournés.

 

3

Crois-moi en mon lieu,
autant que vous en sachiez. Mais ne me crois
pas non plus là où vous avez pu
être. En direction du lieu
je veux croire
à l’ascension
hors des « étranges mines de l’âme ».
Incorporé quelque part,
je voulais croire,
en l’autre lieu.
Ici nous séparons-nous.

 

4

Le temps en jachère
est mon lieu fidèle. Qui me
maintient durement. Temps éreinté, si maigre
que rien ne paraît prendre racine.
Je parle haut,
ou m’enfonce plus loin dans
mon lieu, murmurant, avec le restant
comme le soin des autres
a été fidèle. Chacun
en son lieu. Marcheurs aveugles.
Ou dehors
quelque part ailleurs.

 

5

De lieu autre
en autre lieu. Fidèle
s’est perdu, semblait-il,
emplis de sens. Ici nous séparons-nous. Et chacun
fidèle au lieu
instable de sa disparition.
Mon pays existe. Pour le reste
je suis entouré. Je laisse
mon lieu demeurer moi.
Laisse devenir moi.
Laisse-moi devenir.

 


Né à Saxdalen (Suède) en 1936 et mort en 2010, le poète Bengt Emil Johnson est l’un des représentants d’une scène artistique expérimentale qui, dans les années 1960, a rassemblé écrivains, compositeurs et metteurs en scène et que caractérise un retour à la poésie concrète. Le poème "Souvenir d’hiver" est tiré de Vittringar (éditeur : Bonniers, Stockholm, 1995), une anthologie de poèmes (1958 - 1993) sélectionnés par Bengt Emil Johnson lui-même.

Julien Lapeyre de Cabanes vit à Berlin où il se consacre à la traduction du suédois et du turc. Pour remue.net, il a également traduit des poèmes de Bengt Emil Johnson.

16 mars 2015
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