Ma résidence et moi sommes en couple


Véronique Pittolo, en résidence à l’Institut Gustave-Roussy (Villejuif) en 2011, à la Caisse centrale d’activités sociales EDF de Chevilly-Larue en 2015, au lycée Rabelais (Paris) en 2018, au lycée Edmond-Rostand (Paris) en 2022.


Je réside avec un projet, ma résidence et moi nous sommes en couple.

Dans un habitacle, une maison une chambre un lit un oreiller
je suis la poupée russe de ma résidence (du plus grand à la plus petite)

je réside dans ma tête et dans la niche du chien ou le couffin du chat

Je réside et je rédige : quelques phrases à l’avance que je vais travailler et rere-travailler

La résidence est une abstraction : très matérielle (abri, refuge, langage)

ET immatérielle : j’ai oublié de fermer la fenêtre, mes pensées s’envolent, zut, ma résidence se termine dans une heure !!



Pascal Poyet, en résidence aux Laboratoires d’Aubervilliers en 2019-2020.

Au début de L’Atelier parlé de traduction, que j’ai animé mensuellement lors de ma résidence aux Laboratoires d’Aubervilliers (2019-2020) – atelier ouvert à quiconque voulait « traduire en parlant, en parlant de traduire » –, j’avais pris l’habitude de poser à l’ensemble des participants une ou plusieurs questions auxquelles chacun·e répondait à sa manière, parfois en formulant de nouvelles questions. Je voudrais prolonger ici la question « Comment résidez-vous ? » par quelques-unes des questions qui se sont posées alors.

Quel français parlez-vous ? Pouvez-vous le décrire ?

Qu’est-ce qui peut le faire changer ?

Comprendriez-vous que l’on qualifie le français qu’on parle de « trop français » ?

Avez-vous parfois l’impression de ne pas avoir trouvé « votre français » ?

« Votre français » est-il plutôt celui que vous écrivez ou celui que vous parlez ?

Cela vous paraît-il avoir un sens de mettre un adjectif possessif devant le nom d’une langue ?

Si vous étiez privé·e de parler votre langue, quel mot vous manquerait-il le plus ?

Éprouvez-vous du plaisir à ne pas comprendre ce que disent vos voisins ?

Qu’est-ce qui vous donne la certitude d’avoir affaire à une langue ?

Vous êtes-vous déjà dit dans une situation donnée que traduire n’était pas nécessaire ? pas souhaitable ?

Qu’évoque pour vous le mot « fidélité » ?

Vous arrive-t-il d’être visité·e par le souvenir d’une langue ?

Pensez-vous que les mots appartiennent ?

Pourriez-vous traduire un mot par un mot que vous n’employez jamais ?

Quand une chose, un état, un sentiment nouveau se présente, quel nom lui donnez-vous ?

À quel(s) sens faites-vous généralement appel quand vous avez affaire aux mots ?

Y a-t-il des langues dont vous diriez que vous y êtes sourd·e ?

Y a-t-il des intonations qui vous sont inaccessibles ?

Sauriez-vous imiter certaines langues (faute de les parler) ? votre propre façon de parler ?

Vous est-il arrivé de prendre une langue pour une autre ?

Certains mots vous font-ils systématiquement penser à d’autres ?

Percevez-vous votre langue comme un tout ?

Qu’enviez-vous aux autres langues ?

Si vous deviez apporter une modification à la langue que vous parlez, quelle serait-elle ?



Bénédicte Vilgrain, en résidence à l’Atelier Michael Woolworth (Paris) en 2016 et à la librairie Texture (Paris) en 2023-2024.

« […] l’année dernière, une équipe internationale d’une vingtaine de neuroscientifiques publie un article dans le réputé Journal of Neurology, Neurosurgery and Psychiatry. Dans l’article, qui s’intitule “A Causal Theory of Spontaneous Confabulation”, les auteurs s’accordent à dire que nous sommes toutes et tous des “confabulatrices et confabulateurs”. Alors qu’à l’origine, on pensait que ce mécanisme ne se produisait que chez les personnes souffrant de formes graves d’amnésie, […] les scientifiques comprennent aujourd’hui que nous produisons toutes et tous en permanence des fictions, que nous prenons ensuite pour la réalité. » Je dois cet extrait de Diederik Peeters, « Confabuler », paru dans Le Journal des Laboratoires, Cahiers 2023 – 2024, à Pascal Poyet, qui résida aux Laboratoires d’Aubervilliers, 93300, en 2019-2020. J’ai bénéficié de deux résidences en Région Île-de-France : en 2016 chez Michael Woolworth, éditions et impressions lithographiques, 75011. En 2023-2024 à la librairie Texture avenue Jean-Jaurès, 75019. Cette dernière doublée, tout au long de l’année, d’un travail d’audition libre de cours de soutien en français aux élèves allophones (UPE2A) au lycée Maurice-Genevoix de Montrouge, 92120. De 2016 à 2024, j’ai éprouvé la sensation d’un monde qui, non seulement ne tenait plus par le pouvoir de ma fabulation (propre aux auteurs.rices, quels qu’ils soient), mais prenait l’eau ... aussi dans les fabulations des autres, toutes celles et ceux que j’ai l’impression d’avoir néanmoins tellement rencontré.e.s. Qu’est-ce qui le tient, alors, ce monde, à défaut de nos fables ? Le préfixe à fabulation : « confabulation ». Je remercie la Région de m’avoir fait vivre avec ce « AVEC ». Disant cela, j’ai conscience de trahir l’usage de ce terme, « confabulation », un terme de neurologie, pas de sociologie. Je le fais à dessein, car nos cerveaux ne sont pas étanches.

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