Gilbert K. et "son" couple.

J’ai pris le bus 57 pendant vingt ans pour me rendre à Gentilly, à mon travail.
Et j’ai commencé à remarquer un couple, qui montait toujours à la station Daumesnil, juste avant la gare de Lyon. La femme était très belle, très amoureuse, très joyeuse, presque excitée et l’homme avait toujours un air un peu triste, mais lui aussi était très amoureux. Ils s’embrassaient, ils étaient si occupés l’un par l’autre. L’homme descendait toujours à la gare d’Austerlitz, sans doute pour prendre un train, et elle lui faisait un signe de la main par la vitre. J’avais fini par les apprécier, ils faisaient en un sens partie de ma vie, tous les matins. Cela a bien duré un an. Et puis un jour, ils montent comme d’habitude à Daumesnil, ils s’embrassent comme d’habitude, ils sont joyeux et amoureux comme d’habitude, il descend à la gare d’Austerlitz, et elle lui fait un signe de la main par la vitre. À la station suivante, un autre type est monté, et je le vois qui embrasse la jeune femme ! Je me raccroche un moment à l”idée que ça puisse être un collègue, mais l’attitude de la femme ne laisse aucune équivoque, elle se colle à lui, la main glissée dans la ceinture du pantalon. J’aurais voulu me lever en lui disant qu’elle ne pouvait pas me faire ça. Je perdais mon couple d’amoureux, mon couple idéal, mon couple modèle…
mais je n’ai rien dit, je n’ai jamais adressé la parole à quelqu’un pendant mes trajets, je suis trop timide.

12 février 2011
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