c’est ainsi que nous faisons signe


cela n’a pas plus de conséquences qu’un mauvais rêve. Et je n’y aurais guère pris gare si je n’y avais été contraint par quelque pressentiment impérieux, attendant passivement la prochaine occurrence, car il n’est pas d’attitude plus pertinente en pareil cas. C’est du moins

ce qu’il me semble, mais je ne saurais trop m’avancer sur ce point, ni sur un autre d’ailleurs, ayant perdu depuis des lustres le goût de l’injonction. Reste

qu’en d’autres temps nous aurions pu échanger des considérations plus esthétiques. Aujourd’hui,

le froid s’insinue entre les strates de la conversation. Il saisit. C’est une inquiétude qu’on ne peut conjurer qu’en feignant l’amnésie. D’aucuns

s’y complaisent visiblement. Ce que je ne saurais

expliquer même si je le voulais. Que trouves-tu donc de si irritant dans un tel comportement ? L’oiseau n’a pas plus d’égards lorsqu’il prend son envol et va, par les airs, en déployant ses ailes. Cependant, nous avançons, comme mus par une nécessité qui n’est peut-être pas

si convaincante. Ceci, nous le concevons lorsque notre pensée admet sans détours l’ambiguïté du présent. Une perspective certes

inutile mais stimulante et bien digne d’être prise en considération. Toutefois, je redoute parfois de perdre

l’équilibre comme si je n’avais plus tout à fait les mêmes sensations. Voilà qui est certainement un peu exagéré car, contre toute attente, la nuit, je m’éclaire à la flamme d’algorithmes particulièrement

volatiles. Quelque chose

de doux et d’inextricable à la fois peut se produire dans ces moments d’une intense iridescence. A toi

d’y prêter attention et d’y être fidèle lorsque tu perds la main et que le sens t’échappe. Sauras-tu bien tenir le compte des identités fugaces qui te traversent et se perdent

dans ton intimité ? Comme le vent dissipe les feuilles mortes sur la chaussée humide, je prends soin d’éparpiller les exigences sévères d’une prose aux intuitions précaires. Notre félicité a peut-être l’apparence erratique de vieux souvenirs mal gauchis et pâlis, elle n’est pas sans qualités et savoir la partager pourrait se révéler

d’un effet bénéfique. N’entends pas par là que je t’encourage à persévérer ou à te familiariser avec l’inaccompli. C’est un prédicat fragile et délicat qu’il faut aborder avec les précautions requises, comme lorsque nous prenons pied sur un terrain friable et que soudain

nous risquons de chuter. Appliquant
la méthode du sourire avec un goût
prononcé pour l’abstraction, je conviens
qu’il est souvent judicieux d’adopter
une attitude plus équivoque pour maintenir

à flot les quelques certitudes qui nous tiennent lieu de réalité. Rompre pourtant

n’est pas une solution, ni courir sans cesse dans l’espace du sensible à la recherche de nouvelles hypothèses, aussi fécondes soient-elles. Tu le sens bien, mais peut-être te faut-il encore l’éprouver, c’est pourquoi tu sembles parfois t’imposer

une certaine forme de radicalité mal ajustée et artificielle. Nos étreintes sont aussi des doutes que nous partageons. Cela

veut-il dire quelque chose au regard de l’énergie que nous déployons à désirer sans objet ? Sur cette question les constructions syntaxiques élaborées dans le secret du cœur perdent leur acuité. Elles s’émoussent et s’évaporent en effluves que nous ne parvenons à analyser qu’au prix d’un effort presque

intolérable sur notre volonté. Tout comme ces émotions que nous tenons pour des vérités et qui cependant se délitent, attendant tapies dans l’ombre de se manifester de nouveau lorsque nous serons prêts à écouter leurs revendications. Le jour se lève et je voudrais bien m’arrêter un instant

de t’aimer, prendre le bus pour aller travailler, retrouver les gestes

qui me sont familiers. N’oublie pas

que je me déplace toujours avec mes habitudes. C’est pour cela que tu dois me choyer et non

pour l’attention que j’accorde à la pression de l’air sur ton corps immobile. Aussi banal soit-il, le quotidien a la vertu de la ténacité et je m’y prélasse avec un plaisir

non dissimulé. Au moment opportun il sait se signaler en conservant son objectivité. Ne pleure pas, ce n’est rien. Je m’accroche à un fil si ténu qu’il pourrait bien

casser. C’est là

qu’est la beauté de la situation : dans cette fragilité et dans l’impermanence des baisers que nous échangeons avec l’espoir de pouvoir

recommencer demain. Outre

l’aspérité apparente de cette attente, le plaisir y tient, semble-t-il, une place non négligeable. Comment ne pas saisir l’importance d’une telle arithmétique ? Et pourquoi résister à l’attraction du réel que tes caresses

prodiguent avec une prodigieuse délicatesse ? Pars,

si tu le veux. Il n’y a pas de condition à l’affection ni de repli possible quand on a longtemps fréquenté les plages paisibles

de l’immanence. Si je me lance de cette façon, considère cette démarche comme une déclaration. C’est une tâche que je m’assigne : donner un nom aux choses. Mais elle serait

impossible à remplir si nous n’entretenions une muette communication avec bêtes et choses, laquelle

n’a pas de caractéristique d’ordre métaphorique. Au contraire, je t’assure

qu’il n’est pas de formule plus concrète. C’est ainsi que nous faisons

signe. Aussi, parfois


2 mars 2012
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