Philippe Dollo | No Pasa Nada, 9ème fragment


Notes, mars 2020.

21 juillet 2019. Publication du baromètre du CIS, le Centro de Investigationes Sociologicas.

Pour la première fois en Espagne, le pourcentage cumulé d’agnostiques, non-croyants et athées dépasse celui des catholiques pratiquants ; 27 % sur 23 %. Certes, l’enquête est basée sur un échantillon de seulement 3 000 Espagnols majeurs. De plus, en incluant les croyants non pratiquants, les catholiques constituent toujours deux tiers de la population du pays. Il n’empêche que la diminution de la ferveur religieuse reste incontestable.
En 2006, le CIS recensait 53 % de catholiques pratiquants. Outre que la tendance est partagée dans le reste de l’Europe, des facteurs purement espagnols expliquent ce désintérêt progressif, surtout des jeunes générations, envers l’Église. Véritable mur porteur du franquisme, le catholicisme est devenu religion d’État en 1953 et peut être facilement perçu comme un vieux symbole encore vivant de la dictature.
Sa position rigoureuse contre l’avortement et le mariage homosexuel, sans évoquer les nombreux cas d’abus sexuels couverts par le Silencio, n’ont pas particulièrement aidé à faire évoluer le débat.

Le point le plus sensible reste pourtant la question financière. Le concordat de 1953 entre le Vatican et l’Espagne franquiste incluait de très confortables dispositions et exonérations fiscales des biens et activités de l’Église. À partir de 1979, une très large somme d’argent fut ponctionnée chaque année sur le budget de l’État. Afin de ralentir ce flot nourri, le gouvernement socialiste de Zapatero a instauré en 2007 un financement annuel de l’Église par l’impôt sur le revenu, au volontariat du contribuable. Chaque citoyen pouvait cocher une case de sa déclaration qui gratifiait 0,7 % de son revenu à l’institution catholique. En 2018, l’Église a quand même perçu 270 millions d’euros.

« L’argent est catholique », dit le proverbe espagnol. L’Église est richissime depuis toujours. En 1950, un tiers des maisons espagnoles lui appartenaient, l’entretien et la construction des édifices religieux restaient à la charge de l’État. En 2020, avec ses 23 000 paroisses, ses 4 000 confréries, elle reste puissante. La Semaine sainte attire toujours une foule considérable. Un quart des élèves du pays vont dans des collèges catholiques et six enfants sur dix reçoivent des cours de religion. Elle détient près de 10 000 centres sociaux et porte assistance à de nombreux démunis à travers des organismes comme Caritas.

L’arrivée au pouvoir début 2020 du gouvernement de coalition de Pedro Sanchez, premier président espagnol à ne pas avoir juré sur la Bible, ni devant un crucifix, a relancé fortement les inquiétudes chez les ecclésiastiques.
Son programme prévoit en effet de taxer l’institution, jusque-là exonérée de l’impôt foncier. Doux Jésus ! Pas étonnant que le cardinal Cañizares ait immédiatement appelé ses fidèles « à prier pour l’Espagne » en votant contre le satanique socialiste.


Notes, janvier 2018.

Encore très puissante aujourd’hui, l’Église fut l’un des trois piliers de la clé de voute Franco avec la Phalange et l’Armée. Elle s’impliqua avec ferveur dans la barbarie de la répression dès le début de la guerre civile qu’elle considérait, avec le soutien actif du Vatican, comme une véritable guerre sainte.
Le 31 août 1936, Monseigneur Tomás Muñiz Pablos, archevêque de Saint- Jacques-de-Compostelle, proclame :
« Cette guerre qui vient de commencer contre les ennemis de l’Espagne est certes une guerre patriotique, oui très patriotique, mais elle est surtout et fondamentalement une croisade religieuse, de la même importance que les croisades du Moyen Âge, puisqu’aujourd’hui comme alors, on combat pour la foi du Christ et pour la liberté des peuples. Dieu le veut. »

Laïcs et opposés au franquisme, les maestros, paient un prix fort dès 36. L’Église va monter 50 000 dossiers d’épuration. De ceux qui ne vont pas être tués, beaucoup vont connaître la prison ou les camps. La plupart vont perdre leur poste de travail.
En 1950, avec sa vocation première de« rechristianiser » l’Espagne, l’Action catholique contrôle l’enseignement. Elle censure les œuvres littéraires, interdit des auteurs comme Montaigne, Descartes, Rousseau, Kant, Stendhal ou Flaubert, mais autorise les romans policiers américains.
Les films subissent également l’Anastasie, les photos sont corrigées. L’Action catholique décide aussi de la surface minimum des maillots de bain. Pour finir, et sans rire, elle se propose de « purifier le clergé de la Péninsule d’un trop grand attachement aux biens de ce monde »...

Comme la Phalange, l’Église a besoin de Franco et Franco a besoin de l’Église comme il a besoin de la Phalange.
Tout en soutenant Franco, l’Église et la Phalange, alliées de principe, sont obstinément rivales.
Grand vainqueur de la guerre civile et troisième élément de cette « Sainte Trinité » maintenant Franco au pouvoir, l’armée, hostile à la Phalange et plutôt monarchiste, regrette que l’Église ne l’ait pas aidée à rétablir le roi au pouvoir.
Jusqu’à sa mort, le vieux dictateur arrivera à maintenir sa mainmise sur l’Espagne en jouant habilement des rivalités entre les trois organes.

8 juin 2023
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