Texte de Zohra

Le rêve, une vie de rêve  :
d’aller àl’école comme toute les filles, cette chance-làmoi je l’ai pas eue, j’ai tous mes frères et sÅ“urs àl’école et moi avec ma mère, je suis la fille aînée, je m’occupe de ma mère, de la maison, ma mère elle m’a eue très très jeune je crois qu’elle avait 13 ou 14 ans, alors j’étais comme une maman de mes frères et sÅ“urs, voilà, j’ai rêvé d’être comme tous les autres, d’aller àl’école, de travailler, mais moi, nous, on n’a pas le temps de rêver, là-bas, je travaille avec mon père dans les champs, j’ai toujours travaillé, on était àTipaza àl’époque il s’appelle Orléansville, àl’époque, parce que làça a changé, parce que nous on était dans une ville àl’époque il s’appelait Marengo, maintenant ils ont changé le nom, voilà, c’est ça que je souhaitais, d’aller àl’école, quand on voit les filles avec les cartables, elles vont àl’école, moi ça me fait mal au cÅ“ur, j’aimerais bien ça être comme eux, être habillés comme eux quand on va àl’école, chez nous au pays toutes les filles elles doivent porter le tablier pour aller àl’école, tous les écoliers, jusqu’àmaintenant, les filles rose et les garçons blanc, et bleu, une blouse comme ça, mais obligé, si y a pas de blouse ils rentrent pas en classe, jusqu’àmaintenant, c’est des écoliers, ben j’aimerais bien mais voilàle destin il m’a pas donné ça.
Après je me suis mariée jeune, j’avais 15 ans, il avait 22 ans, j’ai été mariée au bled, j’étais avec mon mari, on avait une vie de rêve, une belle vie, on avait tout ce qu’il faut, la maison, la mentalité formidable, on a tout qu’est-ce qu’il faut pour être heureux ben on était heureux, malheureusement ce malheur-làil est arrivé il nous a cassé tout, un accident de voiture et mon mari était mort, j’ai été mariée deux ans, deux ans de mariage, un bébé et un autre bébé j’étais enceinte au moment de l’accident, de mon fils qui est né handicapé. C’était pas un mari que j’avais choisi mais je connaissais bien la famille, on se connaissait tous, le mari y avait pas de problème. Quand il est mort il avait 24 ans, on avait sept ans d’écart, j’étais une gamine qui jouait àla marelle. Après, j’ai rêvé àm’en sortir.
Moi mon rêve : mes enfants ils seront quelque chose, ils travailleront bien àl’école, ils seront diplômés, les faire réussir eux. Moi ma vie, toujours je l’ai mise de côté, je pense rien qu’àeux. Ma fille je l’ai amenée ici, bon elle a fait des études, pas grand grand elle était coiffeuse, et lui qui est handicapé il était en école spécialisée, mais j’ai les autres enfants que j’ai après avec mon autre mari, trois garçons une fille, ça j’ai pas de problème avec eux, ils font de bonnes études, j’ai aucun problème avec eux, je suis trop trop fière, voilà. Bon, celui qui est handicapé, on peut pas choisir, c’est des choses, ça peut venir àtout le monde. Non non ça les derniers, là, y a pas de problème, j’ai mon fils il est chimiste chez Sanofi, j’ai ma fille elle a fait de bonnes études, les deux autres j’ai pas de problème avec. Mon fils handicapé il travaille avec les handicapés avec l’ESAT, en ce moment il travaille pas il a un petit souci mais il va travailler. Si on le voit en face on le dit pas handicapé hein, il est beau, il est grand il est… C’est, comme on dit, chacun son étoile. Comme on dit en français y en a qui naît dans le chaud, et l’autre le pauvre il naît dans un tissu je sais pas d’où il vient d’où. Des fois c’est comme ça, y en a qui vient au monde, tout est beau, tout est facile, il se marie tout est beau ; y en a, il faut se battre. Et c’est mon cas. En tous les cas je suis une battante.
Et ils sont tous autonomes, je dis Merci le Ciel.
Mon rêve maintenant, j’ai encore quatre petits-enfants, j’aimerais bien ces petits-enfants vont réussir dans la vie, oui je pense qu’aux autres, toute ma vie, et moi mon rêve je suis àla retraite, j’ai ma retraite, j’ai ma maison, et je vis.
Je rêve d’avoir une belle maison àmoi tout seul dans mon coin, avec mes enfants. Pas dans les bâtiments avec tout le monde : une maison tout seule, une maison individuelle. Moi je peux pas vivre toute seule, non non, j’aime bien mes enfants tous autour de moi, les petits-enfants, moi j’ai onze petits-enfants. Une maison avec une grande cuisine, un jardin où ils jouent les enfants, un pavillon comme on dit Inch’Allah, on sait pas qu’est-ce qui arrive ici demain hein, tu sais la roue la vie elle est comme ça hein, comme il peut arriver un malheur comme il peut arriver un bonheur énorme.
Je joue pas au loto, moi j’ai été àla Mecque en 2012, seule parce que mon mari il est décédé en 2011, j’ai fait le Pèlerinage, et le jeu c’est péché, parce que c’est de l’argent qu’on n’a pas gagné, les gens qui font pas le Pèlerinage, pas le jeà»ne, ils sont libres ils font qu’est-ce qu’ils veulent, j’empêche pas mes enfants n’importe mais moi je le fais pas.
J’ai toujours travaillé, même ici en France, depuis que je suis arrivée avec deux enfants j’ai toujours travaillé, chez les particuliers, j’ai travaillé vingt-cinq àla Pitié-Salpêtrière, trois ans àla Croix Saint-Simon ici, quatre ans àRotschild, ah j’allais bosser moi, j’ai toujours rêvé àtravailler dans les hôpitaux, et mon rêve s’est réalisé j’ai fini ma retraite dans les hôpitaux, même au bled j’avais envie de travailler dans les hôpitaux, j’ai travaillé dans l’entretien parce que je pouvais pas être infirmière, quand on n’est pas allé àl’école c’est pas possible, c’est la réalité ça, sans l’école on peut rien faire, par exemple je prends cette feuille-là, je lis une minute, c’est pas comme une personne qui va lire miette par miette. Mon petit-fils il a 8 ans quand je lis avec lui il rigole il dit Non Mamie c’est pas comme ça.
Je vous dis moi j’ai le paquet, 2006 ma fille est décédée, 2011 mon mari il est décédé, ah oui on a le paquet, j’ai mon fils qu’il est handicapé il a quatre enfants, et ma fille qui elle est décédée elle a laissé deux enfants, je m’en occupe de temps en temps ils viennent pas toujours parce qu’ils sont dans le sud de la France, àSaint-Jean-de-Luz, mais ça va les grands ils sont sortis, la fille la grande elle est àLondres elle fait les études de droit, et le frère l’année prochaine il passe le bac.
Ma maison de rêve elle serait en région parisienne, ah oui moi j’aime pas quitter Paris. En Algérie j’ai une petite maison, j’y vais mais je peux pas vivre tous les jours sans mes enfants, même si je vais vingt jours, un mois, j’aime bien rentrer, avec mes enfants autour, mais on a une maison une belle maison on est tout seul dedans ça avance àquoi, c’est pas un bonheur. Pour moi le bonheur c’est pas la maison, c’est pas le matériel, le bonheur c’est la réussite des enfants, les enfants ils seront heureux, être entourée, voilà, et puis on voit les enfants ils ont réussi, ils sont pas des délinquants, ils sont pas en prison, ils sont pas comme les enfants ceux-làqui partent aujourd’hui les terroristes lànon. On veut élever des enfants qui sont bien capables, parce que quand un enfant il a reçu la bonne éducation, il travaille bien, lui aussi demain il va élever une famille, après ça sera héréditaire, si lui il a reçu la bonne éducation s’il est sur le bon chemin, demain aussi ses enfants il va les élever dans le bon chemin parce que ça ça va rester de génération en génération. On a qu’est-ce qu’on a mérité.
Y en a leur vie c’est comme ça, tracé, y en a d’autre, le pauvre, il tombe, il descend. Mais je crois aussi, c’est une force, voilà. Y en a quand on a subi trop de problèmes, trop de malheurs, trop de décès, des catastrophes, et après, tout qu’est-ce qui nous arrive, on est capable, on se déprime pas. Y en a qui se dépriment, qui tombent dans la déprime.
Moi d’abord jamais j’ai été toute seule, j’ai été élevée par mes parents, je dis Merci le Ciel, et après j’ai été mariée et la famille et tout, mais on avait une maison tout seul dans mon premier mariage, une belle maison et tout, mais on a toute la famille autour, on n’est pas tout seul, on mange le café ensemble, on mange àmidi ensemble, on a toujours des fêtes, un décès, toujours y a des choses dans la famille, après je suis venue ici avec mon mari, vite on avait une famille nombreuse et recomposée.
Mon premier mari j’étais contente, il était jeune, les mêmes rêves, les mêmes visions, mais àl’époque une fille de 15 ans elle est mà»re, maintenant 15 ans c’est bébé, nous àl’époque on est mà»r dans la tête, ou peut-être parce qu’on n’a pas été avec les enfants dehors, on est resté qu’àla maison, y a qu’avec ma mère, les grandes personnes, on a une mentalité de vieux, vite, on vit pas sa jeunesse, on vit pas la jeunesse de jouer dehors avec les petites filles, d’aller faire une sortie avec les enfants, ça on n’en a pas, on est àla maison, tu grandis avec ta mère, on te marie, t’as ta famille, et c’est tout.
Alors le premier oui j’étais contente, j’étais jeune, on a tout ce qu’il faut, le matériel ça compte dans la vie, on avait de l’argent, une belle maison, on avait tout.
Le second c’était pas facile, il avait des enfants, il était veuf, il avait eu des problèmes avec sa femme. Il es venu au bled, y a sa famille qui sont venus me demander, et la seule chose que j’ai posée j’ai dit Moi mes enfants je les donnerai jamais àquelqu’un je les laisse jamais mes enfants derrière moi, celui qui veut de moi, je prends mes enfants avec moi. Et après lui a dit Moi j’ai quatre, et elle elle a deux, moi je travaille dehors et elle elle travaille àla maison. Et c’était comme ça. Lui il travaillait chez Citroë n, il a travaillé quarante ans jusqu’àla retraite, de 56 à89. C’est lui qui m’a emmenée en France, c’est lui qui m’a fait mes papiers, je suis venue en 73, le temps qu’il m’a fait les papiers ici, je suis venue ici, j’ai pas souffert ici. Mon mari il avait l’appart, le travail, il avait la voiture, tout. C’est pas comme y a beaucoup de femmes qui viennent maintenant dans les foyers, dans les centres, moi ça j’ai pas connu ça. On connaît une autre souffrance, une famille recomposée c’est pas facile, une jeune, vingt ans, avec quatre enfants ils sont pas àelle, c’est pas facile hein, l’aînée elle avait 9 ans, ils étaient tous petits, et la dernière elle avait 5 ans, 5 ans, 6 ans, 8 ans et 9 ans, eh bien j’ai été courageuse, je les ai élevés tous, avec les deux miens, tous ils étaient frères, nous dans la famille on avait pas ça c’est un demi-frère ou c’est une demi-sÅ“ur, non, il l’appelle toujours mon frère, ma sÅ“ur, ma mère, mon père, on était une famille, c’est une famille soudée. Mon mari il avait trois filles et un garçon, ils ont grandi les enfants, ils ont fait des études, après chacun il fait sa vie. Jusqu’àmaintenant, même que le papa est décédé, quand on a quelque chose on est tous en famille, ils viennent me voir, ils appellent au téléphone, on est restés comme ça. Mon mari quand il a su qu’il va partir il nous a dit C’est la seule chose que je vous donne il faut rester famille, il faut s’écouter. Si l’autre il va faire une bêtise l’autre il va essayer de le retirer dans le bon chemin. Et ça sert àrien la violence ça sert àrien. Ça ramène pas sur la bonne voie.
Alors ma vie, c’est pas facile, je suis contente non quand je parle toute seule je pleure quand même c’est pas une vie facile, moi jeune ici toute seule, non, avec un enfant handicapé, c’est pas évident, j’avais les enfants tous un derrière l’autre, y en a pas un qui est plus grand que l’autre de deux ans, un làl’autre il naît, c’est comme des jumeaux. Mais j’étais capable, et surtout avec bon cÅ“ur. Quand je fais les choses je fais avec le cÅ“ur. J’ai pas dans ma tête j’ai pas le vice, je fais pas les choses par intérêt, les choses pour l’argent. Quand je fais quelque chose je le fais correct, avec mon cÅ“ur.

25 août 2016
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