« Je peux te masser si ça peut faire quelque chose. »

Hôtel Le Pineto
Petit bungalow pour 6 personnes. Deux lits présents dans la « pièce à vivre » qui comporte également une petite table et un coin cuisine. On y accède par une porte vitrée, une petite fenêtre avec une moustiquaire usée est présente dans cette pièce. Deux vraies chambres sont présentes ainsi qu’une salle de bain assez grande.
Âge : 20 ans.
Mal aux pieds après avoir couru partout toute la journée pendant le mariage de ma demi-sœur, je retourne avant tout le monde dans le bungalow pour m’allonger et reposer mes pieds. Ils ont quasiment doublé de volume. Je me pose sur mon lit qui est dans cette « pièce à vivre » après m’être démaquillée et changée. Je sais très bien qu’il est inutile que je m’endorme maintenant, ils me réveilleront forcément quand ils rentreront. En attendant, je joue un peu sur mon portable, regarde les photos faites et commence à les trier.
Les cinq autres personnes du bungalow rentrent un peu plus tard… Jibo vient me voir, me demande comment je vais et me propose : « Je peux te masser si ça peut faire quelque chose. » J’accepte gentiment. Pendant ce temps, les autres sont sur la terrasse devant le bungalow à discuter et rire, à l’intérieur nous discutons tranquillement de tout et de rien, on apprend un peu plus à se connaître jusqu’à ce qu’on soit tous les deux vraiment fatigués. Pour moi, les yeux commençant à se fermer seuls et Jibo les effets de l’alcool le fatiguant. Puis, on va chacun dormir de notre côté.

Amélie

…“ Je peux te masser si ça peut faire quelque chose.
…“ Non, j’te dis que je me suis foulé la cheville. Faut surtout pas masser.
Impossible de me débarrasser de ce pot de colle...
Depuis hier, il est sur mon dos non-stop. Je vais craquer. Ce mariage était nul. Déjà que ma demi-sœur me gonfle en temps normal, mais alors là ! on a atteint des sommets.
Elle m’a mis dans les pattes le fils de la cousine de son père (ou un truc comme ça) en me disant : « occupe-toi de Jibo, il connaît personne de son âge ». Le type doit avoir 19 ans, on dirait qu’il en a 15... Le boloss incarné ! Mal coiffé, mal fringué, maladroit.
Il ne m’a pas lâchée de toute la journée. Le pire, c’est que toute la famille croyait que c’était mon copain. « Bonjour Amélie, ce que tu as grandi ! Une vraie jeune femme, dis-moi ! Tu me présentes ton petit ami ? » Vingt fois je l’ai entendu. Trente fois !
« C’est pas mon petit ami, c’est Jibo ».
Jibo, non mais, comment peut-on s’appeler comme ça ?
Mon « petit ami », j’avais pas pu l’inviter. Chloé, la « reine de la fête » comme elle n’arrêtait pas de nous le répéter depuis trois mois, avait décrété : « je veux pas voir ton sauvage à mon mariage ». Juste parce que Jérémy a quelques piercings... Chloé, elle est trop coincée parfois, elle fait trop sa princesse-bonnes-manières.
Comme si elle était la classe en personne : avec sa robe débile en couches de dentelles froissée et son fiancé sanglé dans son costume trop petit. En voilà un qui ne risque pas de lui faire des massages ! Jamais vu un type aussi sérieux.
Jibo revient à la charge : « si tu veux que je te porte, je peux t’emmener sur la terrasse, il fait moins chaud ».
Il est pas gâté mais il est gentil, ce Jibo. « D’accord, je dis, avant de m’avachir contre lui et de clopiner jusqu’à la porte-fenêtre ». Il n’a pas cessé de prévenir tous mes désirs depuis que ce foutu mariage a commencé. « Tu veux un verre ? Tu veux manger quelque chose ? Tu veux du gâteau ? Tu veux danser ? Tu veux du champagne ? »
J’ai tellement bu que je me suis étalée dans l’escalier en me tordant la cheville. Et maintenant, tout le monde est parti se baigner au lac et moi je suis là, toute seule, avec ma cheville qui a doublé de volume et ce pauvre Jibo qui me regarde comme si j’étais la terre promise. J’en ai marre ! Je suis fatiguée. Je veux m’en aller !
J’éclate en sanglots et Jibo se précipite pour me soutenir. Il m’assoit sur la banquette de la terrasse et me prend dans ses bras, en me berçant :
…“ Si j’avais su que ma cousine avait une sœur aussi jolie, dit-il tout bas, mais je l’entends quand même.
…“ Merci, je bredouille à travers mes larmes. Tu es super gentil. Personne n’est resté avec moi à part toi.
…“ T’inquiète, répond-il, de toute façon je connais personne. Et puis je déteste la famille. Et les mariages. Je déteste toute cette mascarade. Heureusement que tu étais là... Je sais que tu me trouves nul mais je m’en fiche. J’ai passé deux jours avec toi et ça, c’était super ! Tiens d’ailleurs, mon prénom c’est pas Jibo, c’est Thibaud.
…“ Je me disais aussi...
Et nous éclatons de rire tous les deux, un fou rire qui dure longtemps et finit par nous arracher des larmes tellement il nous secoue.
…“ Mariage de merde, s’écrit-il entre deux hoquets.
Et nous redoublons de rire !

Isabelle Jarry

11 mars 2016
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