contre le prêt payant des livres en bibliothèque | |
c'était en ligne sur remue.net début 2000
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aux éditions 1001 Nuits : Prêter n'est pas
voler, par Michel Onfray, Baptiste-Marrey, Jean-Marie Laclavetine, Daniel
Pennac, François Bon, décembre 2000
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on signale :
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appel à diffuser SERIEZ-VOUS PRET A SIGNER ET A FAIRE SIGNER PAR D'AUTRES ECRIVAINS LE TEXTE SUIVANT ? SIGNATURES A COMMUNIQUER AU PLUS VITE A LA LIBRAIRIE ANIMA, 3 RUE RAVIGNAN, 75018 PARIS (TEL 01 42 64 05 25).
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Amis des bibliothèques comme des librairies, les écrivains signataires de cet appel sont opposés au prêt payant dans les établissements de lecture publique. Beaucoup doivent aux bibliothèques le goût de la lecture. Beaucoup les fréquentent pour leur travail littéraire. Beaucoup y voient leurs ouvrages dans les rayons des années après leur parution. Beaucoup y ont trouvé de nouveaux lecteurs. Beaucoup y ont été invités à les rencontrer et à dialoguer avec eux. Nous contestons que la baisse des ventes en librairie soit due à l'augmentation des emprunts en bibliothèque. Comme le rappelle le rapport Borzeix, aucun lien de cause à effet n'a pu être établi entre ces deux données. Nous contestons qu'une taxe de cinq francs par livre puisse être supportée sans difficulté par la majorité des emprunteurs, prétendument aisés. Si cela est vrai pour les beaux quartiers de Paris, le reste de la France n'est pas un beau quartier. Une telle taxe frapperait les lecteurs les plus démunis ou les plus curieux. Nous ne faisons pas seulement de cette opposition une question de principe, mais une affaire de bon sens : loin de nuire à la vente des livres, les bibliothèques forment ou satisfont des lecteurs qui, eux-mêmes, deviennent acheteurs ou suscitent des achats. La lecture publique gratuite n'est pas l'ennemie de la librairie et de l'édition de création, mais leur alliée. Nous appelons les différents partenaires (auteurs, éditeurs, libraires, bibliothécaires, lecteurs) à imaginer ensemble, en relation avec le Ministère de la Culture, les solutions à même de consolider la chaîne du livre, dans le respect des droits de chacun.
Premiers signataires : Jean-Philippe Arrou-Vignod, Baptiste-Marrey, François Bon, Guy Goffette, Jean-Marie Laclavetine, Claudette Oriol-Boyer, Daniel Pennac, Jean-Christophe Rufin.
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Mourir plus vite François Bon, mars 2000
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Nos éditeurs nous sollicitent avec insistance pour signer une lettre, dont les auteurs ne sont pas à l'initiative : refuser le prêt de nos livres en bibliothèques tant que n'est pas instauré leur prêt payant. Ce système de prêt payant, on le sait, coûterait plus cher que les sommes qu'il ramènerait. Il contribuerait à accroître encore les revenus des livres de grosse industrie, sans changer grand-chose pour les livres de réflexion ou d'expérimentation qu'il s'agit prétendument de défendre. Comme, là où des établissements se battent pour la lecture publique, il n'est pas question de faire payer le lecteur (à Beaubourg, on mettrait un franc dans la fente pour chaque livre pris sur un rayonnage ?), ce prêt payant serait à la charge des bibliothèques, donc grevé sur leur budget d'achat livres, conduisant forcément à sa normalisation plus grande, soit, sourient nos éditeurs, à la charge de l'état ou des collectivités territoriales, au pro rata de ces achats. C'est pourtant la grande chance de la littérature que son indépendance financière, et la qualité du système d'aide à la publication du Centre National du Livre n'est contestée par personne. On dit, pour sauvegarder le prix unique du livre (même si parallèlement, les collectivités locales doivent soumissionner les marchés d'achat des bibliothèques à des grossistes qui court-circuitent les librairies pourtant tellement liées à l'image de leur ville, et sa vie littéraire), que le livre n'est pas une marchandise comme les autres : le travail d'écrivain serait, lui, un produit marchand comme un autre ? Le débat sur le prêt payant achoppe aussi sur la littérature jeunesse : il paraît qu'il faudrait traiter cela " à part " : mais qui désignera la frontière ? A quel âge devra-t-on lire quel livre ? Et dans les prisons, et dans les hôpitaux ? Et le bibliobus qui écume nos villages en zone rurale, nos cités de bords de ville ? Côté bibliothèque, le travail ne se divise pas. Et je prétends que ce travail là, de diffusion, de rencontre, me concerne, moi, dans le fond de mon travail, autrement que trois sous de plus. Il n'y a pas d'automatismes de la lecture : cela se promeut, s'éduque, se défend. Laissons tomber. Ce mauvais débat focalise des craintes plus lourdes, qui n'ont rien à voir avec ce problème spécifique. Où la lecture publique est défendue et vivante, les librairies vivent, les livres circulent et se vendent. La bibliothèque publique est un terrain d'expérimentation de la lecture, justement parce que gratuite. Dans un monde où tout fait pression, comme dans les autres domaines de consommation, pour que chacun lise ou voie ou écoute ou s'habille pareil, les bibliothèques sont indissociablement, avec nos librairies, un poumon essentiel. Qui ferait semblant de le nier ? Les craintes plus lourdes, elles concernent l'absurdité du système des offices, elles concernent l'inflation des titres. Le débat essentiel c'est la mutation induite par Internet, où aucune projection d'avenir n'est valide, tant les données changent de mois en mois : le risque d'Internet, c'est pareil, à nous de le prendre, même à l'aveugle, parce que tourner le dos serait bien pire, et radical. L'intervention de la littérature sur Internet, ou la littérature comme intervention, là aussi les contenus sont à inventer : on est quelques-uns à s'y être mis, à tenter. Non pas mettre en ligne nos livres, mais nos ateliers d'auteur, notre table de travail, et là aussi ça passe par la gratuité, condition d'une intervention libre. Le prêt payant imposé aux bibliothèques, même transféré sur l'état, ne sera qu'une hernie dans cette mutation, un avatar économique bien secondaire, mais une hernie ça peut vous empêcher tout le corps de marcher : il faut plutôt apurer, pour traverser. Notre statut d'auteur change : eh bien, laissons circuler nos livres, et allons nous-mêmes dans les bibliothèques lire ou présenter les auteurs qui pour nous comptent. Et même elles nous rémunèrent, les bibliothèques, lorsque nous venons à voix haute parler littérature, la défendre et la promouvoir. Organisons encore plus de ces stages, ou de ces accompagnements de classe. Le réseau des bibliothèques, comme celui des librairies, les agences de coopération dans les régions, évidemment qu'on travaille main dans la main pour la littérature : soyons poètes, parce que nous parlerons à voix haute les poèmes dans les maisons des livres. Peut-être que cela fait partie de la mutation, et que nous ne perdons pas au change : on verra même si les gros du tiroir-caisse, les acharnés du droit payant, eux ils y vont comme nous, sur le " terrain ", comme on dit. On est des funambules sur un gouffre : il y a les libraires, il y a ceux et celles des bibliothèques. Les enjeux sont trop graves : amis, nos éditeurs, revenez sur terre, on a d'autre pain sur la planche. Refuser le prêt de nos livres en bibliothèque, mais quel ridicule : juste comme vouloir mourir plus vite. |
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Mon texte "Mourir plus vite", à deux semaines d'intervalle, a pris quelques rides, preuve que le débat a avancé. Le mot "mercantile" par exemple est de trop, tant le symbolique prime sur le quantitatif. Admirons la reconversion de la première pétition lancée par la SGDL (refus de voir prêter ses ouvrages en librairie) dans une lettre à la nouvelle ministre de la culture basée sur un nouveau concept : prêter un livre c'est une contrefaçon. En avant donc pour la littérature parcmètre, ou le livre autodestructible après première lecture. A-t-on demandé leur avis aux 288 signataires? J'aimerais être sûr. Relevons les arguments employés : la lecture en bibliothèque a progressé en vingt ans jusqu'à effectuer 150 millions de prêts annuels, tandis que l'édition est stable à 350 millions d'imprimés : mais qui peut évaluer quels lecteurs sont pris à l'édition traditionnelle, et combien relèvent d'un lectorat neuf, dont l'impact est justement d'avoir empêché l'érosion de l'édition littéraire ? L'argument peut se retourner contre cuex qui l'utilisent. "40% des emprunteurs déclarent avoir un revenu élevé", et on met ça sur la place publique - imaginons le même argument pour justifier l'augmentation du prix de l'essence (encore que, justement...). Et respirer l'air des villes (ou "l'odeur du temps", comme s'appelle une bonne librairie marseillaise), ça dépendra bientôt aussi de ses revenus? Un système basé sur : prêt gratuit jusqu'à dix-huit ans, prêt payant au-delà. Les étudiants apprécieront : on attend leurs réactions. Je pense aussi à cette statistique : en prison, on lit plus de poésie que de roman, à proportion inverse des lectures hors détention. Ceux-là, on leur demandera aussi cinq francs par livre? enfin : citations extraites de mail-perso :
Qui dira le contraire? |