Matthieu Guérin | Hors les murs - 1 - 2 (11)
Il aime ces moments. Il aime ces moments depuis qu’ils n’ont plus l’occasion de planter des arbres ensemble.
Il est dans le métro. Il s’est dépêché de sortir de cours. de quitter la succursale universitaire excentrée dans le treizième arrondissement. réservée aux premières années. Il se dirige vers le dixième arrondissement. Il se sent léger. Il n’est pas fatigué. pas fatigué comme lorsqu’il rentre chez lui et qu’il sait qu’il va passer une soirée studieuse. Pas fatigué et pourtant il sait que la soirée va être longue. Peut-être difficile même.
Il sort de la ligne 4 à Château d’Eau. enfile la rue des Petites Écuries. passe devant le New Morning. Ce n’est pas le chemin le plus court mais il aime bien. Il rejoins ensuite la rue de Paradis jusqu’à l’agence. Il aime ce quartier. cosmopolite. ou les cultures semblent se mélanger. Il ne sait pas s’il l’aime pour cela. exactement. ou parce que c’est là qu’il le voit. son oncle. Il voit son oncle pour faire des choses avec lui. juste tous les deux. Des trucs de boulot. d’adultes. Pas comme lorsqu’ils se voient en famille et que les parents sont là. Là c’est un moment qui n’appartient qu’à eux. Comme lorsqu’ils plantaient des arbres. quand il était enfant.
Depuis qu’il est étudiant c’est à lui que son oncle fait appel lorsqu’il a besoin d’un extra. pour son agence d’études sociales. Peut-être qu’il fait aussi appel à d’autres personnes parfois. Il ne sait pas. Il préfère se dire que non. C’est à lui que son oncle fait appel. alors régulièrement comme ce soir il le rejoint à l’agence. Il peut entrer sans sonner il a le code. Il le rejoint à l’agence. ils discutent quelques minutes. prennent un café. se racontent des choses simples. échangent des nouvelles. Ou. ou parlent plus gravement. De ses études à lui et de quoi en faire. de ses rêves. De l’agence et de la difficulté de rester fidèle à ses idées. de ne pas renoncer à son indépendance. de travailler sur des sujets qui ne paient pas mais auxquels on croit.
C’est une petite agence. Toute petite. Ils sont deux. son oncle a un associé. Il voit bien que c’est difficile pour eux mais il les admire. Souvent même il se dit que c’est comme cela qu’il voudrait travailler. plus tard. Il aime leur liberté. qui ne doit rien à personne. Mais il se dit aussi que ça fait peur. Très. Qu’il n’en sera pas capable. On verra bien.
Il a appris ici. Il a appris ici à être un adulte. en partie. Par petites touches. au fil des jours. des semaines parfois que peuvent prendre les enquêtes. Plusieurs soirs par semaine. dans la pénombre souvent du soir qui tombe. car ils attendent que les gens aient fini leurs activités pour aller les questionner.
Non. non bien sûr. ça n’est pas là uniquement qu’il a appris à être un adulte. mais c’est une étape importante. Son premier contact avec le monde du travail. Le premier endroit où on lui a parlé comme à un adulte. dont la voix compte.
Les commanditaires changent mais ce sont toujours les mêmes gens. Ce sont toujours des gens en détresse sociale. qu’ils vont voir. C’est dur. souvent. ça remue. C’est difficile à oublier. ensuite. Mais il aime bien. Il aime bien faire cela parce qu’il a naïvement l’impression d’être utile. Utile à ces gens. Même si. Même si ça n’est pas complètement vrai. Il participe. au moins. Il est un maillon vers du mieux. il croit.
Il admire cet oncle et sa force tranquille. sa constance. sa volonté. Son refus de céder l’agence. et lui avec. quand ça va mal.
Il viendrait gratuitement. Il viendrait même travailler gratuitement s’il lui demandait. Mais non. il lui a toujours fait des contrats. ses premiers. Il lui a toujours versé un salaire. même petit. mais toujours. Ses premiers salaires.
Quand ils ont fini leur café ils sortent. La nuit est tombée. souvent. Ils vont rôder dans les rues. près des arrêts de bus. derrière les gares parisiennes. Dans des endroits cachés des gares parisiennes qui ont été transformés en lieux d’accueil. pour ceux qui n’ont pas d’autres endroits. Souvent on les prends pour des travailleurs sociaux. alors on leur demande quelque chose. pour aider. Mais non. non ils n’ont rien. Ils enquêtent juste. font un état des lieux. pour d’autres. Oui quand ils auront les résultats de l’enquête ils feront sûrement quelque chose. ceux qui l’ont commandée. Non ils ne savent pas quand. Mais si. si c’est utile quand même ce qu’ils font. Ils y croient.