De la voix et des bibliothèques
D’un texte que nous lisons, prose ou poésie, arrivent jusqu’à nous des mots, des images, des histoires. Le 17 juin, au Théâtre Ouvert, qu’avons-nous entendu de ces textes lus par des écrivains, que nous n’avions peut-être pas entendu à leur simple lecture : leur souffle ? leur respiration ? leur scansion ? la façon dont ils sont portés par un corps avant d’être écrits ? Dans chacun de ces textes – et à mille lieues des vains débats sur l’œuvre/la vie, la fiction/l’autofiction -, s’est réaffirmée la présence, dans la littérature contemporaine, de voix fortes, singulières.
Claude Guerre, nouveau responsable de la Maison de la Poésie à Paris, le formule dans ses Questions posées à la poésie ivre d’oralité.
On se souvient de la dernière séquence de Fahrenheit 451 de François Truffaut d’après un roman de Ray Bradbury : un régime totalitaire ayant interdit la lecture et s’acharnant à détruire peu à peu tous les livres, chaque lecteur apprend par cœur un texte de sa bibliothèque afin, le moment venu, de le retransmettre.
Une bibliothèque, ce pourrait être l’aventure de se faire soi-même, seul, dans la mémoire et les pensées et les imaginations d’autres. Comme le dit Michel Chaillou, un aveu d’autodidacte, « En définitive, mon problème a été que j’ai toujours lu des livres qui ne sont pas de mon âge ». Et il raconte l’histoire de cette bibliothèque qui lui était destinée et qui disparaît, vendue.
Et cette idée, cette sensation de grandir dans et par les livres, c’est ce qui fait le texte de José Morel Cinq Mars, Underground, une histoire de grossesse, comment un enfant grossit dans le ventre et parallèlement comment une librairie – qui n’est heureuse que si on la prend pour une bibliothèque – se construit ; on y devine toute la force des sensations extraordinaires qu’on a dans cette attente.
De la bibliothèque comme expérience littéraire on a décidé, sur une proposition de Sereine Berlottier, de composer un dossier, comme une excroissance de la revue de cet été 2006, et ce dossier a tellement grossi qu’il est sorti de la revue et a pris son autonomie, inaugurant ainsi une nouvelle rubrique de dossiers thématiques.
La bibliothèque disparue de Michon, la librairie-bibliothèque des livres qui ne lui appartiennent pas de José Morel Cinq Mars font écho à l’apostrophe de Cécile Wajsbrot au nom de tous ceux pour qui la bibliothèque est en même temps vitale et impossible.
Ça y est, le numéro d’automne de la revue est en ligne, et les textes s’y placent à mesure, c’est le Cahier de création qui nous surprend, il prend de l’ampleur d’une semaine à l’autre ; il crée sa propre actualité, comme cette rêverie de Laurence Paton dans les rues d’Odessa, en dehors de tout événement public.
Dans les rues, dans les trains : la revue comme lieu de rencontres, comme celle faite par Éric Pessan dans le Paris-Milan, le 22 août 2006 où une vérité invraisemblable ne sert à rien même répétée, ou bien la rencontre de cet homme que je ne connais pas de Laurent Évrard.
Une revue en libre accès sur internet, c’est aussi pour lire les textes les plus rares, donnés dans le monde papier à peu d’exemplaires, poètes et artistes ensemble, une bibliothèque impossible ouverte à tous. Alors, privilégiés, lisons le poème d’Hélène Sanguinetti, avec des peintures d’Anne Baranek, publié dans Ô numéro III (et pour l’entendre lire c’est ici) et le récit d’il neige de Caroline Sagot Duvauroux avec Ena Lindenbaur chez Les ennemis de Paterne Berrichon.
Et, dans le Cahier théorie/critique de le revue, vous lirez le ciné-poème Ford Apache de Jacques Sicard ainsi que, dans les jours qui viennent, un dossier constitué par Sébastien Rongier avec des poèmes inédits de Martin Rueff, histoire de saluer la parution de son recueil poétique Comme si quelque aux éditions Comp’Act.
Comme on se mêle, sur remue.net, d’Internet et des écrivains, on vous conseille la lecture du texte de François Bon, Les écrivains doivent-ils se mêler d’Internet ?
L’assemblée générale de l’association remue.net, vous le savez, se tiendra le samedi 30 septembre 2006 à la Maison de la Poésie (Paris), de 16 heures à 18 heures. Un compte rendu détaillé sera adressé aux membres de l’association.
Cette Lettre, quasi hebdomadaire, est et sera rédigée par un ou plusieurs membres du comité de rédaction, à tour de rôle.