La Belle-Mère (ou Marâtre)

"Le voici, il arrive, le Grand Duc, chambellan du roi, c’est le moment crucial. Il vient tenter de trouver celle qui a séduit le prince, au bal, tout le pays en parle.
Son carrosse s’arrête, Javotte et Anastasie, mes petites chéries, les fruits de mes entrailles, sont tout excitées. Du sang-froid, que diable, l’affaire est d’importance !
Ce grand dadais, avec son air hébété, son monocle et ses favoris, est bien ridicule. Mais il détient la clé de notre destin. Il faut se faire miel.
Il semble peu charmé par les filles, qui se chamaillent, oubliant presque qu’elles sont sÅ“urs. Ah mes tigresses, qu’elles sont charmantes ! Mais, il est temps de les rappeler aux convenances.
Le grand dadais lit sa proclamation. Quel ennui ! Ce qui m’importe, c’est le dénouement ! Je songe àCendrillon, que j’ai celée dans sa soupente comme en un caveau. Voilàqui est réconfortant. La clé est bien dans ma poche. Oh délices !
Ah. Enfin. Anastasie essaie le soulier, tout semble parfait, elle jubile, et moi aussi. Mais le valet a la bêtise de présenter son pied comme un trophée, et la voilàdémasquée. Quelle gourde ! Son pied est plus gros que son cerveau, elle nous a fait perdre la première manche. Elle me le paiera. Et, la voici qui, àforce de glapissements, réveille le grand dadais, qui s’était assoupi, ignorant de tout. Qui m’a fait une bécasse pareille ?
Au tour de Javotte, mon dernier espoir. Une petite pensée pour Cendrillon, sans doute en larmes sur sa paillasse, ça me requinque. Mais ma seconde n’a pas plus de succès, elle est aussi imbécile que sa sÅ“ur, et difforme avec ça. Ah. Un espoir ? Mais non. J’enrage !
Je fulmine tout en raccompagnant le Grand Duc. Lui nous demande s’il n’y a pas d’autre jeune fille dans la maison. Oh, tu ne le sauras pas, mon p’tit vieux !
Enfer ! Enfer ! Voici que retentit la douce voix de Cendrillon. J’essaie àtoute force de faire barrage, mais le dadais et son visage béat sont inflexibles.
Le valet passe devant moi, portant la pantoufle. C’est ma chance. Et là, le voici gisant àterre, et le soulier avec, brisé. Ha ha ha. J’ai peut-être perdu, mais n’y aura pas de vainqueur !
Enfer : Voici Cendrillon qui présente le deuxième soulier de la paire, qu’elle avait sur elle. Mon Dieu ! J’étouffe, je m’étrangle, je défaille !
Moi toujours seconde, seconde derrière mon aînée, aux yeux de mes parents, seconde partout, seconde épouse encore, me voilàpour toujours devancée !"

Philippe


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9 février 2023
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