Paris

Mathilde F. enseigne le français au lycée Jacques-Decour à Paris à un groupe d’élèves venant d’horizons divers, dont huit récemment arrivées, arrivés d’Ukraine. L’enseignement consiste en 26 heures hebdomadaires de cours dont 15 heures de français.
Merci à elle d’avoir accepté d’ouvrir sa classe et à ses élèves ukrainiennes et ukrainiens d’avoir accepté de répondre à quelques questions.


Je m’appelle Denys, je m’appelle Yevhenii, je m’appelle Maksym, je m’appelle Anna.
J’ai 15 ans, j’ai 16 ans, j’ai 17 ans, j’ai 16 ans.
Je suis venu en bus de Lviv, le voyage a duré deux jours. Je suis venu en bus de Kyiv, le voyage a duré trois jours. Je suis venu en voiture depuis Odessa. - le voyage a duré quatre jours. Je suis venue en bus à travers la Pologne et l’Allemagne - le voyage a duré trois jours.
J’ai voyagé en famille. J’ai voyagé avec ma mère et mon frère. Avec ma mère. J’ai voyagé toute seule.
J’étais d’accord pour partir. J’étais d’accord. Je ne voulais pas partir. J’étais d’accord pour partir.
Nous avons été bien accueillis. J’ai été accueilli par une tante qui vit à Paris. L’accueil a été très amical. J’ai été très bien accueillie.
Je suis là depuis sept semaines. Depuis le 8 mars. Le 13 mars. Je suis là depuis deux mois.
Je loge en appartement. Dans l’appartement de ma tante et avec sa famille. J’habite chez ma tante. J’ai été logée en hôtel, puis dans un foyer, puis dans différents appartements.
Je ne connaissais pas le français. Moi, un peu. Je ne connaissais pas le français. Moi non plus.
C’est difficile mais tout va bien. C’est difficile. C’est assez difficile. C’est à la fois facile et difficile.
J’ai des contacts avec les autres. Oui, j’ai des contacts. Oui. J’ai des contacts, en effet.
Je raconte des choses que j’ai vécues aux autres Je ne raconte rien. Je raconte des choses. Je parle avec mes parents.
Je rêve de l’Ukraine. Je fais des rêves de là-bas. Je rêve, oui. Je rêve de l’Ukraine quelquefois.
Je suis en contact avec des gens restés là-bas. Oui, je suis en contact. Oui, avec mon père et mes grands-parents. Oui, je suis en contact avec des personnes restées là-bas.
Je n’ai pas d’expérience de la guerre. Je n’ai pas cette expérience. Non, je n’en ai pas. Il n’y a que des émotions négatives, la peur, la déception, la tristesse.

En Ukraine, on a appris l’anglais mais pas le français. Le plus difficile, en français, c’est l’accent. Les genres aussi, le féminin, le masculin, l’article - en ukrainien il n’y a pas d’article. Et la conjugaison, les verbes irréguliers.
On connaît la pop anglo-saxonne mais pas la chanson française. Enfin moi je connais une chanson de Zaz, « Je veux ». Et moi, le groupe Vive la fête.
On avait entendu parler de la tour Eiffel, mais ce n’est qu’une tour au fond. La nuit avec les lumières c’est beau, mais le jour, c’est banal. Et les Champs-Élysées… j’imaginais quelque chose de beau et j’ai été déçue, c’est une simple avenue.
Moi j’aime les Tuileries, moi, le Palais-Royal et les colonnes Buren, le jardin.
J’aime le parc des Princes. Moi j’aime le PSG.
J’aime la peinture, la Joconde. J’aime l’Opéra Bastille, la place de la République. J’aime Notre Dame. Et moi le Sacré-Cœur. Moi les façades, l’architecture de Paris.

Je m’appelle Mila, j’ai 15 ans. Je suis arrivée à Paris en voiture avec ma famille. Le voyage a duré plus d’une semaine. Je suis venue avec ma mère et mon frère. Mon père est ukrainien, aussi, mais vit en France depuis sept ans. Nous sommes allés d’abord chez lui, à Nice. Mais son appartement était trop petit. Alors nous sommes venus à Paris. J’étais d’accord pour partir d’Ukraine. Nous avons été bien accueillis ici. Nous avons rencontré quelqu’un qui était là pour nous aider. Nous sommes allés à la préfecture faire les papiers nécessaires. Et ce nouvel ami nous a trouvé un appartement pour un mois. L’appartement était moyen. Mais l’essentiel était d’avoir échappé à la guerre en Ukraine et d’être sains et saufs. Quelqu’un d’autre nous a aidés à trouver des hôtels. Et quelqu’un d’autre encore nous a trouvé un appartement pour deux mois. C’est formidable, toute l’aide que nous recevons. Je suis en France depuis le 7 mars et à Paris depuis le 18. Je ne connaissais pas le français. Je viens de commencer à apprendre la langue - ce n’est pas facile mais j’y travaille, j’apprends. J’ai des contacts avec les autres élèves. Je raconte aux autres ce que j’ai vécu. Bien sûr l’Ukraine me manque vraiment mais j’essaie de prendre notre arrivée ici comme une opportunité. Je suis en contact avec les gens restés là-bas. Nous avons échappé à la guerre le deuxième jour, mon expérience n’est donc pas très grande - je suis contente qu’on ait pu arriver ici sans rencontrer de grands problèmes.

Je m’appelle Kseniia, j’ai 16 ans. Je suis partie en bus de Dnipro et suis passée par Lviv, puis la Pologne, puis Paris. Le voyage a duré quatre jours. J’ai voyagé seule. J’étais d’accord pour partir. Au début, je ne voulais pas quitter mon pays - je ne voulais pas laisser ma mère seule. Mais elle pensait que c’était la meilleure solution pour moi, pour que je sois en sécurité. Donc j’ai accepté de partir. J’ai été accueillie chaleureusement à mon arrivée ici. Je suis là depuis près de deux mois et je loge dans l’appartement d’amis de ma mère. Je connais un peu le français. C’est possible de l’apprendre et pas si difficile - j’aime beaucoup cette langue. J’ai des contacts avec d’autres élèves. Je ne peux pas expliquer ce que j’ai vécu avec des mots, c’est terrible, je ne veux pas ressentir d’émotion. J’aimerais qu’on gagne ! Je suis en contact avec les gens restés là-bas. Il y a eu des tirs, à dix mètres de moi, la fusée est passée au-dessus de la tête de ma mère et est tombée tout près d’elle, ma maison a pris feu, je n’ai pas d’endroit où revenir, je n’ai plus de chez moi.

Je m’appelle Anna et j’ai 15 ans. Je suis arrivée d’Ivano-Frankivsk en bus. J’ai franchi la frontière avec la Pologne et je suis arrivée à Paris. Le voyage a duré 25 heures. La frontière, on a pu la traverser avec un ami de ma mère puis on a continué le voyage seules toutes les deux. J’étais vraiment contre le départ mais j’ai fini par accepter. Nous avons été bien accueillies. Je suis ici depuis le 8 mars. On habite dans un studio. Je ne connaissais pas le français. Au début l’apprentissage était très difficile mais c’est devenu plus facile avec le temps. Il y a beaucoup d’Ukrainiens dans ma classe et je me suis fait de nouvelles amies, de nouveaux amis. Quelquefois je leur raconte ce que j’ai vécu. Je rêve de revoir ma famille et mes amis. Je communique avec mes amis et ma famille et avec mon beau-père qui est sur le front maintenant. J’ai peu d’expérience de la guerre car j’habite la partie occidentale de l’Ukraine et là, il n’y avait pas de combats, là, mais quand l’aéroport a été bombardé, je n’étais qu’à quelques kilomètres et j’ai entendu les bombes exploser.

Je m’appelle Yeva, j’ai 17 ans. Je suis venue de Kharkiv, je suis mannequin, et je suis arrivée à Paris pour la Fashion Week, une semaine avant que la guerre éclate. J’ai fait le voyage en avion - puisque c’était avant la guerre. Cela n’a duré que trois heures. J’ai voyagé seule. Je suis là depuis le 17 février. Je ne parlais pas français. J’aime apprendre cette langue, ce n’est pas très difficile et c’est intéressant. J’ai des contacts avec les autres et suis contente d’avoir des amis français en plus des élèves ukrainiens de ma classe. Je raconte des choses, même si je n’ai pas vu la guerre, je sais comme il est difficile de savoir que votre famille vit toujours là-bas et de s’inquiéter pour elle chaque jour. Bien sûr, je rêve de l’Ukraine et je voudrais rentrer le plus vite possible même si j’aime bien Paris. Je suis en contact avec ma famille et mes amis là-bas chaque jour, à chaque instant. J’ai la chance de ne pas avoir d’expérience de la guerre, mais je m’inquiète pour ma famille et mes amis.

Je m’appelle Nikita, j’ai 16 ans. Je suis arrivé à Paris pour continuer mes études, il y a un mois et demi. Je suis venu en voiture. Je suis parti de Kyiv et je suis passé par la Pologne, l’Allemagne et enfin la France. Le voyage a duré deux jours. J’ai voyagé avec ma mère et j’étais d’accord pour partir. C’est ma sœur qui nous a accueillis. Elle habite à Paris depuis longtemps. J’habite dans un appartement, il a été facile de le trouver grâce à des amis. Nous avons déménagé au bout de deux semaines. Avant, je parlais déjà un peu français, mais seulement quand je rendais visite à ma famille. Apprendre le français, ça va. J’ai des contacts avec les autres élèves. Je pense que je rêve de l’Ukraine, oui. J’ai des amis qui sont restés là-bas. Je leur parle au téléphone. Pas de messages par pigeons voyageurs. J’ai vu quelque chose de la guerre mais je préfère ne pas en parler.

24 mai 2022
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