Nos rendez vous de printemps
Il y aurait un certain retard. Une délicatesse du temps. Un petit laps, soubresaut d’attente, des fils qui vibrent dans les plis des indicateurs. Charles Baudelaire nous rappelle dans son texte consacré à Madame Bovary.
En matière de critique, la situation de l’écrivain qui vient après tout le monde, de l’écrivain retardataire, comporte des avantages que n’avait pas l’écrivain prophétique […]. Plus libre parce qu’il est seul comme un traînard, il a l’air de celui qui résume les débats, et, contraint d’éviter les véhémences de l’accusation et de la défense, il a ordre de se frayer une voie nouvelle, sans autre excitation que celle de l’amour du Beau et de la Justice.
Même si notre lettre accuse un léger retard, remue.net affirme plus que jamais les lignes de la création en accueillant les voies inédites, en éclairant les œuvres passées, présentes et à venir.
Invitation donc à se frayer une voie traversière dans la littérature !
Et de commencer par les rendez-vous qui se dessinent au fil des semaines et des sommaires de notre revue. Parmi les rendez-vous de printemps, il faut reprendre le chemin du travail des mots en peinture et les magnifiques « Notes de peinture » de Cécile Guyonneau. Les notes 6, 7, 8 et 9 tracent les méandres du regard sur la surface du tableau, lignes à peindre, images faites, à défaire, portraits qui ne ressemblent à rien d’autre qu’à de la peinture ; et des mots précieux pour percevoir le geste du regard.
Nouveau rendez-vous avec les récits courts de Shoshana Rappaport-Jaccottet. Ici Prima Volta est une discussion intime et nocturne avec le monde.
On retrouve également deux nouveaux extraits (ici et ici) du texte inédit de Jérôme Gontier Céans (titre provisoire)… où l’avance que l’on peut avoir devient la douloureuse question : « Comment s’y prend-on exactement pour perdre son temps ? »
Désormais Cécile Wajsbrot nous propose régulièrement ses chroniques berlinoises dans son « Berliner Ensemble ». Occasion de retrouver ce parcours contemporain dans la ville, ses changements et le regard flâneur sous une aile benjaminienne.
De Berlin à Paris, d’une flânerie l’autre, les chroniques en forme de parallaxes de Dominique Hasselmann conduisent le regard de la place de la République aux bords du canal, de la Sorbonne à Cachan… mais on découvre aussi une percée pataphysique à Laval ou un regard mouillé sur Nantes. Dominique Hasselmann nous propose également une lecture vive de la question du « dispositif » à partir du dernier livre d’Agamben. Et toujours la souris reste nerveuse au passage des images.
C’est aussi dans Paris, ville décidément inépuisable, que Martine Drai nous emmène à nouveau, cette fois accompagnée de ses photos et ses dessins, pour des rencontres fortuites et dans les lieux dont certains nous deviennent peu à peu familiers.
Autre chronique, celle riche et nourrie de Catherine Pomparat, les nouveaux épisodes du « mouvement qui déplace les tables » : dixième épisode autour de sept photographies (plus une) de Paul-Armand Gette et onzième épisode sur une installation de l’artiste Fabien Verschaere.
Notre cahier de création affirme plus que jamais ses lignes de découvertes et d’accueil. De belles et de rudes propositions. Une suite de textes inédits à découvrir de toute urgence.
Commençons, grâce à Fred Griot, par la découverte d’un texte inédit de Claude Favre « le cadavre, c’est désordre », autant de fragments comme des coups de poing qui déstabilisent les lignes :
On sait pas très bien d’ailleurs quoi du désordre quoi des intrus et ces mots d’effusion qui tournent en tête en toujours première fois
Egalement, un texte magnifique de Martine Sonnet, « Forges de Billancourt » : c’est la fille d’un ouvrier, c’est une écrivain qui nous parle d’un homme qui marche, une silhouette imposante, celle d’un ouvrier, lui, l’homme, le père, et les trous d’usine qui blessent la mémoire :
Raconter quoi, d’ailleurs, au soir de son premier jour d’ouvrier, ce lundi 11 juin 1951, s’il avait retrouvé sa femme comme dans les livres de lecture de l’école primaire les pères qui rentraient du travail retrouvaient les mères à la maison, un tricot dans les mains, un sourire aux lèvres ? Trop fier pour dire l’asservissement.
Dominique Dussidour dans « tirer, écrit-elle » garde au creux de la mémoire les gestes de Niki de Saint Phalle et se plonge dans l’alchimie des gestes. Peindre et tirer, et inversement.
elle peint ce qui la vise
elle tire sur ce qu’elle peint
Sereine Berlottier propose le premier extrait d’un travail en cours. Dans « Passages, installation », on découvre une forme, et les lignes tracées d’une écriture qui sillonnent la possibilité d’une forme. Au premier jour de ce texte, on lit :
Sculpture est ce qui forme forme dans toutes les directions.
Atteinte l’œil, la main et le ventre.
Essayer mais
essayer sans les mots du corps.
Regarder.
On entre dans.
Fred Griot nous propose avec « Via » un nouvel éclairage de son work in progress.
Claude Ber nous a également confié un inédit « le nom, la table, la lampe ». Histoire déchirante des derniers moment du père, et un autre père au fil des lignes, au fil de l’écriture, un autre père à partir de qui on croise la figure de René Char.
Dans « Noir 2 », Laurence Paton nous offre une expérience nocturne intense et troublante : « Je suis lâchée dans le noir et je ne vois rien. Je regarde, j’écoute, surtout ne pas courir, où suis-je ? »
On ne s’en rend pas tout à fait compte mais depuis quelques temps, le Général Instin a envahi notre univers. La chose est bien heureuse. Mais l’incidence sur nos vies de cet événement étrange n’est pas encore tout à fait mesurable. Nous n’avons pas encore inventé les outils pour mesurer cela, pour comprendre qu’avec lui aussi se fraye une autre voie. Invitation méandreuse, labyrinthique et passionnante à découvrir ses pulsations littéraires : pulsation électronique racontée par Eric Pessan, au milieu de l’ordinaire des réseaux d’ordinateurs, soudain
Rien,
l’image floue,
toujours,et le nom,
Général Instin.
Patrice Chatelier, grand ordonnateur de l’aventure Instin, nous donne quelques pistes à suivre dans ce texte « Traits 2 »… mais attention, du trait à la chasse-trappe il n’y a qu’un pas, une contre-chute littéraire qu’on aime suivre, poursuivre et prolonger par ce démenti politique et poétique (qui nous change de l’ordinaire) car « Instin dément ». Mais au départ, oui au fait « au départ », il y a quoi dans le Général Instin. Bonne question. L’ « introduction » proposée par Guénaël Boutouillet , Patrick Chatelier fait un point éclairant sur cette affaire.
Une telle lettre a aussi pour esprit de vous signaler les rendez-vous que vous avez peut-être manqués (on peut imaginer le lecteur en retard)… occasion donc de redessiner la constellation des lectures comme autant d’invitations à découvrir des textes, des écrivains, occasion également de redécouverte. La moisson est abondante. Jugez-en par vous-même :
Jacques Josse nous fait partager ses enthousiasmes de lecture et attire notre attention sur d’importantes sorties : Lenz en poche, le voyage en Mongolie de Svetislav Basara, des nouvelles de Pierre Autin-Grenier aux éditions de l’Arpenteur, le dernier livre de Lionel-Edouard Martin.
Jean-Claude Lebrun nous a autorisé à reproduire son article sur le dernier livre de Cathie Barreau, Visites aux vivants.
Dominique Dussidour signale la sortie d’un texte d’Annie Cohen et d’un film de François Barat aux éditions Les ennemis de Paterne Berrichon. Et Fabienne Swiatly signale la sortie du dernier livre de Catherine Safonoff.
Dominiq Jenvrey attire notre attention sur Pancake, dernier livre de Philippe Boisnard par ailleurs activiste du site libr-critique.
Enfin, Laurent Grisel et Dominique Dussidour nous signalent l’urgence de lire le dernier livre de Claude Mouchard Papiers ! , pamphlet-poème qui vient de paraître aux éditions Laurence Teper. Occasion politique de lire la possibilité d’écrire et de réfléchir sur les formes contemporaines de l’exclusion. Autre lecture urgence.
Histoire de ne rien finir… avez-vous lu Louons maintenant les grands hommes ? Ou plutôt avez-vous vu Louons maintenant les grands hommes ? Ou plus exactement avez-vous lu et vu ce livre de James Agee et de Walker Evans paru dans la collection « Terre Humaine. J’avoue avoir personnellement découvert ce texte à l’occasion de l’article conjoint de Dominique Dussidour et de Philippe de Jonckheere. Article passionnant et livre renversant.
Un exemple en forme de conclusion page 226 de l’édition de poche, on lit :
A moins que l’aptitude à l’émerveillement ne soit rien en elle-même, que seulement une lune, et qu’elle irradie seulement par la grâce de l’aptitude à s’émerveiller, et à moins que cette aptitude soit propre à la conscience, et de plus dans sa maturité soit perçue par la conscience comme fait de jeunesse et rejetée, ou ne retrouve avec gratitude sa fraîcheur que dans le pouvoir comme souterrain du sommeil et dans la vitalité guérissante des rêves, et tout ceci semble assez avoir place dans le champ du vraisemblable
Je ne sais pas si l’avenir nous réserve encore une place pour cette capacité d’émerveillement. Avec toutes les craintes que l’on peut concevoir, gageons cependant que la petite bande de remue.net, petit groupe de traînards en retard de l’actualité « actualisante » garde ce désir et allume quelques feux et lignes de traverses pour secouer cet émerveillement.
PS : Histoire de ne pas être en retard, et même de prendre un peu d’avance, figurez-vous que nous remettons cela ! L’année dernière nous avions eu un très beau rendez-vous à l’orée de l’été. C’était la première « nuit remue » de lectures, une belle soirée accueillie à Théâtre Ouvert. Nous vous proposons donc un nouveau rendez-vous au Théâtre Ouvert le 23 juin 2007, nouvelle soirée de lecture, de découvertes d’auteurs et de textes qui croisent les chemins de remue.net. Le programme sera prochainement mis en ligne.
Un dernier clin d’œil du côté du Monde et de Catherine Bédarida qui nous offre un bel article sur remue.net. On est fier ! (mais on confirme bien la date de notre prochaine soirée au Théâtre Ouvert, ce sera bien le samedi 23 juin 2007).
Amitiés à tous et à toutes