Larmoire a la rage Prigent
Voir/lire la présentation de
la série « Larmoire a la rage Prigent »
dans le spécimen n°1.
CHRISTIAN PRIGENT
LA LANGUE ET SES MONSTRES
P.O.L automne 2014
Scancion repliée d’un corps
en sang contraint comme par feu de marbre.
Pourrons-nous mener ce que nous aimons
hors les décombres de nos têtes ?
Voici seulement que le dehors
se rétrécit autour de moi
jusqu’à la pointe de feutre
qui trace ici ses mots.
Jean-Pierre Moussaron
Le désir de peindre
Po&sie, n°58, 4eme trimestre 1991, p. 59.
EMMANUEL ARAGON
TU PARLES BEAUCOUP TROP
automne 2014
Tu parles beaucoup trop, installation 2014
Voir le site d’Emmanuel Aragon
et la transcription du texte gravé [copyright]EA
(certains fragments sont transcrits dans le texte ci-dessous en lettres majuscules)
Image ci-dessous [copyright]EA
je peux marcher toute la nuit
Installation in situ, Hangar G2, Bordeaux
Carton 3 mm d’épaisseur, adhésif 0,6 x 84,4 m
Exposition dans le cadre du printemps de l’a-urba "Où va la ville ?" 2013
Larmoire a la rage Prigent
Larmoire à la rage Prigent, ses monstres et la langue (4)
Empêtrée, dépareillée, rétrogradée, Larmoire atteint la grande infirmité. Elle entend des acouphènes : tenons et mortaises copulent à perpétuité. Saluée ici et là par des ceuses qui n’en ont pas — des sons comme ça dans la boîte crânienne — elle va dans le désarroi. Et moi, avec l’émoi, j’ai de la férocité à cause de la commémoration des tranchées. À BOUT le fait guerrier pourrit les supports les plus propres des peintres de tarées génialités. "L’art des fous"... vous savez ? Les dessins collectés par les Massé ! Qu’ils en soient ici remerciés ... et singulièrement “le dernier” [1] qui fait date dans ce/ceux que je ne veux pas oublier. Un monstre et sa langue singulièrement dédoublée jaillit d’un livre picturalement initié. (1)
Le derrière de l’armoire est le fait mal raboté d’une planche regardée en biais. MEURTRIE APHONE GELÉE non alignée aux magasins de bouillie bordelaise, Larmoire résiste à la varlope interlope. Tellement bien que l’ex-façade du meuble démobilisé n’est même pas photographiée. Sa devanture est destinée aux clichés d’un mensuel d’antiquités. D’où qu’on va pas la chiffonner à chaque grain de poussière en laminant son fond barbouillé par des mots d’illisibilité. Au contraire, faut les montrer à la lumière ces monstres langagiers (2) et les toucher de près. Gravée petite ou grande l’énigmatique monstruosité des figures lettrées fait signe à une passante. Agile et noble, avec sa jambe de statue, la langue convenue qui domine le décorum des antiques est poussée au cul. Larmoire est nue,
ses colères suivent les contours effondrés d’un meuble explosé. ÉPAULES VOÛTÉES RÔDÉES PLIÉES RENONCEMENTS INCONTRÔLÉS OBSTINATION HANTISE DES NUDITÉS Larmoire exténuée d’avoir trop expérimenté écrit en derche sa rage d’exister. En guise d’espacements, elle crée des écarts entre les énoncés institutionnalisés des portes cirées et les énonciations miteuses du placard aux balais. Elle traverse à pieds, à gué, à pertes mouillées, le ravin discursif des interstices. Elle fabrique une encaustique océanique sans rhétorique. L’époque directoire passe au prétoire de son grincheux dépositoire. « l’Histoire objective périt en héros sous les faux » [2] Trop tard pour mourir au front et avoir ton nom sur le monument ! TU BAISSES TÊTE FRONT sur une caricature abrahamique qui ébauche à la fois la Torah, la Bible et le Coran. Tu ne remontes pas le mouvement. Tu t’enfermes au placard. OBSTINÉE tu fixes l’écran (3).
Tu entres dans le courant au tournant [3]. Tu regardes l’automatisation du processus de fabrication des briques de construction côté dominés et côté dominants.Tu fabriques un appareil pareil (4). Les bardeaux éclatent à nouveau dans le fourneau [4] C’est comme à Rapallo, le four est trop chaud, il fait sauter les os d’un fou de Considérations Intempestives. Insolente, indolente, impétueuse, la tête en crâne ébouriffée n’éclatera pas cette fois. À peine quelques éclats. Un bleu rose et blanc fait le malin un matin de mauvaise humeur, une tumeur. Il y a longtemps que l’armoire du Musée Dauphinois n’a plus froid. Pourtant, je trouve une couverture en laine rouge dans Le Tiroir du bas. [5] Dans un coin, une liste de choses périmées me parlent en latin prigentien : « hic laetaivur | ici s’éjouit » [6]. — Enfouies, les choses de ma vie ? Les Remugles Saint-Chiot (5) étalent sans arrogance leur fragrance accentuée. TU DEVIENS UN SEUL BLOC MASSIF ENDURANT l’esprit de l’escalier grommelle ronchonchon dans le fond (à suivre)
notes méridiennes
(1) Les Enfances Chino et le tableau de Goya.
Par la jonction d’un dessin de garçon assis les pieds balans en haut d’un trait épais contournant une reproduction sommaire d’un tableau de Goya (Les Jeunes ou La Lettre, Palais des Beaux-Arts de Lille) l’auteur place d’entrée le cadre et le hors-cadre du roman Les Enfances Chino [7] « en faisant entrer dehors en dedans » [8].
Ce “dispositif” n’est pas posé à priori comme injonction de fabrication ; ce n’est qu’au fur et à mesure que l’activité d’écrire le livre se fait que ça le fait [9] procéder visuellement à la mise en langue (≈ mise en bouche). Plus qu’un dessein, avant même l’activité d’écrire, le dessin d’une sorte de lecture utopique « Où prend corps la parole » [10] « l’utopie d’un tel type de lecture » me met au pied du mur : JE PEUX MARCHER TOUTE LA NUIT. [11]
« Je dis “utopique” parce que faisant tendanciellement l’économie de l’incontournable question des significations (...). Mais ce sans lieu de la lecture est l’aveu même, en soi, de l’exorbitante différence de la fiction qui brûle toujours au-delà de l’interprétation. » [12]
« Une “ Utopique ” est une construction imaginaire ou réelle d’espaces dont la structure n’est pas pleinement cohérente selon les codes de lectures eux-mêmes que cette construction propose. Elle met en jeu l’espace. » [13]
Dans un premier temps, j’explore les images de l’image — longuement, largement, méridiennement. Des « jeux d’espaces » font apparaître les dispositions [14] d’un petit garçon breton et la disposition d’un écrivain qui le « porte souvent à sortir d’un embarras intellectuel par une interrogation portée à son plaisir » [15].
Le mode particulier de production du texte semble gravé en “lettres sympathiques” ENFIN CE TEMPS D’AUTRE CHOSE DE DÉPASSER DE DEVENIR AUTRE TROUVE TON TEMPS NAÎTRE DÉPLIER J’examine “en transparent”, c’est-à-dire "en impossible" « du fait même qu’il y a de l’impossible à humainement prononcer » [16], les fondations d’un appareil en construction : le temps se lève [17]
Pour cause d’actualité, je me prends les pieds dans les plis singuliers du social [18] Je trébuche sur la force intrinsèque d’un discours sociologique et non moins scientifique. La tête dans le varech, j’observe
raz le gazon, ça affine l’optique [19] le moment où apparaissent à gros traits le tableau et l’enfant.
Le pouvoir déréalisant de la saisie optique des lettres gravées dans l’épaisseur de la matière ligneuse creuse l’espace d’inscription (le derrière d’une armoire) d’une vacuité énergiquement lumineuse révèlant l’instant de lecture comme tremblement du déchiffrement, bafouillage, babil premier recouvré de l’infans. [20]
Des soufflées de Minutes de sable [21] excitent le moteur de ma tondeuse. Des poids de senteurs nauséeuses bouchent ma narine gauche. Un monument bande son cippe dans la droite devenue trop moche pour craindre la moindre taloche. Ma bouche respire encore et pousse un cri du corps : « Tout ce qui brille n’est pas d’or ». [22]
Dans la route des phrases au carrefour de tous les mots, sous découvert de représentation/s [23], le Mémorial érige des « idées entrebâillées, non rodées de leur usuelle accompagnatrice » (AJ), la langue directrice qui sépare synoptiquement la voix et les instruments de la partition du « Blues de l’enfant plié en quatre » qui ne s’aime pas plus qu’on ne l’aima ou qu’il a cru qu’on l’aimait peu (Ch.P. LEC 395).
Ni brosses, ni pinceaux : de couleurs, il n’y a pas. Le dessin en noir et blanc relève d’une « scène de genre ». Par anticipation pour le lecteur, par anamnèse pour l’individu romancier, la “vignette” du tableau illustre à la manière d’un linteau (A.J. 11 août 1894) du social incorporé par l’acteur Chino.
(1bis) L’acteur Chino
L’espace réduit de cette note (la courte durée du moment de “lucidité méridienne” avec laquelle je travaille ) ne me permet pas de développer une approche "pluridiciplinaire" des processus de constitution de la valeur du mot acteur dans la très grande variété des registres lexicaux de métier.
L’acteur, au sens théâtral serait≈ « Le Geste et la Parole » [24] ; l’acteur au sens sociologique serait≈ un individu socialisé doué de manières d’agir, de sentir, de penser plus ou moins déterminées par les processus de socialisation auxquels cet individu a été et est confronté à l’intérieur des divers groupes d’appartenance et de non-appartenance qu’il traverse et qu’il a traversé ; l’acteur au sens prigentien serait≈ Jarry, Artaud, Ponge, Barthes... travaillés par mes fautes de frappe, autant dire une "chambre d’échos" des mots de Chino. [25]
(2) Monstres langagiers
− Mais d’où qu’elle parle, vraiment, cette TU PARLES BEAUCOUP TROP pour poser ainsi avec la différence comme-élément-critique-et-généalogique-de-toute-évaluation ? Est-elle légitimée par l’accès aux ressources lettrées et/ou valorisées par les musées ? La Distinction appelée Critique sociale du jugement par ailleurs dénommée « inégalités sociales » ou ailleurs Capital, sans limites in the Twenty-First Century, et, à un endroit où ça ne se dit plus, même chez les humains exclus, « lutte des classes »... coagule en insatisfaction face aux langues patrons qui figent nos parlers moutons : les stéréotypes. Des monstres, en somme. [26].
Le marteau ne fait plus son beau sur la liste ouvrière et ça fait lurette que la faucille a passé à la couperette le « codicille en parler moral qu’un bon communiste est premier partout et pas minus moche chez les derniers en tout » [27]
Ton père en ce temps-là était adjoint au maire,
Élu municipal sur la liste ouvrière,
Et chargé au Parti des questions financières. [28]
Le sentiment érotiquement cultivé d’une jeune bourgeoise dont les attraits bustiers chaperonnés par sa duègne lui font lire un billet …• qu’on imagine galamment tourné …• avec une sobriété distinguée et, à côté ou plutôt derrière, c’est-à-dire devant... les rudes gestes des lavandières, libres de travailler et de s’exprimer comme des charretiers, ne savent pas dire le pléonasme du “pouvoir dominant” mais savent de ce pouvoir quelque chose, en savent quelque chose. Les gestes des travailleuses en savent long sur la domination du patron et de « l’utopie d’une possible représentation » du rapport dominés/dominants. [29]
Le tableau −Las Lavanderas− dilue esthétique ce que ne résout pas dialectique. Les contradictions primaires, secondaires et antagonistes du « petit père des peuples », le père Goya ça ne le concerne pas. Chino ramone les tubes de gouache et la bile de ses tuyaux potaches. À l’ « entrée des laveuses » cette scène, même, est recomposée à gros traits avec deux détails assemblés. Le garçon à béret saute en vrai dans le panier creux d’une hoche-queue : il tape, il tape, il tape sur son battoir, il tape, il tape, il dormira mieux ce soir… Un galopin s’endort Côtes-d’Armor en sursis d’un turbin qu’il entame par l’arrière-train. Francisco oublie Goya et devient un autre gars.
Fanch …• François en gallo …• reproduit cette fois en couleurs véritables les chalutiers à perche qui attrapent les poissons plats des cartes postales de ces années 50 là : « [...] des arabesques de longue focale plus bleues à mesure, puis pâlichonées jusqu’à beige puis blanc, c’est déjà perdu dans l’effacement dénommé avant. » [30] Les peintres qui intéressent le Chino ne peignent que des couleurs brossées en tonalité mélangée, neuves et imprévisibles à la manière de l’événement produit par les conditions de production. Voici la réinvention d’un corps d’écriture qui besogne la surface pigmentaire des lavandières technicolorées en agglomérats d’effets carmins et de gestuels séraphins.
« Chino, tu habites ici. Ici c’est un bout de toi-même en vrai mais (…) » [31]
Chino construit parce qu’il habite
Ça parle là où advient Chino
Chino construit là où ça parle
« L’objectif, peut-être, est de montrer l’autre langue dans la langue, la langue monstre qui nous habite, et qui, à chaque fois, frappe de stupeur (fait jouer, déjoue et refait—comme on dit en argot) la langue dans laquelle tant bien que mal nous communiquons et où le réel s’évanouit parce qu’elle fixe en formes stabilisées et anonymes le chaos de l’expérience que nous faisons du monde. » [32]
« Il est d’usage d’appeler monstre l’accord inaccoutumé d’éléments dissonants, écrivait Jarry… j’appelle monstre toute originale inépuisable beauté. » Cette monstruosité est une figure de l’Impossible, rajoute Christian Prigent [33].
Je déplace sur Les Enfances Chino un texte de Jean-Pierre Moussaron qui terminait provisoirement sa réflexion à propos du monstre King Kong (1933) ainsi : « cette œuvre repose la question de la beauté, tout en accomplissant deux définitions toujours neuves du beau qu’elle conjugue : celle de Baudelaire : « Le beau est toujours bizarre », celle de Barthes : « Est beau, tout ce qui est érotiquement surdéterminé » [34]
(3) Le mot écran
[35]
« Le tableau est une table sans pieds qu’on suspend au mur » dit le peintre [36]
Qu’est-ce que c’est l’écran ? (Je pose la question à mon ordinateur qui me répond avec un calibrage en couleurs new-age et m’incite à la calibration.)
Au moment de calibrer mon écran à l’aide d’un outil de vision administrant « la gestion des couleurs » (cet oxymore en dit long sur les phénomènes de castration visuelle engendrés par la perception numérique) des « visions de glossolalie » se glissent dans mon lit NE VOIS PLUS RIEN DU TOUT FAIS CORPS DEVENONS PRÈS PRÊTS SE SERRER
Pas de colorimètre. Pas de sonde de calibrage à ton âge ! Crois-tu à l’œil absolu ? Fais comme Barthes qui achète des flacons d’encre colorée « au seul vu de leur nom" [37] ; recouvre ta palette d’un souvenir-écran « lisse, quelle que soit la rhétorique des plans » [38], entre dans le trou Prigent plus attentivement : « par ce trou la peinture rouvre l’écran qu’elle tisse... » [39].
La Cinématière [40] travaillée récemment par Sébastien Rongier est un matériau dont les qualités à la fois de densité, de plasticité et de motilité siéent singulièrement à cette ouverture de nos espaces de vision et de désir esthétique.
« C’est ça ! » : Jean-Pierre Moussaron (1988) [41]
À quoi sert l’écran ? Poser une question aussi directement pragmatique c’est vitupérer autrement et crier avec Bernard Noël « À bas l’utile ! » [42]. L’interrogation porte sur la fonction hors « délit d’opinion ».
En première évaluation, l’écran sert à faire du sens. Et, le sens « ce n’est pas ce que ça veut dire, ça n’en finit jamais de dire » [43]
Au premier coup d’œil, l’écran apparaît comme un espace sans lieu, littéralement “u-topique”. Au deuxième coup d’œil, il semble un « habitacle en dérive » : un espace "a-topique" [44].
En première instance, l’écran relève d’un espace second, voire d’une quatrième dimension. [45] Je me trouve devant l’écran face à « mon présent ». En dernière instance, il n’y a rien à voir, l’image est toujours avant : séparation, une grande nouvelle [46].
Si je regarde, ici et maintenant, l’écran, au plus-que-présent, les lois de la conjugaison obligent le déclic des signes à l’action. L’écran n’est pas un porte-signification, il sert de support pour faire parler le corps.
Aujourd’hui, on ne devrait plus dire « cet enfant parle comme un livre » mais « il parle comme un écran ». L’entrée de l’article indéfini me permet, c’est un fait, de sortir des généralités.
Ma petite taille de spectatrice m’a souvent laissée frustrée dans une salle de cinéma. La grosse tête posée sur un grand buste dans la précédente rangée me cachait une partie de l’écran et m’empêchait de jouir de la totalité de la représentation cinématographique.
Un écran est tout entier un fragment de “réalité mouvante”. Les figures in progress qui s’y déplacent sont imaginaires. Le réel à quoi me rappellent sans cesse les tracés de Larmoire c’est la production d’un support faisant écran. [47]
« Mais le creux des vagues savoure l’ondée, l’écume l’exprime par des friselis. » [48] Une percée faite à travers un écran plus ou moins dense, brume, nuage ou océan laissant (ap)paraître le ciel, le soleil ou un poisson lune est une trouée. [49]
Que fait un écran ? Il occulte par devant le phylactère de derrière. Et derrière, c’est le père sévère, le grand-père délétère « pour ce qui est du rôle de repères (et de re-pères) … » [50] comme on le sait, pour peu qu’on soit transfuge social né au commencement de la deuxième moitié du XXe siècle [51].
« Le texte est (devrait être) cette personne désinvolte qui montre son “derrière” au Père politique. » [52]
TU PARLES BEAUCOUP TROP, bravo !
[53]
(4) Un appareil
Référence à la double projection vidéo d’Harun Farocki : Comparison via a Third (2007). [54]
[55]
Le soir tombe [56], je planche [57] jour et nuit sur l’imagerie de l’Encyclopédie [58]
« Si tu zoomes des deux yeux en plongée tu pourras même voir après l’ultime pointu remonter, derrière des pans de falaises sis sur coupe ondée d’horizon, l’ailleurs, l’au-delà, l’avant qui poursuit paradoxalement après dans les bleus métal frigorifiants. [59]
Ici, je recopie les pages 293 à 295 de Les Enfances Chino.
Le monde de Prigent ne cesse jamais de s’écrire, de s’écrire en couleurs, en valeurs. Énoncer la transformation d’une chose en une autre passe par le mélange de magmas substantiels. Un exemple parmi d’innombrables échantillons colorés : « Sauf que scinde en deux la mousse un trait vertical fraise ou groseille d’encoche ». [60]
La Loi de l’Enflé [61] irait aussi bien pour chromatiser mes apartés mais, pour le lire en couleurs, faut le voir dans la page avec sa typo prolo.
Réinvention permanente d’un corps d’écriture, le poème en prose prigentien est travaillé par des réminiscences picturales qui pigmentent la matière verbale. Les couleurs sont intransitives et « le ciel à peine barbouillé de gris et de violacé » [62]. Cependant la peinture se déplie en récit : « deux figures de dames ou même demoiselles se déplient des pans à présent perçus comme de tissus » [63].
Une circulation de sens à plusieurs niveaux enrichit le texte : « (…) dans une pièce entièrement nue, occupée seulement par tout un jeu de bois et de filins, une jeune femme assise sur un banc tourne d’une main une manivelle, cependant que son autre main reste doucement posée sur son genou. On ne peut imaginer une idée plus simple de la technique » [64].
(5) Les remugles Saint-Chiot
« Chino ferme ses yeux, les autres les leurs : ailleurs, ça fait peur. Mais aux naseaux rien clôt. Passage d’une odeur. Complexe, volatile. De quoi fut-elle faite ? » (Les Enfances Chino, Intermède 4. Tentative de description de l’odeur d’un pont, p.523.)
C’EST COMME SI MA VIE N’AVAIT DURÉ
[65]
Je resterai juste à côté [66]
[2] Ch. P. Les Enfances Chino p.35-36.
Dessin CP, « l’Histoire objective périt en héros sous les faux »
[3] Cf. Vandy Rattana : Monologue, premier rendez-vous d’une série de quatre expositions réunies sous le titre « Enter the Stream at the Turn »
Au CAPC musée d’art contemporain de Bordeaux et au Jeu de Paume jusqu’au 17 mai 2015.
[4] Allusion à la façon dont un critique d’art newyorkais rebaptise Nu descendant un escalier de Marcel Duchamp exposé en 1913 durant l’Armory Show. La traduction la plus fréquente est « Explosion dans une fabrique de tuiles ».
Cf. « Reproductibilité technique d’un nu descendant un escalier » (vidéo de 2004).
[5] « Le Tiroir du bas » : intitulé de la postface d’Antoine Le Bos à Deuxième Considération intempestive de F. Nietzsche, (Éditions Mille et une nuits, 2000) dont je recopie un fragment (p. 118) qui souligne la notion d’ « illusion rentable » relativement à la fonction rassurante de l’ Histoire : « L’Histoire sert aux Occidentaux à se croire les fruits d’une évolution dont ils sont l’aboutissement bienheureux et tout-puissant. Illusion construite pour masquer le gouffre qui sous-tend toute vie humaine, pour colmater l’injustifié et le vide de leur vies de bons bourgeois repus. »
[6] Les Enfances Chino p. 43
[8] Christian Prigent, Ce qui fait tenir, P.O.L 2005, p.13 : « comment faire entrer dehors en dedans ? »
[9] que ça fait « littérature » c’est-à-dire « former en langue quelque chose qui à la fois désigne l’inadéquation [de notre outillage verbal aux façons sensorielles singulières dont le monde nous affecte], à la fois la résorbe ( l’inadéquation ) dans l’utopie d’une possible représentation. » Christian Prigent, La Langue et ses monstres, p. 8-9.
[12] Ch.Prigent, La Langue et ses Monstres, note 1 p 20
[13] Louis Marin 1973 « Utopiques : jeux d’espaces »
[14] Selon le sociologue Bernard Lahire « une disposition étant le produit incorporé d’une socialisation (explicite ou implicite) passée, elle ne se constitue que dans la durée, c’est-à-dire dans la répétition d’expériences relativement similaires. » Bernard Lahire, Portraits sociologiques, Nathan, 2002, p.20.
Je ne passe pas du “discours littéraire” à l’“analyse sociologique” à l’insu de mon plein gré.
[15] Roland Barthes, Leçon, Seuil, 1978, p. 8.
[16] Christian Prigent, Ce qui fait tenir, P.O.L 2005, p.18
[17] Les Enfances Chino, p. 126
[18] J’emprunte à nouveau cette formulation à Bernard Lahire « Dans les plis singuliers du social : Individu, Institutions, socialisations », La découverte, 2013.
[19] Les Enfances Chino, p 223
[20] Cette phrase a été notée en lisant Christian Prigent, Ce qui fait tenir, P.O.L 2005, pp.15-18.
[22] nÅ n omne quod nitet aurum est
Cette lecture de saynète comme « béance dans l’entropie totalitaire du communautaire » (Ch. P. « Artaud pète la forme, » op. cité, p. 191.) Toute comparaison n’étant bien sûr, ici, qu’admiration, estime et consciente appropriation. Moi aussi « je crois aux maîtres » (je vais revenir sur ce point de croyance en évoquant Jean-Pierre Moussaron dans la note 3 des méridiennes ci-dessous).
Ainsi, je recopie Prigent dans un fragment intitulé "Du rythme incarné" in « Artaud pète la forme », un texte publié une première fois dans la revue Les Temps modernes, été 2014, et repris “au milieu” ( un pilier ?) du livre La langue et ses monstres :
« La tension athlétique de l’écriture d’Artaud s’appuie sur ce qu’elle « attaque » (elle est toujours polémique et ciblée). Il y a d’abord un vide criant. Puis une rage d’expression. Elle est lancée par un la qui programme la balistique d’ensemble. Ce qui suit : un « geste concret dans une mesure physiquement passionnée ». Il ne s’agit moins de dire quelque chose (d’aligner des mots et de les lier par une syntaxe) que de former la chose (la « mensuration horrible ») venue de l’innommé. »
[23] Représentation sociale « Une forme de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social. » Sous la direction de Denise Jodelet, Les Représentations sociales, PUF, 1989, p.36.
« La réalité : le monde identifié aux représentations que d’époque à époque on s’en fait. » Ch. Prigent, in La Langue et ses monstres. « Artaud pète la forme », p. 195.
[24] Cf. Par exemple, un entretien avec André Leroi-Gourhan. in "L’aventure humaine" une série de cinq émissions de télévision diffusées en 1970
[25] La chambre d’échos, selon Roland Barthes dans Roland Barthes par Roland Barthes, Éditions du Seuil, 1975. p. 78
[26] « c’est-à-dire des combles d’artifice, que [la société] consomme ensuite comme des sens innés, c’est-à-dire des combles de nature. »
« (...) le signe est suiviste, grégaire ; en chaque signe dort ce monstre : un stéréotype : je ne puis jamais parler qu’en ramassant ce qui traîne dans la langue. »
Roland Barthes, Leçon, Seuil, 1978, p. 32 et 15.
[27] Les Enfances Chino, p. 396
[28] Demain je meurs, p. 83
[29] Cf. Roland Barthes, Leçon, Seuil, 1978, p. 18-19
[30] Les Enfances Chino (référence de la page non retrouvée )
[31] Les Enfances Chino p. 37
[32] Ch. P. référence non retrouvée ou plutôt trou(v)ée partout dans la langue Prigent
[33] qui parle ici de Marcueil, Le Surmâle, in L’Incontenable, P.O.L, 2004, p.1O2.
« Que le réel ne soit pas représentable …• mais seulement démontrable …• peut être dit de plusieurs façons : soit qu’avec Lacan on le définisse comme l’impossible, ce qui ne peut s’atteindre et échappe au discours, soit qu’en termes topologiques, on constate qu’on peut faie coincider un ordre pluridimentionnel (le réel) et un odre unidimentionnel (le langage). Or, c’est précisément cette impossibilité topologique à quoi la littérature ne veut pas, ne veut jamais se rendre. »
Roland Barthes, Leçon, Seuil, 1978, p. 22.
[34] J-P Moussaron, « King Kong ou la migration du sens », conférence à l’école des Beaux-arts de Bordeaux, le 4 novembre 1988. Le texte « King Kong (1933) ou la migration du sens » a été publié dans la revue Modernités n° 25, « L’art et la question de la valeur », PUB, 2007, pp. 251-264
[35] Lynne Cohen, Untitled
De nombreuses photographies de Lynne Cohen figurent un écran.
Une exposition hommage à Lynne Cohen est en cours à la Galerie In Situ Fabienne Leclerc à Paris ; (carte blanche à Patricl Tosani)
Cf. in remue.net la série de chroniques (octobre 2005) « Le Vide après tout », un poème de Bernard Noël pour initier des visions d’espace intérieur sans présence vivante. Des espaces vides rendant manifestes les espacements : les relations entre les choses et entre les individus vivants qui posent, disposent, composent, exposent ces choses dans des lieux ayant « au moins trois caractères communs : identitaires, relationnels et historiques. »
Nothing is Hidden, Wittgenstein ne se cache pas dans le titre du livre de photographies publié par Lynne Cohen en 2012.
[37] Roland Barthes par Roland Barthes, Seuil, 1975 (pp.133-146) et l’anecdote racontée durant le cours « Le neutre », Collège de France, 11 mars 1978.
[38] « Le plein de cinéma », Roland Barthes par Roland Barthes, Seuil, Écrivains de toujours, 1975 (p.59)
[39] « (...) à mesure que se perfectionne puis s’académise l’adéquation des figures qu’elle peint aux objets que ces figures figurent, en accord avec le monde tel que se le "figure", justement, la société du temps. » Christian Prigent, Ce qui fait tenir, P.O.L 2005, pp.16-17
[40] Sébastien Rongier, La Cinématière, Arts et cinéma, Klincksieck, 2015
[41] 2015, c’est l’année de la commémoration du centenaire de la naissance de Roland Barthes.
(voir le calendrier)
Je “commémore” à-ma-façon en recopiant quelques moments de la rencontre avec Jean-Pierre Moussaron venu parler informellement de l’œuvre de Roland Barthes, le 4 mars 1988 à l’école des Beaux-Arts de Bordeaux.
On peut écouter
Jean-Pierre Moussaron et son « Amour du jazz »
via le site de la librairie Mollat à Bordeaux.
[42] Bernard Noël « À bas l’utile ! » Publie.net
[43] indéfiniment Bernard Noël "Le poète corps et âme", Ch. P. 2001, repris in La Langue et ses monstres, p.269.
[44] Roland Barthes par Roland Barthes, « À quoi sert l’utopie » (80-81) et « L’atopie » (53)
[45] Cf « Voyage au centre de la quatrième arobase », des dessins d’Anne-Marie Durou, une artiste qui flirte avec la quatrième dimension.
[46] « Séparation, une grande nouvelle » devant un dessin d’Alain Lestié, recouvrement d’une Annonciation à l’intérieur de laquelle un écran blanc sépare l’Archange de la Vierge. Ce n’est pas voir la beauté de Gabriel qui fait l’assentiment de Marie, c’est entendre sa Parole.
[47] d’après Roland Barthes, « Non Multa Sed Multum », Cy Twombly : catalogue raisonné des œuvres sur papier, Y. Lambert 1979, Multhipla edizioni (vol. VI 1973-1976). Repris in « L’obvie et l’obtus », Essais critiques III, Seuil (1982), Points/Essais 239, p. 158.
[48] Les Enfances Chino, p. 559
[49] La note méridienne (1) de Larmoire, spécimen n° 5 ( mise en ligne début avril : suite et fin de « Larmoire a la rage Prigent »), reviendra sur la notion de « langue trouée » dans l’œuvre de Christian Prigent.
[50] J-M. Glreize — Pour ce qui est du rôle de repères (et de re-pères) que pourraient jouer les uns et les autres, c’est plutôt heureux qu’on s’en soit débarassés, non ? Je crois qu’il y a construire des espaces (...) qui soient des espaces de constructon, des chantiers à la fois de création et de réflexion, parce que nous avons besoin de penser nos pratiques, de comprendre comment elles s’opposent les unes aux autres, ou s’ajoutent les unes aux autres ou s’appuient les unes aux autres, et pourquoi.
Pas besoin de chefs pour ça, juste dégager des aires de bricolage.
N. Quintane — Dont acte.
Entretien Jean-Marie Gleize et Nathalie Quintane, L’Illisibilité en questions, Bénédicte Gorrillot, Alain Lescart (dir), Presses Universitaires du Septentrion, 2014, p.198.
[51] Interrogation portée à mon plaisir récemment à l’écoute de France Culture : « La Grande Table » invita Romain Goupil et Miguel Benasayag à reprendre et repriser la Mort de la famille (David Cooper). « Mon vivre coliqueux » (Montaigne) s’en est trouvé mieux.
[52] Roland Barthes, Le Plaisir du texte, 1973 (ref à compléter)
[53]
Détail CP d’une ph.© E. Aragon,
Armoire début XIXès gravée, 255 x 160 x 73 cm
2014.
La voix de Jean-Pierre Moussaron revient me dire la subjectivité du tracé et, par le mot “valeur”, Twombly menant ailleurs l’écriture, comme l’écrivait Roland Barthes à propos de la pratique de ce peintre : « l’écriture, ce n’est ni une forme, ni un usage, mais seulement un geste, le geste qui l’a produit en la laissant traîner : un brouillis, presque une salissure, une négligence. » Roland Barthes, « Non Multa Sed Multum », Cy Twombly : catalogue raisonné des œuvres sur papier (par Y. Lambert), vol. VI (1973-1976). In « Roland Barthes. Le texte et l’image », Catalogue d’exposition, Pavillon des Arts, 1986, p. 97. Et « L’obvie et l’obtus », ref. citée, p. 146.
Cf. Les travaux de Richard Leeman et l’article Roland Barthes et Cy Twombly : le « champ allusif de l’écriture »
Christian Prigent a rencontré Cy Twombly dans son atelier romain durant son pensionnat à la Villa Médicis (1978-1980).
[54] Comparaison via un tiers, Harun Farocki
Actuellement au CAPC Musée de Bordeaux.
[55]
[56] Les Enfances Chino p. 545
[57] Le dictionnaire historique remarque que le mot “table” est issu du latin tabula = signifiant planche
[58] Roland Barthes, “Image, raison, déraison”, L’univers de l’Encyclopédie, 130 planches de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, Paris, Libraires associés, 1964 ; « Les Planches de de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert vues par Roland Barthes », Musée de Pontoise, 1989 ; Nouveaux Essais Critiques, OC II, p. 1348-1358.
[59] Les Enfances Chino p. 547
[60] Les Enfances Chino, p.295
[61] Le poème qui suit pages 295 à 297 (dans Les Enfances Chino)
[62] LEC p 553 référence au tableau de Goya déjà cité
[63] LEC p 552
[64] RB, “Image, raison, déraison”. L’univers de l’Encyclopédie, op. cité
[65] Emmanuel Aragon, fusain sur papier de soie, 2008