Changement d’heure

Écrire entre les cordes . écrire comme à vingt ans, sur un ring, dans les banlieues, arcade ouverte, dans le décompte des secondes ... à présent, dans le décompte des années, plus sordides, plus échancrées, sans coquille sur le sexe, sans résine sous le pied...

Jacques Dupin [1]

Voilà. C’est la nuit longue. Celle qui nous arrive d’un coup quand l’horloge se met à bégayer... Octobre passé, on fait le compte de ceux qui s’en sont allés et auxquels on a adressé un dernier salut : le poète Jacques Dupin dont on peut parcourir un dossier qui lui est consacré (des entretiens, des inédits, des lectures et même une traduction bilingue de Lichens par Paul Auster) et Maryse Hache qui avait en janvier raconté ici même comment le Général Instin avait perdu son h et nous avait fait l’amitié lors de la Nuit Remue de juin de partager rataboumboum la suite a six minutes, un texte préparé et lu avec Christine Jeanney :

par la fenêtre écoute ceux qui poussent ceux qui fanent ceux qui butinent ceux qui hurlent ceux qui meurent ceux qui chantent ceux qui te regardent anne joachim christophe mathilde tilleul syrinx magnolia soulangeana cuisse-de-nymphe-émue chat roux hérisson musaraigne noisetier mésange écoute qui lance respir fragrance légère ou capiteuse trouve dans les plis l’invisible du présent de la langue et travaille l’insu qui accompagne tout doux tout doux

au fond d’un antre enfle quelque fleur vorace

donne de la voix haute lire à voix que veux-tu donne de la voix aux txt que aux txt qui aux txt pissenlits

la suite a six minutes

mange-moi d’amour si tu pouvez

tout doux tout doux

boum

disparus aussi, hélas, Jean-Pierre Moussaron, qui revendiquait le statut d’écrivain-lecteur, et qui nous avait confié il y a quelques années un Itinéraire dont Catherine Pomparat notait qu’il se terminait, comme en prémonition, par ces mots, "éternel et douloureux trop tard", et Yves Landrein, poète et éditeur, fondateur de la revue Ubacs puis des éditions du même nom, auquel Jacques Josse adresse un dernier hommage.

Ne laissons pourtant pas s’installer la mélancolie et saluons la vie qui avance, têtue, et les mots qui ne cessent de s’écrire. On se réjouit du prix Guillaume Apollinaire 2012 accordé à Valérie Rouzeau pour son Vrouz , un livre qu’on avait bien aimé et on applaudit la parution de deux textes dont nous avions pu vous donner un avant-goût : Ardèche, 17 octobre 1961 tiré de S.L.E. Récits d’Algérie de Dominique Dussidour qui, comme toujours, nous livrait aussi sa documentation précise et Un rêve, extrait du recueil L’Effigie et autres carnets de Jean-Marie Barnaud où le narrateur promène de lieu en lieu son énigmatique question "Quel âge me donnez-vous ?"

Écrire n’allant pas sans lire, Dominique Dussidour a proposé en octobre une lecture à temps multiple de l’Autobiographie des objets de François Bon qui permet de « retrouver l’objet dans son propre emplacement du temps », lecture où elle entrevoit qu’ "une seconde armoire est venue se juxtaposer à l’armoire aux livres de Damvix, celle d’Henri Michaux évoquée dans Tumulte". Pour sa part, Sébastien Rongier a lu le récent roman de Claro Tous les diamants du ciel. dans lequel il voit "l’intensification du tragique de nos temps modernes en même temps que l’expérience d’une aporie romanesque".

En octobre toujours, sur Remue, Laurent Margantin s’entretenait avec Georges-Arthur Goldschmid qui disait de ses traductions avec Kafka Ich habe so übersetzt wie mir der Schnabel gewachsen war [2] et Fabienne Swiatly interrogeait Lionel Tran à l’occasion de la parution de No present un livre que l’auteur présente comme un miroir brisé dont "les morceaux acérés forment une image d’ensemble, le portrait d’une génération qui ne se reconnait pas en tant que génération".

Octobre sur Remue, c’était aussi quelques poèmes en version bilingue [3] du poète chilien Mario Meléndez ( "L’enfant à la robe entrouverte / se lève à l’heure /
où les paroles sont des mots de fête"), une réflexion Sur quelques motifs de Sebald par Frédéric Lefebvre, un dossier Paul Valet ("Je suis loin de moi / Quand j’écris.") préparé par Jacques Josse, un salut d’adieu à Paul Celan par Joël Vernet [("Sourd des pierres d’ici, de cette rue tranquille/Dans laquelle je marche, /Rue de ton enfance quand il neigeait") et un inédit d’Eléna Truuts Axant ( "Ici, l’hiver va être beau. Ça sent le bois de sapin, les canneberges, les mandarines. Comment ai-je pu oublier que j’aimais autant l’hiver ?").

Comme toujours des lectures :
une présentation de L’Œuvre de Mathieu Bénézet par Pascal Gibourg qui a également lu Portrait de l’artiste en déshabillé de soie de Brigitte Fontaine (" Ils exigent des baisers pour rien, comme ça, ils m’offrent des rangs de bracelets en cuir, ils me soignent bien, c’est ma maison, j’habite là pour ainsi dire.), et deux lectures de Jacques Josse Un fil rouge de Sarah Rosenberg ("Seuls ceux qui se souviennent parlent. Ou plutôt, on ne peut parler que de ce qu’on a vécu.(...) La voix est toujours collective. ") et Un amour de beatnik, les lettres de Claude Pélieu à Lula-Nash. (1963-1964) ; et enfin, Envoi "conversation écrite" entre deux auteurs, Luc Bénazet et Benoît Casas, ("aujourd’hui. Je demandais / quelle est la besogne des mots, en eux) présentée par Bruno Fern.

Dans leurs chroniques respectives, Catherine Pomparat a présenté l’art de ne pas faire la guerre de Jean-Yves Jouannais The unseen playmate et Nothing is hidden in situ une exposition parisienne de Lynne Cohen et Patrick Tosani tandis que Cathie Barreau a poursuivi son exploration de la géographipe sensuelle de la maison Julien Gracq : Ciel de l’eau et Démolir étayer découvrir.

Avec tout cela, il est encore temps de se rendre au 3e Rendez-vous des Lettres qui se tiendra à Paris, à la BnF et au Cnam les 19, 20 et 21 novembre avec pour thème : Les métamorphoses de l’œuvre et de l’écriture à l’heure du numérique : vers un renouveau des humanités ?

Rappelons pour terminer que pour recevoir la lettre d’information sur les résidences Ile-de-France (Leclair, Jouet, Doppelt, etc.) on s’inscrit ✉là.


Post-scriptum.

Un message de Jean-Pierre Siméon nous alerte sur la menace qui continue de planer sur le Printemps des Poètes. En dépit d’assurances verbales reçues de la part du Ministère de l’Education nationale, aucun engagement à résoudre les difficultés financières que rencontre cette manifestation en raison de la baisse de subvention accordée en 2012 pour 2013.
Pour en savoir plus et signer la pétition de soutien "Sauvons le printemps des Poètes", c’est là.

10 novembre 2012
T T+

[1Échancré, aux éditions P.O.L.

[2Littéralement : J’ai traduit comme le bec m’est poussé, pour dire à peu près traduire comme les choses me viennent.

[3traduits par Nicole Pottier