Un temps pour la lecture, c’est possible.
Avant que ne se lancent quelques pavés quarantenaires dans la mare des souvenirs qui irritent la bulle élyséenne, réjouissons-nous de ces tempêtes, pluies, vents et crises financières ou acheteuses qui devraient nous laisser le temps de lire.
Et cette lettre veut vous donner les pistes fort riches de ce que l’on trouve en ce moment sur remue.net. Très dense actualité, vous allez voir.
Auparavant, je voudrais attirer l’attention des quelques distraits qui n’auraient toujours pas mis les pieds électroniques dans l’autofictif d’Eric Chevillard. C’est quotidien et réjouissant. Exemple :
Le 14 mars, on peut lire
« Avisant la princesse de Clèves dans les allées du Salon du livre, ce matin, notre souverain se serait détourné d’elle avec dédain en lui lançant casse-toi, pauvre conne ! »
Et le 22 mars, on lit (que Chevillard nous pardonne ces citations mais c’est pour la bonne bouche !) :
« Les léopards tombés dans des pièges subissent d’atroces et dégradantes mutilations. Avant de les relâcher, les braconniers prélèvent en effet la peau de leur croupe et de leurs reins, ayant constaté que la demande des amateurs occidentaux portaient presque exclusivement sur les slips. »
Bref, l’autofictif, à découvrir de toute urgence.
Sinon, un cargo s’est échoué sur la plage des Sables-d’Olonne, et c’est beau, pour une fois, de rater le virage.
Quant à remue.net, sa revue affirme de plus en plus ses exigences en poursuivant son travail de défrichage et de découverte : accueillir des textes inédits, prolonger les relations, ouvrir le site à d’autres voix, d’autres lectures et offrir de beaux entretiens.
Rappel détaillé de ce que vous avez peut-être raté.
D’abord, cet inédit de Jean-Marie Gleize, XXI, un bruissement poétique pour saisir une image, son idée, le son qu’elle ferait dans son déchirement de langage.
« l’image est traînée dans la rue, elle est écrasée par les roues des voitures, des camions, par le bruit des moteurs, elle est froissée, écrasée, déchirée, tachée,
elle est couverte d’une pellicule de poussière ou de boue
c’est la photographie d’un poème. Le dessin noir et blanc du mot image ses cinq lettres, le mot est copié, photographié, et maintenant personne ne peut plus le lire, le carré de papier est à peine visible sur le sol, elle disparaît dans les trous, il disparaît, il disparaît, il se retire
elle est emportée »
Occasion également de signaler une bonne nouvelle : la parution de Nioques # 3 aux éditions Le Mot et le reste.
Autre rencontre et découverte, celle de Karelle Ménine avec « Village, un égarement ». Où le chemin du village n’est que parcours intérieur... parcours, perte et écriture.
« Il arrive qu’on atteigne un point plus élevé. Un point de vue sur le monde. Le haut d’une côte d’où le paysage se dénude, bombé, sans vacuité aucune, arbres et fermes dressés de toutes parts. On observe les alentours. On guette le Sud. Le ciel est blanc, on y guette l’océan et l’étranger qui chevauchera la mer pour venir jusqu’ici. »
Quant à François Rannou, il poursuit son parcours d’écriture avec les images d’Hung Rannou dans Légendes, 2.
Une autre série d’inédits forme déjà une belle direction pour la revue de Printemps :
D’abord, ce texte de Raharimanana « Danse » et ce qu’on fait de cette question :
« En marge de l’infime, que faire du néant quand il vous emplit ? »
Autre univers dense et sec comme un uppercut, celui de Robenson D’HAITI et son texte « La faim des fins ». Et de lire, comme suspendu au monde :
« J’habite inconfortablement,
mais dangereusement, »
Jean-Pascal Dubost nous offre avec « Continuation des détails (récrit) », un faux-journal comme une fiche technique subvertie d’une écriture en bouillonnement.
« Dans un total dérèglement qui détraque le jour avec le soleil et la douceur, je m’étais inquiété pour rien, elle n’était pas contrariée par mes propos, mais que se passe-t-il, aussi donc je n’ai plus qu’une chose à faire, lever le stylo, je sais qu’il n’y a aucune logique, comme une anguille je tronçonnerai ce texte afin que les tronçons bougent dans la poêle pendant la cuisson, c’est un état général. »
Autre, voyage, autre destination, après Paris-Nice, Nathanaël Gobenceaux nous offre une « Convergence, fragment Bus n° 61 », lignes qui se croisent entre un dedans et un dehors... dynamique d’un éclatement. À suivre.
Armand Dupuy, avec « 9 pans de fatigue » nous a confié neuf textes au crible de l’usure.
« Temps moite fermé sur le visage. On mâche sa langue sans rien dire. On voit la terre en loques, la nuit ridée. Telle nuit qu’on charrie depuis quand. Un défaut d’œil, un écart tenace trahissent. »
On lira aussi le numéro 4 de « ici est la rose, ici il faut danser » de Claude Favre.
À l’occasion de la sortie de son nouveau livre, Iris, c’est votre bleu au Castor Astral, Ariane Dreyfus nous a confié quelques poèmes. On avait pu entendre certains d’entre eux lors de la deuxième nuit remue.
Enfin Jacques Josse nous a confié le texte qu’il a lu lors de notre dernière rencontre remue.net organisée au Centre Cerise. Ce 16 mars dernier, il nous a parlé de ses engagements d’éditeur, de la revue Foldaan aux éditions Wigwam, c’est « Entre Gutenberg et Internet ».
Prochaine rencontre le vendredi 16 mai à 20 h avec Gérard Haller et Jean-Luc Nancy pour « Passer la nuit : la poésie comme entretien ».
Parmi nos rendez vous habituels, on retrouve la chronique berlinoise de Cécile Wajsbrot. Avec « L’inaccompli » un au revoir au café Kant. Il nous manque déjà.
Pas de lettre sans évoquer le Général Instin. Le projet Instin s’est installé pour un atelier d’écriture. Et Patrick Chatelier nous parle de ces dévoilements d’écriture.
DEUX ÉVÉNEMENTS : DEUX ENTRETIENS INÉDITS À LIRE SUR REMUE.NET :
D’abord un grand entretien de Patrick Chamoiseau. Chantal Anglade est allée le rencontrer à Fort-de-France, accompagnée de Jean-Luc Vilus. Une rencontre-fleuve en deux parties : Sapiens découvre le monde et L’épique du psychisme.
L’autre entretien événement, c’est la rencontre entre Yun Sun Limet et Aharon Appelfeld.
« La mémoire a toujours été forte. Mais ce n’était pas suffisant pour faire un récit de cette mémoire. Et c’est une bonne chose que cela n’ait pas pu donner naissance à un récit. La plupart des gens qui ont grandi pendant la Seconde Guerre mondiale, ils ont écrit des mémoires. Et moi je n’ai pas pu. La fiction est venue comme une liberté, une liberté totale, enfin, une sorte de liberté. »
Dominique Bondu nous a confié un bel hommage sur Philippe Raulet, occasion de rappeler la liberté de cet écrivain disparu en 2006.
Et pour ne pas en rester là, quelques propositions de lectures :
D’abord une grande Fête à Ivar Ch’Vavar. À l’occasion de la parution du Jardin ouvrier une présentation du livre par Dominique Dussidour et un article de Lucien Suel « Ma vie avec Ivar Ch’Vavar ».
Une autre lecture de Dominique Dussidour, celle du dernier livre de Raharimanana, Za, son roman qui vient de paraître aux éditions Philippe Rey.
Dominique Dussidour a également lu les nouveaux livres de la collection Déplacements : « où que je sois encore… » d’Arnaud Maïsetti et balayer fermer partir de Lise Benincà.
Jacques Josse nous signale la parution chez Tarabuste du nouveau dernier livre d’Antoine Emaz, Peau.
Enfin, Philippe Rahmy évoque cent grammes de suicide de Sami Sahli : coup de poing.
Et parmi les activités foisonnantes qui agitent la vie littéraire sur internet, signalons quelques nouvelles aventures.
Il y a bien sûr l’ouverture du projet publie.net, celui d’une édition numérique de littérature contemporaine. On est restés discrets à ce sujet jusqu’à présent parce qu’on est quelques-uns à faire partie de l’aventure. On y reviendra plus précisément. Mais difficile de passer cela sous silence.
D’autres aventures se dessinent autour de la diffusion du livre : d’abord cette Place des libraires qui mutualise les librairies ; et ensuite la mue lente mais importante du site Fabula qui ouvre un nouvel espace une librairie Fabula.
Et de rappeler le travail de sites comme lib-critique, zazieweb, ou encore les douceurs quotidiennes de lignes de fuite.
À consommer sans modération (pas comme les chocolats de Pâques... attention à vous).