Rencontre 1

Un projet
Travailler avec des enfants sur le langage. Des enfants de cinq ans, avant l’âge de la lecture et de l’écriture.
Dans le cadre de conversations collectives et individuelles, les interroger sur leur définition de mots ayant trait aux émotions, au rêve, aux relations avec autrui, àl’imaginaire, àla lecture, àl’écriture…
Établir avec eux un nouveau « Â dictionnaire de la langue  », des textes témoignant de leur vision du monde, des enregistrements audio et des vidéos de nos échanges.
Une rencontre
Celle de Clara Ettedgui, enseignante àl’école maternelle Duranti (Paris, 11e).
Une réalisation
Dès le printemps dernier, nous montons ce projet de résidence, auquel seront associés le personnel de l’école, les parents d’élèves, puis des écrivains et comédiens invités.
Des archives
Des souvenirs d’entretiens avec des enfants :
– Marguerite Duras et le petit François, 1965.
– Premier casting de Jean-Pierre Léaud avec François Truffaut, pour Les 400 coups.
– Vidéo de Valérie Mréjen,  La Peau de l’ours.


DÉBUT DE RÉSIDENCE : PREMIÈRES RENCONTRES.

Au cours du printemps dernier, pendant que nous élaborions notre projet, je me suis rendue àdeux ou trois reprises dans la classe de Clara, d’une part pour évaluer ma compétence et mon rapport avec les enfants, d’autre part pour rencontrer le personnel de l’école, puis pour me familiariser avec les lieux.
Mes ateliers avec la classe de moyenne et grande section (28 élèves) et leur enseignante, ont démarré le vendredi 16 octobre 2015 et auront lieu tous les vendredis matins (sauf exception et vacances scolaires) de 10h30 à11h30.


Vendredi 16 octobre
Première rencontre avec la classe. Clara a préparé les enfants àma venue.
Le dispositif choisi est le suivant : ils sont assis en demi-cercle devant moi, et leur enseignante en retrait. La présence de Clara est indispensable pour faire le lien entre eux et moi, mais aussi pour gérer les mouvements, les doigts levés, la simultanéité des paroles. Je n’interviendrai qu’àpeine dans ce domaine, ayant précisé aux enfants que je ne suis pas dans un rôle d’enseignante.
Les enfants se montrent très désireux d’entamer ce nouveau rapport que nous décidons d’appeler : « Â conversation  ». Je leur explique qu’àpartir de nos conversations j’écrirai des histoires.
Comme un enfant est convaincu de me reconnaître, je lui dis qu’il a peut-être rêvé, et nous entamons alors une Conversation sur le rêve. Je leur demande de me raconter tour àtour leur dernier rêve. Trois exemples de leurs débuts de récits :
(Alba) : J’étais un peintre et je dessinais un mouton…
(Mélissa) : Je découpais une feuille et je dessinais…
(Axel) : J’étais àun mariage…
Suit une Conversation sur la différence entre le rêve et la réalité, l’imagination et la réalité. Ils sont parfaitement conscients que raconter une histoire : ce n’est pas toujours raconter quelque chose qui s’est passé en réalité.
À la fin de la séance, Clara leur fait chercher un nom pour définir nos échanges.
Ils décident de nommer nos rencontres : bla bla bla.

Vendredi 6 novembre.
Deuxième rencontre. Je leur fais d’abord un résumé de notre rencontre précédente, puis leur lis un petit récit que j’ai écrit àpartir de la phrase d’Axel racontant son rêve : « Â J’étais àun mariage  ». Ou comment on peut écrire une « Â histoire inventée  » àpartir d’une phrase qu’on a entendue.
J’ai en face de moi de vrais interlocuteurs qui m’expliquent que, eux, ils aiment bien commencer une histoire par : « Â Il était une fois  ». Quatre exemples de leurs débuts de récits :
(Paul) Il était une fois un petit enfant chasseur…
(Taky) Il était une fois un loup qui se promenait…
(Nell) Il était une fois le soleil et une ville…
(Alba) Il était un jour une fleur qui s’ouvrait et dont sortit un petit tigre…

Vendredi 13 novembre.
Troisième rencontre. À nouveau, je commence en leur lisant l’histoire que j’ai écrite àpartir de certaines de leurs images dans leurs récits de la fois dernière (« Â le clown adorable  » de Taky, et « Â le loup qui voulait me mettre dans un tuyau  » de Nell), mais je vais me rendre compte assez vite que ce qu’ils souhaitent surtout faire avec moi, c’est créer une histoire ensemble au cours de nos séances.
Par ailleurs, ils se montrent très intéressés par la transcription simultanée que je fais de leurs paroles. Ils sont assis en demi-cercle devant moi, mais de temps en temps certains se lèvent pour venir voir par-dessus mon épaule cette traduction en signes de leur histoire. L’un ou l’autre m’interroge sur l’un de ces groupes de lettres : qu’est-ce que tu as écrit, là ? Ce mot, c’est quoi ?

Histoire collective de la classe
ET TOUT D’UN COUP, LA TERRE À TREMBLÉ

Il était une fois une princesse dans un château, avec un roi, un enfant et un chat (Nell). Il y avait aussi un ogre qui voulait manger l’enfant (Laura), et un dragon qui voulait cracher du feu sur le roi (Mélissa). C’est le corbeau qui avait piqué la reine (Angel). Des sorcières essayaient de jeter de la potion magique sur tous les gens qui étaient dans le château (Izyah). Et il y avait un troll qui combattait le prince, mais le prince disait aux gardes : « Â Arrêtez le troll !  » (Doréna).
Autour du château, il y avait un grand jardin avec une fontaine au milieu (Zoé). Et dans le jardin, deux chasseurs qui s’apprêtaient àtuer le roi (Paul). À l’intérieur du château, le corbeau avait emprisonné la reine (Exupérance).
Pour le moment, il y a beaucoup plus de méchants que de gentils ! (Gabriel).
Il y avait aussi des chevaliers qui voulaient tuer le roi et la princesse (Taky).
Peut-être ces chevaliers venaient-ils d’un autre château ? (Gabriel)
Dans le jardin, il y avait un zèbre avec ses bébés zèbres (Alba). Et le roi avait tué le corbeau pour sauver sa femme, la reine (Jules).
Ça fait un méchant de moins et une gentille de plus ! (Gabriel)
Pendant que le roi mangeait, le dragon voulut l’attaquer, mais le roi appela les gardes qui tuèrent le dragon (Laura).
Moins un méchant ! (Gabriel)
D’autres dragons voulaient attaquer le château, mais onze bébés dragons décidèrent de les combattre et les tuèrent (Jim). Un million de chevaliers voulaient aussi attaquer le château, mais un seul tout petit bébé dragon réussit, d’un seul coup de flamme, àtous les brà»ler ! (Gabriel).
Il ne restait qu’un dragon qui avait beaucoup de pouvoir pour tuer la reine (Jahyron). Mais le roi dit aux gardes de tuer tous les méchants (Fatoumata).
Et tout àcoup, la terre a tremblé (Antonin).
Et en dernier, il y eut un loup qui mangea le chat (Adam).

Désormais, après chaque histoire racontée, et àla suggestion de Clara qui sait (mieux que moi !) que les enfants de cinq ans ont besoin de changer d’activité après vingt minutes, nous nous installerons autour de tables circulaires pour dessiner, chacun, l’histoire qui vient d’être racontée.

Puis nous créons alors, sur la musique de la chanson de Philippe Katerine, bla-bla-bla, que Clara a fait écouter aux élèves, un moment de danse collective qui sera désormais un rituel àchaque fin d’atelier.

Jeudi 26 novembre

Quatrième rencontre. J’ai décidé que pour le moment, les enfants étant enthousiastes àl’idée de raconter au cours de nos séances des histoires collectives, je repoussais l’idée de départ, celle de conversations sur des mots. Il me semble que c’est àtravers ce travail de récits, que se noue notre rapport et s’installe leur curiosité pour l’écriture.

Ce jour-là, je leur propose d’écrire une histoire sans dragons, sans chevaliers, sans princesse et sans loups. Une histoire qui se passe dans le monde réel.

HISTOIRE D’ÉLÉPHANT

Il était une fois un petit garçon qui se levait le matin pour aller àl’école Duranti (Anne Serre). Il s’appelait Éléphant (Axel). Sa maman s’appelait Lila (Fatoumata). Arrivé àl’école, Éléphant salua la maîtresse et mit son étiquette (Alba). Il commença àjouer àla cuisine, et il était le papa (Jules). La maîtresse dit alors : « Â Au travail !  » (Axel). Puis il alla dans la cour avec tous ses copains avec qui il joua (Paul). Après la récréation, la maîtresse sonna (Exupérance). Tout le monde devait se rassembler et monter en classe pour aller écrire la date (Taky). La maîtresse demanda que les enfants fassent un dessin (Laura). Puis le soir, elle dit : « Â Au goà»ter !  » (Izyah). C’était l’heure des papas et des mamans (Antonin). Éléphant partit chez sa maman tout seul comme un grand, et son père, Léo, lui donna une glace (Doréna). Ses parents lui dirent : demain, nous irons au zoo parce que c’est samedi (Gabriel). Il dîna et alla se coucher (Jim). Il n’avait pas pris de douche ! (Gabriel) Il fit un cauchemar (Angel). Il rêva qu’un voleur lui avait volé son vélo (XXX). Quand il se réveilla, il prit son petit déjeuner, joua et partit au zoo (Adam).
Éléphant vit alors une étoile qui était tombée, et son papa lui dit qu’il pouvait la ramasser (Axel).

Puis dessins. Et danse bla-bla-bla.
Un des enfants vient me montrer un carnet qu’il s’est procuré « Â pour écrire des histoires  ».
Trois autres me confient qu’ils voudraient me raconter « Â une histoire secrète  » pour que je l’écrive. Ce que je fais.

Vendredi 4 décembre.

Cinquième rencontre. Je demande aux enfants s’ils se rappellent bien notre histoire de la semaine dernière. Ils se la rappellent parfaitement et citent non seulement les scènes, mais les auteurs de telle ou telle phrase.
Contrainte du jour : Allons-nous poursuivre l’histoire d’Éléphant, qui serait tombé malade, par exemple ? Je leur demande leur avis ; ils sont d’accord.

ÉLÉPHANT EST GUÉRI
(titre proposé par Mélissa)

Un jour, Éléphant tomba malade, peut-être parce qu’il avait pris froid (Anne Serre). Son père lui dit : Éléphant, tu dois prendre un médicament ! (Paul). Mais le médicament était trop fort, aussi on dut appeler les Urgences qui sont venues aussitôt (Lindsay). Éléphant toussait énormément (Fatoumata). Il fut obligé d’aller chez le docteur (Jim). Si le médicament avait été trop fort (Anne Serre), c’est que son papa avait oublié de le lui faire prendre avec un verre d’eau. Aussi, Éléphant dut aller se faire opérer (Gabriel). On lui fit une piqà»re (Louis), ensuite on lui fit une prise de sang (Mélissa), et la prise de sang lui fit mal (Taky).
On dut lui découper le ventre, on en sortit les microbes, puis on a tout recousu en faisant de la couture (Gabriel). Après, il était guéri. Il put retourner àl’école et jouer avec ses copains dans la cour (Nell). Il avait une cicatrice sur le ventre et il la montra àson meilleur copain (Jules). Il commençait àêtre guéri, mais il continuait tout de même àtousser (Lindsay). Quand il est rentré chez lui le soir après l’école, il a vomi (Antonin). Son papa et sa maman ont dà» nettoyer parce qu’il avait vomi dans le salon (Alba). La couture a commencé àcraquer (Pauline). Mais les parents ont tout recousu. Après, il était vraiment guéri. Il ne restait plus un seul microbe et la cicatrice avait disparu (Jim).

Puis dessin, et danse bla-bla-bla.
Au cours de la séance de dessins, les enfants viennent me demander d’écrire sur leur feuille certains mots.

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8 décembre 2015
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