La lecture comme lien social

Mariannick Bellot est actuellement en résidence àla médiathèque des Hautes-Garennes de Palaiseau (91)



Pourquoi avoir choisi de proposer une résidence en médiathèque ?

Cette proposition vient de la médiathécaire de la médiathèque Hautes-Garennes, et de la directrice du centre social qui a joué un rôle très actif dès le lancement de ce projet, puis de la directrice des médiathèques de Palaiseau qui a porté et soutenu le projet.

Pourquoi cette médiathèque en particulier ?

La médiathèque des Hautes-Garennes est située à50 mètres de chez moi, en face de l’école où vont mes enfants. Je la fréquente depuis des années, et nous avons tissé des liens, la médiathécaire et moi, en bavardant ici et là. Elle travaille en créant une relation particulière avec chaque personne entrant dans sa bibliothèque. L’idée de travailler ensemble est née petit àpetit, sur un temps très long.
Elle souhaitait àl’origine organiser un rallye lecture autour de mes livres avec les enfants de l’école élémentaire juste àcôté. L’idée d’une résidence au long cours est venue quand les médiathécaires et la directrice du centre social ont eu envie d’un projet plus ambitieux, qui sensibiliserait àl’écriture et au livre les habitant-es du quartier de tous âges et toutes origines.
De mon côté, cela fait plusieurs années que je travaille sur le quotidien, sur l’infra-ordinaire, en documentant par des enquêtes les personnages de mes œuvres.
Marier nos deux projets nous a semblé évident : je pouvais apporter au public une ouverture sur le travail d’écriture, grâce aux différentes institutions partenaires (l’école, le centre social, les deux médiathèques, celle du quartier et celle du centre-ville). De mon côté, je pouvais développer un lien privilégié avec les habitant-es àtravers les interviews, les ateliers d’écriture et les rencontres, ce qui enrichit et transforme mon roman.
Une de mes spécificités, comme autrice, est d’écrire pour des médias très différents (radio, cinéma, théâtre, littérature jeunesse...). Cela intéressait aussi les médiathécaires que je sensibilise les enfants aux fictions radio, en particulier aux concerts fictions, qui font le lien avec les livres-disques.

Comment cette collaboration s’est-elle construite, comment évolue-t-elle au jour le jour ?

Cette collaboration est très agréable car elle est vraiment collégiale.
Elle se construit sur la durée, et elle évolue en fonction des projets mis en place.

Que vous apporte la présence des bibliothécaires ?

Ce compagnonnage avec des personnes dont la mission est de donner le goà»t de la lecture ou de l’encourager est très intéressant.
Je découvre l’autre versant de l’écriture : la lecture comme lien social, et la place du livre comme partage concret d’un moment, ou comme échange autour d’un imaginaire.
Par ailleurs, les médiathécaires de la médiathèque principale, moins directement liées au projet, m’ont renvoyée àdes questions auxquelles je n’ai pas la réponse : comment faire venir le public pour telle rencontre, ou tel événement ?
Tel auteur est-il vraiment intéressant àinviter ? (C’est une question difficile àentendre quand on est soi-même autrice.)
Ces questions cruciales me rendent perplexe.
J’ai pour l’occasion endossé un rôle d’attachée de presse, et d’animatrice de réseaux sociaux. De tous les métiers que j’ai exercés, c’est un de ceux que je trouve le plus abstrait.

Quelle influence cela a-t-il sur votre création en cours ?

L’influence de la résidence est énorme, au point où toute mon écriture en est bouleversée. L’enquête qui nourrit la fiction m’emmène sur des chemins que je n’aurais jamais soupçonnés, et j’ai envie d’y consacrer beaucoup de temps encore.

Y a-t-il des différences pour vous entre les rencontres et lectures publiques habituelles, et celles organisées dans ce cadre ?

Les lectures publiques de mes Å“uvres avant cette résidence ont eu lieu dans des librairies. Cela s’était bien passé, mais c’était inconfortable : les gens n’avaient pas choisi de m’entendre (c’est comme jouer du piano dans un restaurant).
La médiathèque George-Sand dispose d’un espace fermé où ont lieu les rencontres : il faut passer le seuil pour y assister. Ce simple pas marque une envie, une curiosité. Les rencontres ont été très chaleureuses, avec un public qui participait beaucoup (adultes et enfants).

Cette proximité prolongée avec des bibliothécaires change-t-elle votre regard sur leur travail ?

La bibliothécaire est depuis mon plus jeune âge un être un peu mythique, avec des pouvoirs vaguement surnaturels, bien que j’aie une cousine tout àfait sympathique, adepte de la course àpied et artiste surréaliste àses heures qui exerce ce métier et me le raconte de façon très concrète. La bibliothécaire s’apparente àla sirène : derrière son guichet, assise sur un rocher, elle lance ses filets et hypnotise les personnes qui passent àportée de son chant et de ses livres.
Comme dans le poème de Nerval, elle est la gardienne d’une sorte de grotte antique et donne accès àd’autres mondes.
Travailler avec les médiathécaires de Palaiseau ne change pas tellement cette vision. Tout n’est pas toujours simple, notamment du fait que ce projet soit porté par une médiathèque annexe : cela a modifié certains équilibres, et mon rôle est aussi de travailler àune meilleure compréhension et acceptation de ce projet. Au final, il a été soutenu par beaucoup de personnes.

Cette expérience débouche-t-elle sur des suites possibles ?

Elle a déjàdonné plusieurs suites concrètes :
le documentaire radio sur France Culture sur les Hautes-Garennes, qui a incité le journal de la ville àconsacrer un article sur ce quartier méconnu,
le livre sur le futur écrit par les enfants de l’école Tailhan, « Dans une minute... dans cinq milliards d’années  »,
et ce qu’il y a de très joyeux, c’est du côté de la médiathèque des Hautes-Garennes, la médiathécaire a pris goà»t aux fictions radio, et aujourd’hui, elle est en train de développer ses propres spectacles/podcasts avec les enfants de centres sociaux de plusieurs quartiers.
Cela m’a donné envie de poursuivre mon travail en profondeur sur ce quartier, d’autant que nous sommes dans un moment de bascule où les changements d’ampleur deviennent perceptibles. Je constate àla fois une détérioration et un embourgeoisement du quartier. Je sens que je suis engagée sur un chemin d’écriture qui va me demander encore beaucoup de travail, pour trouver le bon angle, le bon style, la bonne forme, et rendre compte de la complexité de ce que nous vivons.
Par ailleurs, j’espère qu’il y aura d’autres moments privilégiés où je serai accompagnée sur des travaux au long cours. Pour faire un travail de qualité, il faut du temps, un temps que je bricole quand il n’est pas prévu structurellement dans la fabrication de l’œuvre, ce qui est le cas sur la plupart des projets. C’est un luxe inouï que d’être accompagnée sur un temps long, car il ouvre des perspectives inattendues, il change notre regard. Cela permet une vraie exigence àl’œuvre àlaquelle on veut aboutir.



Lire le point de vue des médiathécaires de Palaiseau.

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