Jour 8 : Ponctualité

Tu laisses traîner sur ta table de nuit le bref recueil de Mark Twain, Comment parvenir àtout rater, disons plutôt le bref recueil des Éditions de l’Arbre vengeur car ce titre n’existe pas chez Mark Twain. L’important n’est pas la somme des contes retenue pour la publication, mais que trône en évidence sur ta table cette espèce de vade-mecum du négatif. S’il y a des règles qui conduisent invariablement au ratage, il t’importe de les connaître. La seule question est de savoir : pour les suivre ou pour les éviter ?
Dans la nouvelle « Â Ma montre  », qui précisément n’a pas été retenue dans cette sélection – ce qui participe déjàdu raté –, deux dérèglements sont principalement évoqués : l’avance et le retard. Lorsqu’il s’agit d’anticipation sur le cours attendu des choses, la montre en est « Â déjàau milieu de novembre, jouissant des charmes de la neige  » tandis qu’octobre n’a pas encore fait ses adieux. Lorsqu’il s’agit de décélération, la montre transforme la vie du narrateur : « Â J’en arrivai graduellement àvivre la veille, puis l’avant-veille et ainsi de suite, et peu àpeu je m’aperçus que j’étais abandonné solitaire le long de la semaine passée, tandis que le monde vivant disparaissait àma vue.  »
Parvenir àtout rater peut s’entendre àl’image de ce temps détraqué, se projeter dans un futur de satisfaction orgueilleuse qui compense l’actuelle prostration, s’accommoder de petites victoires anciennes dans l’oubli des grandes défaites présentes.
Et tu y parviens facilement, àcela, n’ayant jamais pointé les aiguilles sur rendez-vous.

« Â C’était bizarre de la part de Malone, qui aimait les vers de mirliton, d’être hanté par ces lignes : Le plus grand malheur, celui de perdre son moi véritable, peut passer inaperçu, comme s’il ne comptait pas. Toute autre perte, celle d’un bras, d’une jambe, de cinq dollars, d’une épouse, etc., se remarque àcoup sà»r... Ces phrases insolites, àla fois fatidiques et banales comme l’était sa propre vie, résonnaient en lui, telle sur la ville, la clameur puissante de l’horloge àla voix monotone et discordante.  »
Carson McCullers, L’Horloge sans aiguilles, 1961.

21 décembre 2023
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