Atelier /3

Ecoutez l’âme de la nostalgie, c’est elle qui vous parle.

Depuis mon enfance, sous le ciel de l’exil, le temps qu’un aller se précipite et un retour perdure...il fait beau temps du coup... mais est-ce que cela évoque des souvenirs ?
Tout est prévu à la veille après le journal météorologique. On dit que demain est une journée ensoleillée avec une belle éclaircie, un ciel dégagé. C’est ma mère qui me l’a annoncé : « Demain, c’est le premier jour d’été et puis, c’est en week-end. Il faut en profiter non ! »
Le matin, comme prévu, le soleil avait fait irruption dans ma chambre malgré le rideau et les silhouettes étirées des immeubles qui couvrent notre pavillon. Cette fois-ci, c’était le tour de mon père : « Tu sais que quand tu étais petit, tu arrêtais pas de me dire que ce soleil pour toi, c’était le frère ainé que t’as jamais eu... »
« Ah ouais ! » me dis-je, moi qui ne se souviens plus de cet entretien.
La promenade fut en tête des courses. Mon père est le premier à s’en raffoler : il s’habille, arrache son sac puis porte au cou un appareil photographique. Ma mère réapparait avec une petite robe et des Ray-ban soleil, elle est aussi jeune que Nadia, ma petite sœur.
Dans la rue, ma mère marche en téléphonant, Nadia fait du lèche-vitrines comme d’habitude, quant à mon père, il calcule ses pas grâce à une appli cardio. Chacun avec son chacun.
Malgré la cohue ; des gens, des bêtes par-ci, des voitures, des vélos par-là, je sombre dans le silence tel un moine suspendu dans un temple et qui prie pour le malheur du monde.
« Tu veux un macaron ? Sinon le brownie c’est aussi bon » a dit mon père.
Bloqué.
Alors on me prend un macaron, ce que j’aime. Je ne sais pas pourquoi §a me fait penser à notre premier jour de départ, dans le premier arrêt de bus quand mon père me posa quasiment la même question. La seule différence, à la place d’un macaron, c’était des cartes. Ces cartes que je garde toujours et les berceuses à la maternelle que notre maitresse Zora nous les chante, celles-là aussi ne m’ont jamais trahi.
Mes parents m’ont appris depuis la souplesse de mes ongles que, dans la courbe du Nil d’où nous sommes originaires, partir est une vertu et que ce ne sont pas les kilomètres qui marquent notre itinéraire, c’est plutôt le temps qu’on met pour trouver quelque chose. Tout dépend de ce que l’on cherche, désire.
Ça fait dix ans que nous sommes loin de chez nous : une fois le Golfe et puis l’Europe. On dirait que ma famille a oublié ce qu’elle cherche.

***

Le même soir, pendant le dîner, tout le monde commence à raconter des histoires. Mon père sort d’habitude ce vieil album de famille et se met à citer des noms que j’ignore, la plupart de photos datent d’avant ma naissance. la fin de la soirée, pour régaler, un phonographe est mis en marche et on commence à déclamer des chansons de chez nous dont je n’ai pas la moindre connaissance. Cela ressemble vraiment à quelqu’un qui pratique une partie de tennis avec un adversaire invisible. chaque fois que l’on partage un souvenir familial, raté ! Celui-ci passe par-dessus mon filet.
Un bon souvenir, heureux ou malheureux soit-il, se mesure, se vit mais son absence est comme une anatomie du vide. J’ai la tête et le corps vides et il y a tout un horizon vide autour de moi qui vide toute tentation de remplissement on dirait un trou qui engloutit mon présent et mon futur dans un passé oublié qui refuse de construire des souvenirs nouveaux et qu’à chaque fois, je reviens sur mon point de départ : le vide.

Mohammed ISSHAQ

16 avril 2024
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