Pauline Sales | La Troupe Éphémère saison 19/20

Ils sont soixante jeunes entre 11 et 20 ans, issus de Seine-Saint-Denis pour la plupart. Ils n’ont que très peu, voire pas du tout, d’expérience théâtrale. Nous les rencontrons au mois de septembre. Nous, c’est Jean Bellorini, metteur en scène et directeur du TGP, Mélodie-Amy Wallet assistante àla mise en scène, Delphine Bradier, responsable du projet et moi-même. Dans cet échange de dix minutes avec chacun d’entre eux, nous tentons de percevoir ce qui les motive àvivre cette aventure. En effet c’est un engagement sur l’année qui demande persévérance et pugnacité : ils se retrouveront tous les samedis après-midi ainsi qu’un long week-end et une semaine en mai avant de présenter un spectacle dans la grande salle du TGP pour quatre représentations.

Qu’est-ce qui nous surprend lors de ces rencontres ? Comment choisit-on les vingt-cinq participants ? Il nous semble voir celles et ceux qui ne se font pas écran àeux-mêmes. Qui ne jouent pas de rôle justement. Ce sont souvent des jeunes extrêmement actifs, aux centres d’intérêt multiples, des jeunes ne manquant ni d’appétit, ni de curiosité qui ne se projettent pas comme acteurs dans leur parcours professionnel. Il s’agit plutôt d’ouvrir la pratique théâtrale comme un champ d’expérimentation qui permet d’en apprendre sur la vie et les autres quelque soit son chemin par la suite. Certains reconduisent l’aventure déjàvécue l’année précédente. La troupe éphémère, comme son nom l’indique, se renouvelle. On n y participe que deux ans de suite, pas plus.

On peut craindre pendant un moment que les anciens et les nouveaux ne se mélangent pas, que les plus jeunes et les plus vieux ne se parlent pas, que les musiciens et les non musiciens ne communiquent pas. Que les Parisiens et les Dionysiens restent chacun dans leur coin. Ce serait mal connaître les barrières que le plateau sait si facilement abolir en rendant chacun égal et responsable. C’est la première leçon qui leur sera inculqué : àquel point la mobilisation de chacun est nécessaire, capitale, pour faire vivre la totalité du groupe. Tout se voit sur un plateau. On ne peut pas s’y cacher, même - surtout - lorsqu’on s’y retrouve aussi nombreux.

J’écris en parallèle de ces samedis où nous nous retrouvons. J’écris en rêvant àtravers eux sans connaître leur histoire personnelle, sans me préoccuper d’une cohérence d’âge. J’écris en sachant qu’ils feront un chemin vers moi comme j’en ai fait un vers eux. J’écris en me demandant si ça va les concerner. Et puis arrive le jour où on lit la pièce, encore en cours d’écriture, ensemble. Ils sont attentifs, généreux, conscients de ce que je mets en jeu moi aussi. Comme eux.

On travaille, on travaille àla transparence, àla présence des corps sans intentions préétablies, sans ton, sans masque, on travaille àles voir et àles entendre, àce que les mots les traversent. On travaille sur ce rien qui leur parait parfois bien loin du théâtre qu’ils avaient imaginé. On travaille et puis ça se tend parfois. Et sans doute qu’ils se disent que ce n’est pas qu’une partie de rigolade loin de là. Et que cette présence ce dénuement qu’on exige d’eux n’est pas simple àconvoquer. Pourtant ils y arrivent bien souvent avec une évidence qui nous laisse pantois.

Et puis, quand on s’en va, la séance finie, ils restent là, ils jouent ou tapent sur le piano, celui qui joue du violoncelle laisse son instrument se faire adopter par le groupe, devenir guitare, devenir totem, des filles se battent et se reniflent, des gâteaux et des bonbons s’échangent, des duos se forment. Ça ne nous regarde plus. Ils vivent et ils restent làau théâtre, ensemble.

12 mars 2019
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