Les Grandes Soifs

[@« Â Une fois que le promeneur a choisi son terrain, il doit se mettre àrôder calmement  », Joë l Cornuault


Joë l Cornuault apprécie les à-côtés, les brèches, les chemins de traverse, les rues peu passantes, les impasses silencieuses et autres lieux apaisants où il peut flâner en essayant de ne rien rater de ce qui se présente àlui. Il s’arrête sur des objets, des détails, des signes du temps, des curiosités qu’il interroge (et qui lui parlent). Ainsi se trame son livre, conçu àl’écart des grandes routes, qui va quêter un peu d’émerveillement, d’insolite, de secrets dissimulés làoù il est encore possible de s’émouvoir. C’est le cas aux alentours du village de Besse où, y séjournant quelques jours, il constate, au fil de ses promenades, que l’harmonie entre le passé lointain et géologique du territoire et son aspect actuel, façonné par le travail de ceux qui y vivent, a en partie été préservée.

« Â Ici, les pioches, les binettes, les haches et les faux dont se dotèrent les paysans pour défricher et cultiver les solitudes montagneuses, les petits troupeaux qu’ils élevaient, ne devinrent pas dévastateurs. Malgré les abattages, malgré l’ouverture des carrières, les outils, pourtant actionnés par de nombreuses générations, ont exercé leurs effets sur l’organisme naturel sans trop de brutalité.  »

Partout où il pose ses pas de promeneur attentif, l’écrivain a une pensée particulière pour ceux qui ont participé àla lente transformation des endroits qu’il découvre. Derrière ces changements, il y a, parmi une multitude d’anonymes, des personnalités, des artisans qu’il nomme et qu’il replace dans leur époque. Gabriel Davioud, l’architecte d’Haussmann, àqui l’on doit l’invention des bancs de bois àdossier plat, est de ceux-là.

« Â C’est dans les allées du square de La Chapelle que je crois avoir connu mes premiers bancs publics. Les sièges en bois àdossier droit, soutenus par des montants de fonte fleuronnés aux armes de la ville, étaient alignés le long des grilles.  »

Un peu plus loin, il s’attache au « Â lyrisme des ferronneries  ». Celui-ci ne peut s’offrir qu’àceux qui vont par les rues en accrochant leur regard àces détails vrillés, ciselés, de différentes formes (papillons, feuilles, oiseaux, fleurs, etc) qui ornent discrètement portes, fenêtres, volets, façades ou grilles. Il remonte le temps. Si ces ornements ont beaucoup vieilli, il les conserve néanmoins dans cette immatérielle boîte àrêveries où il lui arrive de puiser fréquemment pour se ressourcer, pour retrouver un peu d’enfance, pour respirer plus calmement, pour se rapprocher d’un ami disparu (Pierre Tesquet) ou pour dialoguer, ànouveau, via les livres, avec Dhôtel, Reclus, Breton, Delteil, Fourrier, Leopardi, Gracq ou Caillois.

« Â Je m’aperçois que, depuis plusieurs années maintenant, je mentalise de plus en plus le monde et la vie. Je les double de lectures ; je leur juxtapose des songes poétiques, je collectionne des images de ma confection en vue de m’établir au plus près de moi.  »

Les Grandes Soifs ouvrent àdes mondes insoupçonnés et familiers (qui sont au coin de la rue ou au bord du talus) en invitant àla promenade, au pas de côté, àla lenteur, àl’errance, àla simplicité et àla réflexion.


Joë l Cornuault : Les Grandes Soifs, éditions Le Cadran Ligné.@]

[#Jacques Josse#]
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28 juin 2022
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