La torta pascualina d’Elli
Quand j’ai demandé une recette à Elli Medeiros pour L’Hospitalité, elle a immédiatement pensé à cette tourte uruguayenne qu’on coupe en petits carrés et qu’on sert comme ça, pour la manger avec les doigts, pendant des nuits qui n’en finissent pas, en écoutant de la musique, de la poésie, en riant, en dansant. On trouve aussi la torta pascualina ailleurs en Amérique du Sud, en Argentine, au Chili, au Paraguay…
Vous allez dire que je suis totalement méditerranéocentrée, mais en effectuant quelques recherches sur les origines de la torta pascualina, je lis qu’elle vient d’Italie, plus exactement de Ligurie, dans le nord-ouest de la péninsule – juste au-dessus de la Corse, longeant la mer –, dont la capitale est Gênes. Latino, de La Terra Madre – une adresse voisine du Monte-en-l’air qu’on ne saurait trop vous conseiller – me le confirme. Elle s’écrit alors « torta pasqualina ». Elli approuve également, précisant que l’héritage méditerranéen est très présent : « on mange des pâtes fraîches tous les dimanches en famille avec des ajouts autochtones comme le “puchero”, plat typique, une sorte de pot-au-feu avec en plus, des patates douces et du maïs en épi ».
Dans la recette traditionnelle de la torta pascualina, on trouve des œufs durs entiers – Pâques, on vous a dit – et du parmesan. Elli est vegan, donc c’est une version sans œufs ni matières grasses animales qu’elle nous propose.
L’idéal est de trouver un plat rectangulaire afin de pouvoir découper des carrés, comme cela se fait en Uruguay. Huilez ce plat et réservez-le – ou tapissez-le de papier sulfurisé.
Mettez le four à préchauffer à 180 °. Et pour une torta pascualina, comptez 3 kilos d’épinards frais (ou bien des blettes, c’est très bon, les blettes) – cela rétrécit à la cuisson, vous vous retrouverez avec 500 grammes d’épinards cuits. Vous pouvez aussi acheter des épinards surgelés, mais prenez bien garde à ce qu’ils soient sans additifs ni crème fraîche et surtout, en branches. 3 échalotes. Du sel, du poivre. De l’huile d’olive. De la muscade. Bon, ce n’est pas dans la recette d’Elli – pardon, Elli –, mais dès qu’on parle de parmesan, j’ai du mal à résister… Vous pouvez râper 100 grammes de bon parmesan, aussi. Enfin, si vous tenez à l’œuf à l’intérieur, vous pouvez soit prévoir 5 œufs à faire durcir, soit déposer 5 œufs crus en temps voulu dans la farce. Si vous choisissez l’option œufs durs, commencez donc par les faire durcir puis les réserver afin qu’ils refroidissent tranquillement.
Pour la pâte, vous pouvez soit réaliser la pâte brisée vous-même – c’est plutôt simple – soit, si vraiment vous mourrez d’impatience de goûter cette tarte, acheter de la pâte brisée déjà préparée. Si vous choisissez de réaliser la pâte vous-même, le mieux est de le faire à l’avance car elle doit reposer au moins une heure (deux heures ou toute une nuit, c’est encore mieux ; ça se congèle très bien, aussi, pendant un mois)… On reste dans la tradition et le vegan – pas de beurre ! –, il vous faudra donc (je double les proportions car c’est une tourte et pas une tarte, donc pour une tarte, vous avez compris, vous divisez par deux…) : 500 g de farine T55, 8 cl d’huile d’olive, 2 cuillères à café de sel, 4 à 6 cuillères à soupe d’eau froide. Dans le mesure où l’huile d’olive ne contient pas d’eau – à la différence du beurre –, elle ne se solidifie pas en refroidissant ; vous pouvez donc rajouter 2 œufs qui permettront de tenir l’appareil. Mais vous pouvez aussi choisir de faire sans, Elli préconise cette solution.
Mélangez la farine avec le sel et l’huile d’olive. Si vous souhaitez incorporer les œufs, c’est à ce stade qu’il faut le faire. Mélangez soigneusement. Ajoutez un peu d’eau. Travaillez la pâte afin qu’elle devienne souple et homogène. Formez une boule aplatie et couvrir de papier alimentaire. Réservez au frais au moins une heure.
La farce, à présent. Si vous utilisez des épinards frais, lavez-les et faites-les cuire dans un grand récipient avec un peu de sel et d’eau. Quand ils sont cuits, égouttez-les dans une passoire et laissez-les refroidir. Puis bien les essorer en les pressant avec les mains. Et enfin, hachez-les.
Hachez finement les échalotes et faites-les blondir dans une grande poêle avec un peu d’huile d’olive. Ajoutez les épinards. Puis le sel, le poivre. Cela doit réduire tranquillement, environ un quart d’heure – en surveillant, ça ne doit pas attacher. Si vous avez choisi des épinards surgelés, c’est encore plus simple puisque cela vous évite la première étape de cuisson – mais ça rend pas mal d’eau quand même alors il faudra peut-être égoutter.
À la fin, ajoutez le parmesan râpé et la muscade.
Vérifiez l’assaisonnement et éventuellement rectifiez. Puis laissez refroidir.
Le plus pratique pour le démoulage est de garnir un moule de papier sulfurisé.
Disposez-y ensuite de la pâte brisée étalée. Foncez le moule, faites bien remonter les bords et piquez le fond. Ajoutez le mélange aux épinards.
C’est à ce stade que vous pouvez ajouter les œufs si vous le souhaitez. Si ce sont des œufs durs, coupez-les en deux, réalisez de petits creux répartis harmonieusement dans la couche de farce et disposez-les. Si ce sont des œufs crus, réalisez de petits creux toujours répartis harmonieusement dans la couche de farce et déposez-y tout doucement les œufs crus.
Puis recouvrez délicatement de pâte et collez les bords. On ne le fait évidemment pas dans la version vegan mais on peut dorer au jaune d’œuf – avec un pinceau. Elli précise de faire de petites découpes afin que la vapeur s’échappe.
Laissez cuire environ 40 minutes à 180 ° en surveillant – vous savez comment sont les fours. Et goûtez tiède, c’est encore meilleur. Ça sent la Méditerranée et la pampa.
Je suis très fière qu’Elli participe à L’Hospitalité, une notion qui lui va si bien. Je connais sa voix depuis toujours, comme vous, sans doute, mais je la connais réellement grâce à l’amie Marion Laine, elle a tourné dans deux de ses films. Elli est une artiste engagée, au sens le moins galvaudé du terme. L’épingle à nourrice qu’elle porte parfois à l’oreille, elle vient vraiment du punk – et pas de chez un grand couturier. Mais il est arrivé aux tendances de copier ses habitudes…
D’abord avec les Stinky Toys puis dans son duo avec Jacno, Elli Medeiros fait partie des gens – avec Etienne Daho, Daniel Darc… – qui ont sauvé les années 80… Puis en 1986 est sorti l’album Bom Bom avec notamment les inoubliables « Toi mon toit » et « A Bailar Calypso ». Elli Medeiros y retrouvait des rythmes d’Amérique latine, son Uruguay quitté à l’âge de 14 ans pour arriver à Paris, et découvrir la langue française.
Icône incandescente, d’un chic à la Lauren Bacall, mais une Bacall rieuse, déhanchée, subtile et modeste, à la fois musicienne et auteur, dessinatrice, styliste, actrice… Elle joue notamment pour Philippe Garrel, Olivier Assayas, Toni Marshall… Et élève sa tribu de quatre enfants. Un nouvel album, EM, était sorti en 2006. Et des choses sont actuellement en préparation… Elli Medeiros peut aussi avoir des idées – avec Thierry Fontaine et André Lozano – comme celle d’un « Hurloir », un dispositif pouvant être installé à différents lieux du globe, reliant deux endroits qui s’estiment unis par une certaine tension historique. Le Hurloir transmet en temps réel et sans interruption un cri ou une parole libre, à l’aide de microphones et de haut-parleurs. Ainsi, en 2006, le Barrio Sur à Montevideo et le Palais de Tokyo à Paris ont-ils été reliés par le cri et la liberté de parole, grâce à Elli.
Il est toujours très agréable et rassurant de rencontrer des personnes aussi belles de l’intérieur que de l’extérieur et Elli fait partie de ces gens-là. Et en plus, elle a plein de bonnes recettes vegan…
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[1] Photo d’illustration : Elli Medeiros à la Plaza Independencia à Montevideo, en Uruguay + pascualinas de la confiteria Biarritz à Montevideo © Elli Medeiros.
Photo de Laure Limongi, Benoît Virot (Le Nouvel Attila) en second plan et en tout premier, la torta d’Elli © Aurélie Garreau pour le Monte-en-l’air.
Photo en vignette Elli Medeiros, Pacôme Thiellement et Laure Limongi © Shige Gonzalvez.