Un rapport partagé à la création

Julien Viteau de la librairie Vendredi (Paris 9).
Résidences de Cécile Wajsbrot (2021) et Marcelline Delbecq (en cours).


Pourquoi, en tant que librairie, avoir décidé d’accueillir une résidence d’auteur ?
Pour nous, la résidence d’auteur est une évidence autant qu’un parti-pris. Nous entretenons des relations d’amitié et d’estime avec quelques auteurs et autrices. Nous suivons, quelquefois, l’écriture des livres bien avant leur édition (cela est encore plus vrai, sans doute, pour la poésie, les traductions et les romans). La résidence d’auteur était une manière de prendre une part plus concrète à cet accompagnement.

Qu’est-ce qui vous a incité à choisir cet auteur en particulier ?
Le choix de Cécile Wajsbrot s’est fait naturellement. J’ai été au-devant d’elle pour la solliciter. Le travail de Cécile Wajsbrot (tant comme traductrice que romancière) est pour ainsi dire « doublé » d’un questionnement intègre et profond sur le livre qui se lit, se traduit et s’écrit. J’ai senti que je pourrais devenir un meilleur libraire en la regardant travailler et en parlant avec elle. J’ai perçu la possibilité d’une réciprocité qui s’est vérifiée dans les entretiens que nous avons menés pour Remue.net. Ces entretiens m’ont permis de clarifier beaucoup de choses et forment un témoignage authentique sur notre rencontre.

Comment se passe l’accueil d’un auteur en résidence dans une librairie ? Comment cette collaboration se construit-elle, et comment évolue-t-elle au jour le jour ?
L’accueil d’un auteur se passe simplement et sa qualité repose sur la définition en amont d’un projet de résidence. Isabelle Reverdy et Laurence Vintejoux, de la Région Île-de-France, ont été d’une grande aide pour nous aider à clarifier les attentes institutionnelles et nous offrir une liberté dans ce cadre. Nous avons construit chacune des étapes de la résidence au fur et à mesure dans un dialogue permanent. J’apprécie, particulièrement, le fait que la Région n’exige à aucun moment que l’auteur se transforme en « animateur d’atelier d’écriture » ou en « médiateur socio-littéraire ».

Que vous apporte, à tout niveau, la présence de l’auteur ?
Sans provocation, il n’y a pas une si grande différence entre l’auteur ou l’autrice et le libraire. Il y a une « auctorité » du libraire en un certain sens. Aussi, la présence de l’auteur est une manière de partager ce rapport à la création – l’un et l’autre étant à la poursuite d’une œuvre (d’auteur ou de libraire, donc). J’ai dans l’idée que nous travaillons le même objet (la langue) mais avec nos moyens propres. C’est un voisinage qui s’installe. Avoir de bons voisins, cela rend heureux.

Y a-t-il des différences entre les rencontres et lectures publiques habituelles, et celles organisées dans le cadre d’une résidence ?
La principale différence a été la possibilité de proposer un cycle de rencontres autour de la traduction, préparé par Cécile Wajsbrot. Cette préparation a considérablement enrichi la qualité des participants et participantes ainsi que la valeur des discussions.
Nous proposons deux à trois rencontres par mois (et nous disposons d’un lieu dédié à cela) mais ce nombre ne permet pas toujours d’être aussi pertinent dans l’animation de la rencontre, souvent improvisée.

Cette proximité prolongée avec un auteur change-t-elle votre regard sur son travail ? et sur le processus de création littéraire en général ?
Sans doute parce que je suis aussi éditeur (Les éditions du Linteau, les Editions de L’extrême contemporain), je ne conçois pas l’écriture comme une « boîte noire ». Je ne peux pas dire que mon regard a changé en général mais qu’il s’est enrichi d’une nouvelle expérience. Je suis certainement un meilleur lecteur de Cécile Wajsbrot et cela suffit à justifier cette résidence.

Et qu’apporte, selon vous, ce genre de résidence à l’auteur, du point de vue de son travail de création ?
Je ne peux pas parler à la place de l’auteure, mais je suppose que la bourse de la Région offre une respiration matérielle. Quand on songe à la faiblesse de la marge du libraire, une fois le livre vendu, on peut mesurer ce qui revient à l’auteur finalement. On n’écrit pas pour gagner de l’argent et il faut bien souvent en gagner pour pouvoir écrire. C’est une fatalité à laquelle je ne parviens pas à me résoudre.

Cette expérience débouche-t-elle sur des suites possibles ?
Si l’amitié est une suite, oui sans aucun doute. Et pour le reste, nous avons des projets communs d’édition et de traduction.

4 janvier 2022
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