Journal épisodique et fragmentaire - Lundi 21 novembre 2011

Lundi 21 novembre 2011

Aujourd’hui, Viviane m’accompagne. Elle va participer àla lecture de Lampedusa, le premier décembre et elle est logiquement présente pour la seconde répétition. Après un rapide petit déjeuner, nous nous rendons immédiatement àla Maison d’Europe et d’Orient. Il est encore très tôt avant le rendez-vous mais mon projet est de lui montrer le chemin le plus direct depuis la gare de Lyon. La librairie vient tout juste d’ouvrir. Céline et Dominique sont déjàau travail. Nous en profitons pour boire un petit café, acheté chez l’épicier chinois voisin et pour déposer nos affaires avant d’entreprendre la promenade de la chaussée jardin qui longe le boulevard Daumesnil.

Les photos sont toujours en place dans la salle de spectacle et d’exposition. Paysages de neige avec forêt de croix, camion immobilisé dans un champ ou observateur perplexe de la nature. Les légendes sont une invitation au voyage : Pologne, Russie, Centre géographique de l’Europe, point le plus oriental d’Europe et… Monts d’Arrée. Chaque photo est surmontée par une autre, de plus petit format, accrochée àla même cimaise et représentant des enfants grimpés sur un char d’assaut (ou sur une carcasse de char d’assaut). Une grande carte de l’Europe occupe le mur du fond, punaisée de place en place comme une carte d’état major et biffée d’indications. L’Europe des paysages, tout comme l’Europe des hommes est proprement glaçante mais non dénuée d’humour. Il suffit de s’intéresser aux détails.

S’intéresser aux détails, c’est très précisément l’invitation implicite de cette deuxième lecture de Lampedusa. Dominique veille au grain, cherchant le juste dosage entre la révolte et la tristesse, entre l’humour et la sincérité, la passion et le désespoir… Et au fur et àmesure que la lecture progresse, les pellicules du voile qui enveloppe les personnages se délitent peu àpeu, découvrant les fragilités et les petites fractures que chacun essaye de masquer. Raphaë l n’est pas seulement ce gentil mari plaisantin, c’est aussi un manipulateur maladroit, gouverné par la peur devant une situation nouvelle. La Mère porte àla fois le discours de sa propre détresse maternelle mais aussi celui de cette passion égyptienne en train de lever le poing. Nefti voit son engagement débordé par le surmenage, troublé par un intérêt anormal vis àvis d’un jeune homme qui l’a peut-être représentée en sirène égyptienne. Ouner doit composer entre son emportement et son état pathologique dans le délire flottant et immobile de son coma. En dépit de sa détermination et de sa force de caractère, Isis demeure victime des événements qu’elle ne contrôle pas, sans cesse en situation défensive, comme sans cesse arrêtée devant son téléviseur par le spectacle de sa propre existence. Si àl’image de la déesse dont elle porte le nom, elle décide de se mettre en quête des éclats éparpillés de son frère, elle ne parviendra jamais àtous les rassembler, abandonnant la survie d’Ouner aux soins professionnels de Nefti.

À la fin de la lecture, le sentiment général qui anime les acteurs me paraît radicalement différent de celui qui a suivi la découverte de la pièce. Plus heureux et plus détendu. Le texte raccourci de quelques pages a davantage de rythme et fonctionne beaucoup mieux. Les scènes sont nettement plus fluides, plus alertes et l’intrigue plus avare de ses propres mystères. La place du travail de plateau s’y inscrit plus clairement. Pourtant il y a autre chose. Comme un courant de confiance et de satisfaction qui commencerait àcirculer, balayant toutes les inquiétudes que j’avais stupidement nourries. Nous partageons le même wagon et il est sur la voie. Pas d’autre répétition en vue. La prochaine fois sera la bonne.

Avant de reprendre le train de Caen, une visite s’impose. Qui n’a pas grand rapport avec cette résidence. Celle de la galerie de Paléontologie et d’Anatomie comparée de Muséum d’Histoire Naturelle. Je n’y étais plus revenu depuis la fin de mes études. Rien n’y a vraiment changé. Des groupes de gamins studieux virevoltent entre les collections, un carnet àla main, remplissent des fiches, dessinent, écoutent des étudiants leur expliquer que les fossiles sont des animaux morts… Les squelettes semblent s’ennuyer dans leurs cages thoraciques et le Diplodocus n’a plus toutes ses phalanges. Dans ce décor un peu désuet, les Dinosaures ont pris un sacré coup de vieux.

22 novembre 2011
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