Un tronc
Deux têtes sortent du tronc
Une résidence dans un lycée. Comment je mute tout en étant en résidence.
Ici. Ci-dessous le processus de la mutation. Comment retomber sur ses pattes après avoir muté.
La solution : inauguration d’un projet bicéphale, deux têtes : celle du professeur, celle de l’écrivain accrochées à un même tronc.
J’ai dit que je travaillerais sur une épopée contemporaine.
Voilà, je ne travaillerai plus sur une épopée contemporaine (ou quasi plus).
Je ne crois plus aux têtards aux détails de leur anatomie, je ne crois plus aux squelettes et à la pratique musicale de côtes qui m’aurait bien plu si un instrument de musique avait été fait sur cette base. Je vous proposais quelque comme une sorte d’épopée contemporaine (voir projet tout en dessous) : avec des radeaux modernes, avec des aventures modernes de tout poil, version Gilgamesh goût du jour, et bien je n’y crois plus une seule seconde, qu’est-ce que je foutrais en pleine mer me tournant les pouces sur une embarcation frivole imaginant toutes sortes de baleines vautrées, de grands animaux domestiques, de pattes de taureau qui servent de talisman. Rien de ça rien. Que faire donc ? (dans ma résidence) donc en étant dans cet état cru, quand l’équilibre d’avant n’est plus là, quand je ne suis plus là qu’à lécher une brique et à pouvoir juste en dire des bribes sur le goût.
L’issue à ça.
La voici.
Confection d’un projet bicéphale.
2 têtes.
Écrivain/prof.
Couturés dans un tronc. (il faut imaginer ici un dessin de tronc avec deux têtes qui remuent en tous sens).
On va former un organisme bipartite et monter un projet pilote.
Quel genre ?
Ça.
Pas de différence écrivain/professeur, écrivain/professeur : kif-kif. Sur le même bateau, on fonce côté à côté, moi côté gauche du tronc, je me démène, je vise une masse, une masse groupée, une 20 aine de têtes groupées, dans une salle, je vise la masse, je la toise, je lui donne une petite secousse, et vous que pensez-vous demain je vous emmène à la mer, on pêche du poisson, qui dit oui. Ça botte qui. Qui veut pêcher du poisson marin demain, à la mer, filet de pêche et tout, bottes de pêche aussi. Qui ? Je veux juste secouer la masse jeune, je veux juste sortir de la masse jeune de la phrase, du cerveau-phrase, qui aime la pêche, qui a déjà pêché du poisson, vous avez pêché quoi comme poisson, et commence les débuts de phrases de pêche, un poulpe, je suis tombée à la mer avec mon père, le poisson était tellement gros, il a tiré on est tombé.
Et l’autre membre du tronc, professeur donc, va bientôt embrayer, va bientôt reprendre son cours comme si de rien était, un cours de français en bonne et due forme, un cours d’apprentissage scolaire, embrayé sur la pêche au poisson, oui, et bien la pêche au poisson, ça se développe, ça s’étudie, le problème du poisson relâché, la question éthique, relâche-t-on un poisson pour le plaisir de la pêche, pourquoi souffrir pour un poisson, qui souffre ici pour un poisson, la raison d’être des poissons, mais aussi des taureaux, les taureaux souffrent-ils, etc. Mathilde Couplan professeur, embraie avec les taureaux, je donne mon cours sur les taureaux, la corrida, les poissons pêchés pour le plaisir, et puis relâchés, et les taureaux alors, qu’en pensez-vous. Ainsi de suite.
Je reprends, l’idée, moi là, faire sortir de chaque tête-jeune, des phrases, souvenirs-phrases, souvenirs-phrases de proximité, phrases de contenu à soi, propre, de sa vie propre, hors école. Ensuite on monte ces phrases, on les viscère, on les monte une à une, on les tient, on les soigne, chaque phrase sortie d’une tête jeune, à la pêche avec mon père, on soigne le contenu de la phrase, le tronc bicéphale s’en empare, écrivain/professeur.
Ce sont des points piquants hardis de cervelle qui se font jour là, dans ces têtes jeunes, ce sont des irruptions piquantes, elles vibrent, elles sonnent, le tronc les tire, les emmène vers une encoche, portion de savoir, station d’apprentissage, on stationne un instant sur la phrase, sur l’anecdote, sortie des têtes jeunes, on cherche comment tirer de l’anecdote un apprentissage, conduire l’anecdote dans une cellule-apprentie, l’autre part du tronc : professeur, actionne son savoir, fixe son savoir à l’endroit de la station, et en avant pour une petite faction d’apprentissage salutaire, et tout le monde s’y met, s’y mêle, s’y confond, toutes les têtes jeunes, viennent fondre là à cet endroit là d’apprentissage, le plus mordant, le mieux greffé à ses souvenirs, à ses histoires, à son cerveau propre et son élan.
Ce que je vous raconte là est le résultat d’une métamorphose, le résultat d’un changement, je n’aimais d’humain que l’excroissance, la dérive fantasque, je n’aime de l’humain maintenant que l’humain trait pour trait, que sa carcasse, que son menu mouvement vers sa carcasse, que sa carcasse nette, ferme, lestée.
Je n’aime de l’humain que sa carcasse propre sans fioriture, sans endroits gondolés. On ne m’attrape plus par l’imagination.
Je dégringole de ma place. Je suis une écrivain dégringolé. Et dégringolant de ma place, je ne sais plus ce que je suis. Je pensais être écrivain selon ses pronostics, ses usages. Je me présente devant une masse jeune, avec cette incertitude totale, je ne suis plus écrivain, je ne sais plus que faire avec vous, j’ai perdu mes fixations, repères, mes endroits d’accroche littéraire, ce que j’aimais avant, je n’aime plus maintenant, je me présente devant vous, dans cette totale dilatation de ma personne. Je ne sais pas ce que je vais pouvoir vous dire donc, et faire avec vous. Ce sont les phrases que j’ai dites à la classe, dans une scène d’aveu.
Tant pis.
Pour combien de temps est-on identique ?
Pour combien de temps suis-je d’origine écrivain, et ai-je un futur selon cette origine.
Je cesse là maintenant ma lancée, l’évidence de ma lancée.
Advienne que pourra.
C’est de là qu’a surgi la formation d’un tronc.
Et en dessous le projet tel que je l’avais écrit avant que la résidence ne commence.
PROJET D’ECRITURE PROPREMENT DIT :
L’idée c’est donc d’écrire d’une traite une épopée contemporaine, une écriture du rituel, une nouvelle formule rituelle et annonâble par des païens, par des incroyants avec comme lieu d’aventure la mer comme êtres existants des organismes animaux et humains, des animaux en disparition, des humaines de fin de race et suivre la rubrique aventure de tout poil, dans l’idée, j’ajoute, je donne du gras à une bête équipée, rudimentaire sur un appareil en mer.
Une épopée contemporaine donc tous à l’eau, à l’océan, tous nos bustes proéminents sur un établi de mer, une embarcation quelque chose en plusieurs exemplaires, des animaux posés sur les radeaux, et tout ce beau monde en partance pour une épopée imminente, aventure d’eau, les bustes tirés vers la performance . Des bustes contemporains partant à l’aventure sur une embarcation incalculable et cette marmaille fière de son destin. Portail libre en avant sur la mer. Une épopée contemporaine inscrite sur des tablettes de terre.