Du printemps dans l’air
Sur Remue.net comme ailleurs, avril aura passé à se demander si... ou si pas.... encore que... à moins que..., bref à guetter un printemps qui se laissait désirer et dont on pourrait se demander si ce ne serait pas à nous de l’inventer. Pour l’heure voici donc quelques joies et découvertes qui auront marqué ce mois pour les lecteurs-cueilleurs de remue.net.
En avril,
on aura vu éclore la première livraison de la nouvelle chronique de Yun Sun Limet In situ. Un événement personnel s’éclaire d’un autre, politique, et l’on ne sait lequel donne sa force à l’autre.
Non, pas un « journal ». Pas cela, de centième « témoignage » de cette chose devenue tellement banale. Il faut fédérer la colère à l’autre.
En avril,
grâce au mélodiste Jacques Josse - dont vient de paraître Terminus Rennes (lu ici par Laurent Grisel) - nous avons aimé Putain d’indépendance ! de Kaddour Riad. L’histoire et la vie s’entremêlent aussi dans ce premier roman qui raconte ce qui s’est passé avant, pendant et surtout après les moments de liesse populaire qui ont entouré la proclamation de l’indépendance algérienne. D’un court chapitre à l’autre on suit la vie d’une famille pendant que l’auteur tente de comprendre pourquoi certains ont renoncé à leurs aspirations pour se soumettre aux lois dictées par un pouvoir répressif.
À notre humanité de Marie Cosnay semble répondre à Kaddour Riad par un roman dont le cœur bat au rythme de la semaine sanglante qui marqua la chute de la Commune, en mai 1871, décimant en grande partie la classe ouvrière de l’époque. À ces voix et à ces images du passé, Marie Cosnay mêle celles d’une femme, rescapée des tueries. Au temps présent de l’écriture, elle se demande :
On voudrait savoir, assis à côté du poêle et non sur l’herbe au bord du fleuve "s’il est bienséant ou malséant d’écrire, dans quelles conditions il est bon que cela se fasse et dans lesquelles cela messiérait".
En avril, curieux de tout et de tous, Jacques Josse nous aura aussi invités à découvrir des poèmes de Pascal Commère : Tashuur. Un anneau de poussière, ainsi que l’hommage rendu par Lucien Suel dans Petite Ourse de la Pauvreté à six personnages plus un, le poète et éditeur picard Ivar ch’Vavar. De ce dernier on avait eu des nouvelles en février dernier par Dominique Dussidour qui présentait son tout récent Titre.
En avril on aura aussi aimé la façon dont la plus récente chronique de Pascal Gibourg nous aura fait entrer dans Winterreise d’Elfriede Jelinek sans en évincer la difficulté. Ses livres, écrit-il, "offrent une résistance certaine" en raison de leur style même. Et ce qui fait leur singularité fait aussi leur fragilité :
en art - la chose a beau être connue, elle n’en reste pas moins déroutante -, c’est l’usage de la liberté, recherchée, désirée, qui fait courir à l’œuvre le plus grand risque : celui de devenir inintelligible, incompréhensible, illisible.
Pascal Gibourg propose quelques clés pour entrer dans un texte qui porte en sous-titre "pièce de théâtre" et aurait de quoi déconcerter quiconque penserait savoir quelque chose sur le théâtre. L’art de Jelinek, soutient-il, serait un peu à la façon de celui de Bacon, un art de la "défiguration" et une "émancipation du temps par rapport au mouvement, (...) une laïcisation".
En avril toujours, on se sera arrêté avec Bruno Fern sur une lecture de et leçons et coutures de Jean-Pascal Dubost dont il écrit ceci :
Ce qui donne au bout du compte un « livre de dettes », autrement dit de « plagiats avoués », d’hommages plus ou moins facétieux, dont 98 sont rendus à des écrivains et 1 au « cycle du Lancelot-Graal », l’ensemble étant traduit dans la « langue Dubost » issue de la rumeur de ces voix multiples, « langue tout à la fois populaire, vulgaire, verte, littéraire et documentée » – et créant au final un alliage tonique et singulier.
Avril aura permis de suivre l’aventure d’écriture de Fabienne Swiatly confrontée au délicat travail de donner la parole à Annette, cette jeune femme pour qui les mots sont comme de la vase,
Redonne-moi une histoire s’il te plait. La terre est entrée dans ma bouche. Je m’envase dans le vestiaire à phrases et il y a n’y a plus de coïncidences à la porte. Vous comprenez ?
d’entendre Pedro Kadivar converser avec Eugène Green pour cette troisième rencontre du cycle
"Terres d’exil. Territoires d’écriture." qui annonce une quatrième et formidable rencontre-performance dont on vous reparlera bientôt,
et de suivre Hélène Gaudy qui était l’invitée de remue.net au Centre Cerise dans ses Dépaysements / la ville, la classe, l’écriture
Essayer au moins de transmettre ça, l’attention aux détails, le plaisir qu’il y a à s’approprier les choses.
Ne pas subir son environnement, ne plus en être exclu puisqu’on peut le décrire avec ses mots et d’un coup s’y faire une place, dans la ville comme dans la classe, au sein du groupe, face aux autres, voilà ce que m’apprend l’écriture, ce que je voudrais leur apprendre.
Se mettre dans la classe, c’est revenir à une partie du monde à laquelle on n’avait plus accès pour tenter de leur donner envie d’y mettre leurs mots, d’en faire leurs images, pour que la classe comme le dehors devienne notre territoire commun et qu’ils y soient, finalement, aussi dépaysés que moi.
Sur ce, révérences et salutations. Soyez remuants, la vie n’en sera que meilleure.
©photos-fabienneswiatly
6 mai 2012, 18 heures.