Septembre

Fin d’été, début d’automne, le rythme un instant alangui retrouve la vivacité de sa cadence. Ouvrons cette nouvelle lettre par quelques mots empruntés à Tanguy Viel [1]

" ... la narration est ce qui lie, assemble et compose des identités."

De narration, c’est ce dont il est question avec
Laurence Werner David
à laquelle Patrick Chatelier consacre un dossier, où l’on lira entre autre l’entretien qu’elle avait accordé en décembre 2011 à la revue Harfang "Je ne crois pas que l’écriture, même l’écriture de mes romans, ne se pense jamais en dehors de l’acte poétique." Ces propos de L.Werner David, Henri Bauchau, disparu en ce mois de septembre, aurait pu les partager, lui qui déclarait :
"Je considérais en fait beaucoup plus l’écriture comme liée à la poésie. Et je n’ai pas renoncé à ce lien à la poésie" lors d’un entretien accordé à Yun Sun Limet qui l’avait rencontré à l’occasion de la parution de La Grande muraille, son journal des années 1960-1965.

Prose, poésie, traduction : Remue s’ouvre en cette saison à la poésie de Luis Garcia Montero, l’une des voix majeures de la poésie espagnole contemporaine.

La vida no es injusta,

aunque esté condenada a cambiarte despacio

como yo te desnudo.Vente conmigo al frío del invierno.

Deja que todo pase

como pasa una mano por la piel,

como corre la lluvia

por el cristal de un dormitorio.

Allí se puede ser feliz. Incluso

volveremos un día,

descalzos y abrazados en la niebla,

a caminar por esta playa

cuando seamos viento.

En regard de six poèmes en version originale, on trouvera la traduction d’Annie Fiore, qui présente aussi le poète et son œuvre.

De cette fin d’été, on retiendra encore,

L’intime dehors , émouvante conversation de Caroline Sagot Duvauroux dont on citera ce trop bref passage :

La peau est fine, infiniment fine. En-dessous, il y a l’onde, c’est-à-dire rien, rien que ta respiration et l’onde qui revient. Le poème n’est peut-être que dans cet effacement qui remue. La revanche d’une émotion. Une menace à la force qui ne s’éteindra pas. Comme une force inaliénable de la faiblesse.

De fragilité il est aussi question dans la 39e nuit d’été de Pedro Kadivar :

À commencer par reconnaître ta fragilité. Édifier ta vie sur cette reconnaissance. Il n’y a pas de fondation plus solide, sache-le. Et laisser l’Histoire se précipiter sur toi, au risque de te rendre encore plus fragile. Qu’importe

et dans la nouvelle chronique de Cathie Barreau, chronique "sans contrainte" comme si elle était en résidence dans la maison endormie de Julien Gracq, en travaux avant son ouverture au public :
" il règne désormais dans la maison une sorte de désolation qui attend, s’impatiente et ne veut pas regarder en arrière en dehors du texte." Autant regarder du côté de la Loire ou dans le potager où s’épanouit un coeur de boeuf .

Du chantier de la Maison Gracq, glissons vers un chantier d’une autre nature, le chantier Sade dont on aime la correspondance relue par Dominique Dussidour. Ces lettres font état d’un tel amour du détail dans le choix et l’ordonnancement des choses qu’il en devient poétiques : « A-t-on débarrassé le parc des pierres, il le faudrait. La nouvelle plantation a-t-elle réussi ? J’aurais voulu le savoir. L’objet du parc est de tenir toujours les allées en état, et de faire exactement les remplacements d’arbres morts, pour que tout soit égal et de même taille autant qu’il se pourra. »

De jardins en payasage on suivra aussi les Topiarius & Topiaria de Catherine Pomparat qui propose une traversée de l’exposition "Art & Paysage" dans le parc d’Artigues-près-Bordeaux en images photographiques et texte video et présente dans Un livre d’artiste maintenant et ailleurs les travaux d’Emmanuelle Aragon

À Remue.net comme ailleurs, pas d’écriture sans lecture. Et souvent l’envie de partager le plaisir du texte lu, sous forme d’un nouveau texte, comme l’Incipit liber inspiré à Catherine Pomparat par sa lecture des Désarçonnés de Pascal Quignard :

17. Ainsi, cher cheval de Turin, vous regardez un vieux philosophe humilié et frappé par ses pensées qui a un air si douloureux que vous courrez vers lui pour l’embrasser
Renversement

ou sous forme de notes de lectures :

Dominique Dussidour présente Soleil noir, un roman de Dambudzo Marechera qui prend place dans le sud de l’Afrique, sans doute le Zimbabwe d’où était originaire l’auteur, un pays traversé par des émeutes et des manifestations étudiantes.

Elles sont anglaises, les images qui sont sorties de la grange, avec des milliers de Zoulous à mes trousses. Elle me trouva, complètement coincé entre le passé et le présent. Je retenais ma respiration. Je retenais mes pensées. Je retenais fermement mes émotions.

D. Dussidour s’arrête aussi sur les Oeuvres complètes et les Lettres retrouvées de Raymond Radiguet, un travail que l’on doit à Chloé Radiguet et à Julien Cendres.

Tout cela pour « n’être pas resté dans le calme ». Mais ce n’est pas nous qui ferons de cela grief aux jeunes gens, car rien de plus odieux que des jeunes gens sans passions.

Sébatien Rongier présente Art et aliénation de Jean-Marc Lachaud comme une "mise au point historique et théoriques des relations entre l’art et la politique, entre la pensée esthétique et les théories issues du marxisme". La question y est celle du pouvoir d’émancipation de l’art, entre un art militant, au risque du dogmatisme, et un art de résistance qui ouvre de nouvelles configurations de l’art et de la pensée :

Résister, c’est donc contester radicalement l’ordre établi et esquisser sous formes de paysages aléatoires, une constellation de possibles.

Guénaël Boutouillet a aimé la Féerie générale, d’Emmanuelle Pireyre

L’homme non schizoïde et non aliéné aura ce secret un peu magique qu’ont découvert quelques Coréens dans les derniers mois : il marchera à gauche, à contre-courant donc, et néanmoins se glissera comme un poisson fluide et lumineux à travers ses contemporains sans tomber ni les faire tomber.

et J’ai été Robert Smith de Daniel Bourion,

C’était le soir et j’ai inséré le bloc de plastique et ses bandes magnétiques si fragiles qu’on les retrouvait souvent bouffées froissées dans le bloc de métal Walkman (l’autre homme qui marche l’homme Giacometti je ne le croiserais que bien plus tard), refermé le couvercle, appuyé sur la lourde touche rectangulaire qui lançait les moteurs et les courroies et là a lancé la machine minuscule et laissé claquer la basse rauque qu’on aurait dit enrouée. C’était Faith, c’était The Holy Hour. La voix que je suis devenu immédiatement, c’était Robert Smith, et c’était moi, exactement, ma voix de ce soir-là – une rencontre imparable.

Bruno Fern a lu Apartés de Mathieu Nuss :

Privilégier la voix intérieure sise dans les chairs abîmées les plus profondes, là où les asticots réussissent à soigner quand la médecine classique échoue. Une voix qui ne parvient jamais intégralement mais tout de même mise au propre.

De son côté, Jacques Josse (qu’on peut entendre lire des extraits de Terminus, Rennes a aimé

* les déambulations de Joël Gayraud, un insatiable promeneur (à son image) rassemblées dans
Passage public

Paris est un puits profond de deux millénaires, dont la margelle est le boulevard périphérique. Situé sur les anciennes fortifications de Thiers, ce carcan de béton parcouru d’un carrousel incessant d’automobiles corsète cruellement la capitale, comme pour la mieux faire macérer dans son passé.

* Je dirais que j’ai raté le train Pierre Soletti (textes) et Amélie Harrault (illustrations)

la vie parfois
ressemble à un sale type
qu’on a envie d’attraper
par les oreilles
& de secouer
secouer
secouer
jusqu’à ce qu’il en tombe
quelque chose

* Moi, Jean Gabin de Goliarda Sapienza :

Pour être bandit, voleur, ou simplement rebelle, il faut avoir par dessus tout de la mémoire, autrement on est foutu.

Remue en septembre, c’est aussi la suite des mises en ligne des interventions filmées de la 6e nuit Remue : Isabelle Zribi, Michaël Gluck, Olivier Apert, Philippe Malone.

Et comme toujours la mise en ligne de textes produits dans le cadre des résidences Ile De France : en août, La fusillade sur une plage d’Allemagne, extrait de Comme un zeppelin, pièce de Simon Diard, et puis en septembre, reprise de Jacques Jouet et de ses Manostiques, de Bertrand Leclair et de son Bonhomme Pons, arrivée de Patrick Deville en résidence à l’institut Pasteur "Une tombe n’est rien mais un tombeau." etc.

Pour recevoir la lettre d’information sur les résidences Ile-de-France
rappel : on s’inscrit .

Et puisqu’il est encore temps, on vous rappelle la douzième édition Midi Minuit de la manifestation annuelle de la Maison de la poésie à Nantes 11 au 13 octobre.

4 octobre 2012
T T+

[1Extraits de Ce jour-là, préface , où Tanguy Viel expose comment naquit l’idée de raconter en roman la ville de Clichy sous Bois, sept ans après les événements qui l’avaient enflammée.