« Â Donne tout, il y a pas de place pour les regrets.  »

Salle de boxe.
Retour àla salle, je retrouve ce vieux tatami qui me donne des ampoules aux pieds, les cordes du ring bien tendues et les sacs de frappe usés par les coups répétés des boxeurs en furie. L’odeur du baume du tigre (cette huile qui chauffe les muscles permettrait àquelqu’un qui a les jambes arquées de faire le grand écart) me rappelle que la dernière fois que j’étais là, je me suis fait malmener mais peu importe, j’ai pris goà»t àla douleur, j’aime bien les tibias contre tibias, les coups de plafond dans le mur pendant les périodes nerveuses, sur les bâtards j’aime bien me défouler, les phalanges gonflées avec des traces de dents, les poignets foulés, toutes les peaux recousues, arcades pétées, les crânes balafrés. Je suis usé mais l’entraînement n’est pas fini. Il reste quinze minutes et ce sera un quart d’heure de combat, j’ai mon adversaire, un papa d’environ 45 ans, je ne connais pas son niveau mais il n’a pas l’air trop nul et il veut me le montrer. À peine le gong qui donne le début du round retentit qu’il se jette sur moi avec vigueur comme si c’était le combat de sa vie ! J’encaisse, il tape fort mais même mon petit frère est plus précis que lui, au premier signe de fatigue je remonte ma garde, fronce les sourcils et lui montre de quel bois je me chauffe. Je commence par un enchainement gauche-droite en terminant avec mon pied dans sa tête, celui-làil l’a pas vu venir, je continue avec une droite qui rentre en conflit avec sa vision et une gauche interstellaire qui l’emmène danser avec les étoiles, le combat est fini. Je m’en suis fait mal au pouce mais mon adversaire est en sang. J’ai toujours pris plaisir àappliquer ma propre justice et je me suis toujours dit : « Â Donne tout, il y a pas de place pour les regrets.  »

Amin

Les lumières dansent, papillonnent, s’envolent, me laissant dans le noir. Puis elles reviennent, formant un entrelacs de taches en clair-obscur devant mes paupières closes. Je ne dors pas, pourtant je suis allongé. Je vois sans voir. J’entends des voix, sans les comprendre. Mes sens semblent en sommeil, groggys. Le premier àse manifester ànouveau est l’odorat. Une forte odeur de sueur me saute aux narines. Je connais cette puanteur, et pour tout dire je l’aime bien. Ça sent l’effort, le dépassement de soi. Je dois être àla salle de boxe. Puis vient le goà»t. La saveur métallique du sang m’envahit la bouche. L’audition se manifeste àson tour.
« Â 5  »
« Â Amin ! Debout ! Lève-toi !  » Cette voix, c’est Mouss, mon entraineur.
« Â 6  »
Puis la vue me revient, et ce que j’aperçois, c’est le sol du ring. Je ne peux pas le louper, j’ai le nez collé dessus. Il est bleu, parsemé de minuscules taches de sang, et de poils. 
« Â 7  »
Merde, le combat ! Je pousse comme un damné sur mes mains gantées de rouge. Ma mâchoire me lance.
« Â 8  »
Je me relève, chancelant.
L’arbitre est accroupi àmes côtés et mon adversaire sautille comme un cabri àl’autre coin du ring. Un sourire narquois aux lèvres. Je ne lui en veux pas, je ferais exactement la même tête si c’était moi qui lui avais décoché un coup de tibia en pleine face. Mouss me dit de revenir dans mon coin. Le round est terminé. Je m’effondre sur mon tabouret et aussitôt, il m’enlève mon protège-dents. Jeff, le soigneur me passe une éponge humide sur le front. Ça me fait l’effet d’un électrochoc, me sors de l’univers ouaté que j’habitai.
« Â Tu vas l’avoir me dit Mouss. OK il t’en a mis une bonne. Mais c’est toi le meilleur. Tu le sais ? Tu le sais ou quoi ?  »
« Â Je sais Mouss.  »
« Â Alors qu’est-ce que tu fous ? Tu lui as offert ta mâchoire comme on offre des chocolats àsa meuf pour la Saint-Valentin. T’es sa pute ou quoi ? Tu veux lui faire câlin ? Tu veux le sucer ? Parce c’est ce qui va se passer si tu ne lèves pas ta garde !  »
« Â Je vais l’avoir Mouss.  »
« Â Voilà, c’est ça que je veux entendre.  »
La cloche retentit, il faut y retourner. Mouss me rend mon protège-dents. Alors que je me lève regonflé àbloc, il me lance.
« Â Donne tout, il y a pas de place pour les regrets.  »
Ne rien regretter, tout donner, tel est mon mantra, ma raison de me battre, ma raison de vivre. Je fais claquer mes gants l’un contre l’autre et je file vers le centre du ring et mon adversaire. Je vais le massacrer.@)

Fabien Humbert

11 mars 2016
T T+