Climax, Général Instin

Palimpseste et « Œuvre à sept mains » au moins, devenues neuf et plus, jointes et mêlées, de fidèles instiniens et instiniennes (Sereine Berlottier, Guénaël Boutouillet, Nicole Caligaris, Patrick Chatelier, Marc Perrin, Benoît Vincent, Laurence Werner David, mais aussi Gilles Duval, Frédéric Laé et bien d’autres), Climax, sous-titré Une fiction, encore ? est un conte (dé)colonial, colonisé par l’esprit, les troupes, les mots du Général, sorti le 16 novembre 2015 en même temps que l’Anthologie Général Instin, et qui inaugure avec elle la collection Othello chez Le Nouvel Attila.

« Ainsi vous saurez comment, sans bouger de votre bureau où je me suis enfermé, j’ai pris part au voyage. »

Prologue. Rapport d’un rapport, de la base au sommet, ventri-/perpendi-culaire, assis et divers dans son expression, scripturaire et vertichorizontal, le sang aux tempes et le cœur à l’ouvrage, mais pas tant. De l’aide de camp à son Général, du Général au particulier que nous sommes, en somme. Journal sans mois, dont les dates s’égrènent hors-saison, sur dix lunes ou à reculons — dérèglement climacique, déchronologique, affaire chinoise et supplice de même. Semper fi, mais à qui ? Le Général ne sort pas de sa roulotte. Tous lui ont juré (« prêté serment, un par un ») de ne rendre de compte à quiconque, aide de camp compris, hors l(‘h)ui(s). Tous, tous sont, à l’image de leur mentor, peut-être morts sur la colline ici ou . Ou bien vivants, nez en moins, gueules cassées, marqués au faire de la geste du GénéralInitials GI.

« L’escouade s’est donné un nom. J’ai réussi à obtenir ce nom, Général, puisque, comme le dit le détenu, la mission est terminée et ce nom désormais obsolète. Climax. Je n’ai rien su de plus. Climax, ce n’est personne et chacun de ces hommes. Et l’ensemble de ces hommes. »

Que les espaces vibrent, que les langues se déli(t)ent, que les voix résonnent de l’écho des pays. Climax dans le Climax, entre appréhension et nostalgie, le récit qui suit res(t)itue la tentative désespérée d’un homme à percevoir en tous (ses) sens, pour mieux s’y raccrocher, cette vie (êtres et paysages, éléments) qu’il s’apprête à quitter. Intrus d’un autre temps, d’un autre lieu, de l’Empire passé et de celui à venir. Empruntant sentiers [ra(s)]battus et chemins de traverse sur la trace de Trajan, la piste des Hopewell, aux côtés de ses co-reli/légionnaires. L’océan pour tout repère, et le mur, bien entendu. Soldat de p-ère/-air, (d’eux) inconnu. Barbare dressé contre d’autres barbares. Etranger parmi les étrangers, poussé vers d’autres encore, sa femme pour toute patrie — parti.

« — Ce n’est pas la première fois que vous partez, dit mon jeune voisin avec qui je fais le tour de la maison.
— Pour fortifier une frontière, c’est la première fois. »

Soudain, la frontière (picte, pictogrammes et signes de piste). Check point, laissez-passerStop. (Se) Retenir (soi et l’autre que l’on emporte avec soi). L’apatride tenu (garde) au secret évolue à/élabore l’intérieur d’une tour de Babel et de guet dont l’architec-ture/-tonique caresse et menace — Panegyric Bridge. Résonances, échos, éclats, réverbérations (« Tremblements des fréquences, grand branle des tambours et des fifres »), esprits murés dans un silence (en)tendu, « nous sommes une fine membrane au plus lointain de chacun des corps »), jusqu’au mur qui les renvoie de là où ils sont => à là (d’où) ils vont désormais (et viennent). On sait où l’on est (/naît), pas quand (on arrive) — « Monter sera toujours un mouvement musical ».

« Il s’est produit une ouverture dans la jonction sol / ciel, ça tremble, voilà ce qui me met debout, une ouverture dans la ligne qui finit la terre, c’est la source, origine du départ. »

Le vide appelle, c’est le lâcher de bourdons. Défilé. Sons. Off. Anarchie. Fil(s) de l’histoire. Petit h. Qui tranche, hache, trace, trash. Marche, esprit de Corps — des nuées de sens. Polysémie du jargon militaire qui s’empare de la langue, se fond dans la campagne que les soldats font et traversent, con-tagion/-quête, loi du tal(i)on : « Nous sommes légion en marche. » [Rome> Sparte. LQR – LTI = SPQR soit Virtus +/-Pharmacopée CQFD]. Delenda Carthago, et l’herbe qui repousse, ou pas. L’ombre de Spinoza propulsée plus loin (=> in China) par Marc Perrin, l’éclairage de Benoit Vincent, de ses inventaires phytosociologiques (Le cimetière, Textopoly 6, in Général Instin, Anthologie), du Nouvel Attila. Et « d’autres livres sensiblement différents dont l’écriture n’a pas connu son terme », sinon là.

« J’avance, nous arrêtons de penser, nous oublions de comprendre (…) Et nous portons chacun à notre tour la face de Climax. »

Vision son sens ouïe nom odes heurts vide. Deux po(i)nt(,) de(ux machina) suspension : Panegyric Bridge. Epochè, époque et, poqués là sans. Plus de point (check [x]), de murs. Sinon pour achever la naissance d’un, d’Une. Révolution, profession de foi. Parler pluriel, à la première personne que l’on voit. S’ouvrir à d’autres. Voi-x-es en corps, regards croisés sur la langue et la peau. Tambour étrange et. Nous [=]sommes. Ça vient. Forces anciennes, élémentaires, qui font la différence. Ça vient. Comme une (dé)possession, un sur-joui-/gi-ssement. Ça vient. « Je suis [au propre comme au (dé)figuré] le Général. » Instin. Qui t-/v-ient, saisit, s’empare de. La parole, la ligne.

« Nous modifions les perspectives. Sans cesse. Nous modifions le parcours. Nous modifions la fin et le sans fin. Nous modifions la marche et nous défaisons la fin. »

Le bleu miracle entre ciel et terre. Voyage initiatique, sy-/cé-nesthésique. Faire un, puis deux. Nous, et non je. Refuser le pouvoir, se libérer du connu, de la séparation — « Quand un dit je, il annexe un territoire ». Cartographier (« La carte est un livre »). (S’)Inventorier pour mieux (s’)inventer. Sur les chemins sinueux, désormais dégagés, « dans l’ignorance qui nous fonde, nous avançons ». Colon-ialisme, messi-/on- anisme, annexions, geo-/pseudo-/néo-/real-politik. Sous-la-sur-face (« car ici tout est plat »), la carte est la terre idoine, terreau du possible où se terre le réel quand l’esprit d’escalier a été réduit, nivelé, mis au pas — « Nous avons apprivoisé l’imaginaire. » Amours adultères, troupières, présomptions fantoches du colon.

« Maintenant j’ai cette victoire à dresser, élément par élément, un mur (…) L’œuvre commence plus bas que terre, par une tranchée qui leur a causé du tracas. »

De l’autre côté, l’inculte, les ronciers, la salive. D’une phrase qui fait écho (effet), revenir à la genèse (des faits), aux modes d’existence sui generis des ob-/su-jets généraux et instiniens. A l’IG (Intelligence Générale) des lieux dits du GI (toponymie façon IGN). Au Climax instauré, aux (pré)textes invoqués. Convoquer Le monde comme fantôme (collectif) et comme matrice / comme volonté et représentation. Revoir Rim-bau-del-(appolin)aire, fantas(ti)que fantassin en uniforme parnassien, montrant deux trous rouges au côté droit (l-e/-a Somme (-il de plomb et bon pied tout de même)). De nouveau du courant. De nouveau (s’)éprouver, s’abymer – O Mort, vieux capitaine (..) plonger au fond du gouffre (…) de l’Inconnu pour trouver – ou prouver. Qui sait quoi.

« Tu commences à ressembler à quelque chose, un grand, long mur encore grossier, bâti de pieux et de palissades, mais une idée tout de même (…) une fière idée en train de prendre tournure (…) ou encore un récit »

L’animal est sur mon cou, je suis son rire. Memento Mori (« Je forme l’espace à ma façon, memento. »), adresse et testament, sous l’arc et dans l’arène : au pied du mur. Du père, à la fille, à l’empereur révolu. A la triade. Souterraine, chtonienne, plébéienne c’est tout un – tombeau et totem dédié aux divinités tutélaires. Dévo(ra)tion, assimilation. Annihilation de l’identité, du nom. Du père zébré, la peau brûlée par mille soleils (« Quelque chose de chimique a changé ma formule »). Deux fois dans le même fleuve et tout ça. Rubicon(d), mais pas tant. Thrène à la mémoire des victimes, « innommable concert dissonant de races. » Civilisation. Réminisc(i)ence d’un monde/d’une condition humaine qui. Empire.

« Toute notre entreprise est hospitalité. Toute notre entreprise est hostilité. Accueillir est notre passion et notre passion nous ronge. Accueillir l’étranger, assigner l’inconnu »

Dessiner au soleil son arène. Ecrire au Général en particulier, recevoir de lui, peut-être, une lettre ou deux (GI). Rêver les nuits, conter les jours qui se rassemblent (« Tous les murs sont détruits. Les premières lueurs du jour apparaissent. »), nous séparent encore du temps des c(e)rises. Et revenir au présent, aux parallèles et méridiens, aux quarantièmes rugissants, quand la tempête revient à l’ouest (rien de nouveau, remarque). Au syncrétisme, à la novlangue, à la confusion entretenue depuis Spengler entre culture (une gangue) et civilisation (une fosse). A quelque chose d’antique et donc de très contemporain, où se rejoignent Gracq(ues) et macro(éco)n(om)ie. A l’obsession de la (sauve)garde, du mur, cette trumperie. Qui sclérose et craque. A la peur de l’autre, de la sédimentation et de la sédition à l’œuvre.

« Il a écrit partout, il a écrit sur ses vêtements, sur tous les tissus qu’il a trouvés. Il a écrit sur le sol, sur les feuilles larges des consoudes, sur le tronc des hêtres. Il a écrit debout, allongé, tordu, il a écrit partout, sous la pluie ou le soleil, il fallait qu’il écrive. »

Témoignage à contre-cœur/-ordre/-jour, fiction qui se perd dans le dédale de son élaboration, récit choral et philopoétique, matériau composite, dis-/in-cursif, toise et toile ((dé)mesure de toute chose), épopée antique, ces bourdons du Général qui composent Climax résonnent avec les Abeille du Monde des contrées (Les Jardins statuaires, Les Barbares, LEcriture du désert), mais aussi et surtout avec les grands livres de ses auteurs et autrices, de Farigoule Bastard à La scie patriotique en passant par Les Samothraces. Odyssée en six parties (sous-titrées Les adieux – Le voyage – La rencontre – Le mur – Les noces – Le revenant) auxquelles s’ajoutent prologue et épilogue, Climax est un monolithe ne comportant aucune pagination, mais des chiffres romains, c’est-à-dire des lettres, envoyant au l-e/-i-cteur, à la l-e/i-ctrice, des volées de bois vert(-de-gris).

« Tu es gris et blanc. Et blanc et noir. Tu as été façonné sans hâte, mais tu ne présentes pas d’ornementation superflue. Tu t’intègres parfaitement au paysage. On reconnaît le génie. »

Tu es là Général, las, mais présent. Je te tutoie Général, je te tue toi et te conçois en te (dé)nommant. Muré, littéralement, à l’image de ce qui te construit dans le silence des pièces où frémissent les crânes, s’usent les yeux, cliquètent les claviers, glissent les stylos (pen) sur le papier. Festin nu plein de beat(s), monument « en forme de phallus érigé », aux mort·e·s qui l’ont monté de toutes pierres. Statu-(r)e/t de sel, de stuc, de marbre qui s’effrite, vieux corps de garde, allant d’arrière en avant, corps-mort ressuscité. Il m’a longtemps semblé qu’il y avait davantage de formes (et de mouvements) que de couleurs ((é)mouvantes) chez toi. Jusqu’à Climax, avant l’Anthologie.

Pour ta défense, tu n’as rien fait pour te faire porter pâle, jamais. Noir de peau, drapé de colère. Rouge sang & sang blanc, évidemment, couleurs de ta bannière. Mais aussi tous les verts (« le vert des feuilles et de la folie »), et ces dorures qui te dé-c/v-orent. Bleu des peuples barbares, des Vosges et de méthylène qui rejoint l’ocre de ta couverture. Vision, paysage, matières et sensations : toutes appellent à la lumière, à ses déclinaisons — au spectre. Et te voilà, désormais. Incarnat, incarné (im)briqué en ce mur, que l’on évoque comme l’on t’invoque toi. En(l)ivré pour ainsi dire, res-publié, réifié, et cependant plus libre (liber) que jamais.

Climax. Une fiction, encore ? Peut-être. Et alors ? Expérience immersive, voyage initiatique, récit à plusieurs mains pour une voi-e/-x, Climax constitue, à l’instar et au sein du projet GI, un ensemble inspirant qui appelle d’incessants prolongements. « Quand la fiction dépasse la fiction », il y a chez le Général quelque chose qui tient du miracle et de la contagion. Quelque chose de vieux. Quelque chose de neuf. Quelque chose d’emprunté. Quelque chose de bleu. And a silver sixpence in her shoe. Quelque chose qui tient du profane et du sacré. Qui, d’Instin(ct) nous (re)tient et nous (re)mue sans cesse. Aujourd’hui, plus qu’hier et moins que demain, tous les chemins mènent au général Instin.

Eric Darsan


Climax, Une fiction, encore ? Général Instin, label Othello, Le Nouvel Attila, 16 novembre 2015.

Eric Darsan est auteur, critique et chroniqueur, et membre actif du collectif Général Instin. Il publie textes et articles sur remue.net, Poezibao, Sitaudis, La Vie manifeste, Nuit & Jour L’Autre Quotidien. Il est l’auteur du Monde des contrées, paru en 2016 au Tripode et consacré à l’œuvre de Jacques Abeille. Son site personnel : http://ericdarsan.blogspot.fr/

23 février 2019
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