« J’aimerais encore bien, aller cueiller un petit morceau de verre… »

Le Poseur de pied – Crédit : Catherine Gardone

Chaque soir, à mon retour de la verrerie, sur le chemin de mon immeuble qui fait face à la forêt, Colette et André Floriot, qui habitent la dernière maison du village, m’arrêtent et m’invitent à entrer chez eux. C’est auprès d’eux que je conduis mon premier entretien.
Ils nous content l’histoire des verreries, qui se déplaçaient au gré de leur consommation de bois, d’eau, de fougères, de sable. Ainsi se créaient les clairières. Les grands-parents d’André Floriot, originaires de Fresnes-sur-Apance, en Haute-Marne, ont envoyé leurs huit garçons travailler à La Rochère. Puis ils les ont rejoints. André Floriot a commencé à travailler en 1949, à l’âge de 14 ans. Il n’y avait pas que les gamins qui tendaient le « gamin », les verriers âgés, qui n’avaient plus la force suffisante, mais devaient continuer à travailler, le faisaient aussi. Les apprentis allaient porter les verres à l’arche. Le porteur à l’arche pesait les verres, pour vérifier leur contenance, et les comptait en utilisant une grille à cinquante trous, où il promenait une fiche en fer. On réveillait le chauffeur de l’arche quand le feu baissait.
On mesurait au compas la longueur de la jambe du verre, depuis le fond de la paraison jusqu’au bord du pied. André a commencé à fabriquer les pieds avec son père, poseur de jambes, qui avait lui-même commencé à travailler à 12 ans. Quand l’inspection du travail s’annonçait, on envoyait les gamins jouer sur le terrain de foot. La mailloche est taillée de préférence dans un bois de bouleau, assez tendre et qui ne raye pas la poste.
André a suivi les cours de l’école de verrerie de Croismare, à côté de Lunéville. À son retour, à 18 ans, il est passé mouleur.
On appelait « chantier » l’équipe des gobeletiers, mais « place » celle des verriers qui fabriquaient les verres à jambe et à pied. Le poseur de jambes était le chef de place.
André Floriot nous explique la difficulté de la fabrication du bouton de couleur sur la jambe du verre, et ce qu’était le cochonnet. Il a fini sa carrière en confectionnant les bouchons de carafe.
La charpente de l’ancienne halle des verriers, devenue le magasin, qu’on appelle aussi « le hallier », aurait été construite par des bagnards, qui l’ont conçue comme une coque renversée de bateau. La différence de température entre l’été et l’hiver pouvait osciller entre l’eau qui gelait sur place et + 80 °C. La place était peu éclairée, et ressemblait à une fourmilière, où les cent vingt verriers se croisaient en un ballet où les gauchers n’avaient pas la tâche facile.
On travaillait six jours sur sept, à partir de quatre heures moins le quart le matin, jusqu’à cinquante-deux heures par semaine. Les ouvriers ont réussi à interdire l’alcool dans la verrerie. Les sobriquets n’ont plus cours non plus. L’ambiance à la verrerie était assez fraternelle. Si une bagarre se déclenchait dans le village, où cinq cents personnes habitaient, tout le monde s’en mêlait. Entre La Rochère et Passavant, le village le plus proche, c’était un peu La Guerre des boutons.


Colette et André Floriot – Exergue


Colette et André Floriot, et Daniel Floriot – L’Emplacement des verreries


Colette et André Floriot – Étapes du travail du verre


Colette et André Floriot – Porter à l’arche


Colette et André Floriot – Le Gamin


Colette et André Floriot – Cueiller les jambes, cueiller les pieds


Colette et André Floriot – Marbre ou mailloche


Colette et André Floriot – Croismare


Colette et André Floriot – Le Soufflé au pouce


Colette et André Floriot – Les Défauts du verre


Colette et André Floriot – Ferret, poids des cannes et gauchers


Colette et André Floriot – Battage des cannes et groisil


Colette et André Floriot – Le Pontil


Colette et André Floriot – Le Chef de place


Colette et André Floriot – Les Jambes tirées


Colette et André Floriot – Les Boutons de couleur


Colette et André Floriot – Le Cochonnet


Colette et André Floriot – Le Verre bullé


Colette et André Floriot – Le Verre craquelé


Colette et André Floriot – Astuces de verriers


Colette et André Floriot – Cristal et opaline


Colette et André Floriot – Le Verre multicouche


Colette et André Floriot – Les Pétrelles


Colette et André Floriot – Les Bouchons de carafe


Colette et André Floriot – La Charpente et le froid


Colette et André Floriot – Sangliers et renards


Colette et André Floriot – Le Verre mécanique


Colette et André Floriot – L’Alcool au travail


Colette et André Floriot – La Bousillerie


Colette et André Floriot – Le Chemin du Canné


Colette et André Floriot – Des personnages et des sobriquets


Colette et André Floriot – Le Village de La Rochère


Colette et André Floriot – Une histoire familiale


Le précédent chapitre : « On a toujours eu des chats qui ont atterri ici. »


Nous remercions vivement les personnes qui nous ont confié leur parole :
Guy Roussey, René Buchetet, Denis Lutz, Thierry Mourot et Jo Ferreira, Dominique Toussaint, Jean-Michel Jedele et François Renon, Anne Parat, Cécile Giraud, Daniel Floriot, Edwige Boband, Frédéric Gonzalez, Luis Ferreira, Francine et Bernard Peigney, Marie-Ange Floriot, José Ferreira, M. et Mme Ruiz Dominguez, Philippe Jacquot, Sandrine Thary, Agnès Marceau, Marjorie Louis, William Perardot et Vincent Martial, Sandrine Bechinger, Valérie Mourot et Marie-Ange Floriot, Colette et André Floriot.
Hélas Daniel Floriot, André Floriot sont aujourd’hui disparus.

Je remercie Monsieur Antoine Giraud, et Madame Cécile Giraud, sa fille, de m’avoir accueilli à la verrerie-cristallerie afin de mener à bien, en toute liberté, ce documentaire.
Je remercie le Conseil régional de Franche-Comté, le Centre régional du Livre de Franche-Comté, la Société civile des auteurs multimédia (Scam).

Catherine Gardone et moi-même remercions vivement Patrick Chatelier et le site remue.net d’avoir bien voulu accueillir notre travail issu de nos résidences respectives à la verrerie-cristallerie de La Rochère et aux forges de Syam, en Franche-Comté.

Xavier Bazot


Bibliographie

Gérard Triboulot (verrier à Portieux), Le Cri du verre, Imprimerie du Capucin, 1979.

Michel Chabot, L’Escarbille, histoire d’Eugène Saulnier, ouvrier verrier, Presses de la Renaissance, 1978.

Noël Barbe, Verrerie et cristallerie de La Rochère, musée des techniques et cultures comtoises, 1999.


D’autres documentaires audio sont accessibles en libre écoute :
sur le site du Conservatoire d’espaces naturels Centre – Val-de-Loire, autour de la carrière Chéret :
https://www.cen-centrevaldeloire.org/regards-croises-sur-la-carriere-cheret

Sur le site de La Marelle, autour de la communauté assyro-chaldéenne de Marseille, de l’histoire d’une famille en Algérie, de la vie d’Élodia Zaragoza-Turki, et du bateau qui joint Marseille à Tunis :
https://www.la-marelle.org/?s=xavier+bazot

16 mai 2020
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