Sharon Olds | Odes
Odes, de la poète américaine Sharon Olds, a paru aux éditions Le corridor bleu, en 2020, dans la traduction de Guillaume Condello.
Nous vous proposons ici deux poèmes, en version originale et dans la traduction française, pour accompagner l’entretien que nous publions en parallèle, et qui porte sur la traduction de ce livre important.
SB
ODE DU DÉCOLLETÉ FANÉ
Quand j’ai vu ça pour la première fois,
j’étais stupéfaite qu’on puisse sortir de chez soi
et exposer ça – ces lianes et ces serpents,
ces rides, ces tortillons de cous d’oisillons !
Stupéfaite d’imaginer que j’avais passé sur un ancêtre
de cette chose – si un décolleté fané est bien
le descendant de seins jeunes et fermes –
certaines des premières heures de ma vie,
que j’y avais appris à adorer les courbes crémeuses
de la lune. Chez ma mère, le désir d’être touchée,
sur ses vieux jours, était si intense que je pouvais
presque l’entendre, comme le gémissement des cent
bosselettes autour du téton, chacune semblable à
une gomme rouge-rose, vivante et affamée.
Et aujourd’hui, je suis ma propre pente comme
un torrent en crue, et si je vis assez longtemps,
ma poitrine, sur mon sternum, ressemblera peut-être
à un organe, un cœur traînant derrière lui
veines et artères. Je veux louer
ce qui disparait et qu’on ne peut jamais rattraper.
Je veux vivre assez vieille pour avoir l’air
à peine humaine, je veux les aimer
autant l’une que l’autre, la naissance et sa fille et
mère, la mort.
ODE OF WITHERED CLEAVAGE
When I saw it for the first time,
I was baffled that anyone would walk out her door
showing that—the vines, the snakes,
the ripples, the nest of nestlings’ necks !
And to think that on an ancestor
of that—if withered cleavage is
a descendant of fresh, young breasts—
I had spent some early hours of my life,
learning to adore the curves of the creamy
moon. My mother’s desire to be touched,
late in her life, was so intense I could
almost hear it, like a keening from the hundred little
purselets of each nipple, each like a
rose-red eraser come alive and starvacious.
And now my own declivity is
arroyoing, and if I live long enough
my chest over my breastbone may look like
an internal organ, a heart trailing its
arteries and veins. I want to praise
what goes one way, what never recovers.
I want to live to an age when I look
hardly human, I want to love them
equally, birth and its daughter and
mother, death.
ODE AU PIN
J’étais assise au sommet d’un mur – est-ce que tu peux
te rapprocher encore de l’arbre, dit-il, et donc je me suis
mise à quelques centimètres du tronc du plus grand
des arbres parmi lesquels nous étions de petits enfants
dans les jambes des grandes personnes.
Là, ma joue touchant presque
l’écorce, intime,
je voyais où la croissance avait fendu la
surface en losanges de bois, comme des
vergetures, je ne l’entendais pas respirer
mais je le sentais vivant contre moi, une énorme
fourmi descendait, s’arrêtant, levant
ses antennes dans l’air qui nous séparait, repartant
si vite qu’elle semblait tomber
vers le haut. Alors j’ai regardé, en haut, le long
du tronc nu, vers la canopée,
jusqu’aux aiguilles, bouquets d’éventails déployés
mordant sur le soleil. La hauteur du tronc était comme
un courage, une volonté inflexible,
une note solitaire et soutenue, comme le cri
prolongé d’un ténor, comme si un arbre était
un jaillissement de terre, un épanchement du cœur.
Les fourmis s’écoulaient, de la terre au ciel,
du ciel à la terre. Je ne sais pas où elles
étaient, ou leurs ancêtres, le midi
où la tornade s’est déchaînée, un mur d’eau
avançant à deux cents kilomètres à l’heure,
furieuse masse grise d’électricité statique.
L’arbre a tenu bon. Et maintenant je suis assise, droite,
à ses côtés, remontant à tâtons
d’espèces en espèces, jusqu’au pin, jusqu’à
celle dont nous descendons tous les deux, la
fougère, la pile écologique du soleil,
la poussière d’étoiles dont nous sommes faits.
PINE TREE ODE
I was sitting on the top stones of a wall—can you
get even closer to the tree, he said, so I went
inches from the trunk of the tallest of the ones
we’d been standing among like small children
among the legs of the grown-ups.
Now, the side of my face was almost
against the bark, intimate,
I could see where its growing had pulled its surface
open, into wooden lozenges, like
stretch marks, I could not feel it breathe
but I felt it alive beside me, a huge
ant running down, and stopping, and turning
its feelers, in the air, between us, and then
walking so fast it seemed to be pouring back
up. Then I looked, up, along
the branchless stem, into the canopy,
to the needles fanning out in bunches
eating the sun. And the length of it seemed like
bravery, like strong will,
a single, whole, note, like a tenor’s
cry, sustained, as if a tree were
a spurt from the earth, a heart’s gush.
And the ants flowed from ground to sky,
sky to ground. I don’t know where the ants
had been, or their ancestors had been, the noon
the tornado came through, wall of water
a hundred and thirty miles an hour,
solid ferocious grey static.
The tree stood. And now I sat up straight
beside it, feeling my way back
through species, and species, toward the pine, and toward
the ones we both descended from, the
fern, the green cell—the sun,
the star-stuff we are made of
Sharon Olds, ODES, Traduction de l’anglais (américain) par Guillaume Condello, Collection S !NG.
ISBN 9782914033855
En complément : Traduire les Odes de Sharon Olds, un entretien entre Guillaume Condello, traducteur, et Sereine Berlottier.