chronique n°6 hors les murs

L’appel des grottes

Fin novembre, je reçois une invitation àparticiper àun festival de films documentaires dont le thème, cette année, est le désert. En soirée d’ouverture est projeté un film sur Théodore Monod. Pourrais-je venir parler du plus célèbre des Sahariens ? Le festival se déroule àMontignac-Lascaux, en Dordogne. Lascaux ? Dordogne ? Ai-je bien entendu ? Il semblerait que le tunnel préhistorique et archéologique où je circule depuis trois mois a décidé de dévier brusquement sa course, de quitter l’enceinte du musée et de me transporter dans le lieu même où tout a commencé, au cÅ“ur de la vallée de la Vézère, haut lieu s’il en est de la culture préhistorique, capitale mondiale de la Préhistoire.
Me voici, quelques jours plus tard, en route pour Lascaux. Les organisateurs du festival Documen’terre m’ont inscrite pour une visite de Lascaux 4. La veille de mon départ, Karine Lethiec, musicienne en résidence au musée avec son ensemble Calliopée, m’a conseillé de visiter également Lascaux 2, la première réplique de la grotte, et m’a donné un contact sur place. J’ai envoyé un message àla personne qui pourrait, peut-être, me permettre de visiter la copie des années 1980.

Pour l’heure, je découvre la petite bourgade de Montignac, au bord de la Vézère. Maisons anciennes àcolombages sur pilotis, qui s’alignent dans des ruelles médiévales étroites, lavoirs et fontaines, couvents, prieuré, beau pont du XVIIIe.

J’apprendrai plus tard que l’ancienne forteresse de la ville, détruite en 1825, a appartenu àla famille d’Albret dont est issue Jeanne, la nièce de François Ier, née au château de Saint-Germain-en-Laye en 1555, future reine de Navarre et mère d’Henri IV. On en revient toujours au Château...
Je loge dans l’hôtel de Bouilhac, ce fut la résidence d’un des médecins de Louis XV qui, m’explique mon hôte, lui sauva la vie par un remède àbase de chardon. Le roi l’anoblit et le médecin prit comme blason la plante aux vertus médicinales... Sur une autre poignée d’un placard de ma chambre, je trouve aussi la nigelle de Damas, la mauve, la violette et les asters. Les médecins de l’époque sont avant tout des botanistes, et des herboristes.

Mais revenons àla préhistoire. Il est 10h lorsque j’arrive àLascaux 4, le vendredi matin. Le Centre international de l’Art pariétal de Montignac a été inauguré récemment, en décembre 2016. Cet immense bâtiment en béton et verre de 150 mètres de long, àdemi enterré, aplati et adossé àla colline, présente un fac-similé de l’intégralité de la grotte, àquelques encablures de celle qui fut découverte en 1940, fermée au public depuis 1963.
La visite du fac-similé (soit 900 m2 de surfaces ornées reproduites) se fait par petits groupes, accompagnés d’un guide. Le nôtre s’appelle Gwenn Rigal, il est l’auteur d’un remarquable ouvrage de synthèse sur l’interprétation de l’art pariétal (Le temps sacré des cavernes, José Corti, 2017), autant dire que je suis tombée sur une des personnes les plus qualifiées àLascaux pour conduire cette visite. Nous sommes une petite dizaine, en cette fin de novembre, àentrer àsa suite dans la réplique de la grotte.

La lumière est tamisée, et la teinte d’ocre rouge ou jaune des peintures lui donne une nuance ambrée douce et chaleureuse. Toutes les images peintes sur les parois sont extraordinairement familières tant elles ont été reproduites et diffusées, mais se trouver dans une réplique exacte de la grotte introduit une perspective inédite et plonge le spectateur dans une atmosphère réellement impressionnante. C’est autant la prouesse technique qui a permis la réalisation de cette copie que l’appréhension des représentations qui chahutent l’esprit. On pense aux découvreurs, quatre gamins dont le plus âgé avait 18 ans, et qui se sont enfoncés, torche àla main, dans l’obscurité de la grotte, fermée par un éboulement depuis des dizaines de milliers d’années. Une couche d’argile opportunément placée au-dessus du plafond de la cavité a protégé les peintures du ruissellement et de l’effacement progressif. Elles sont restées là, intactes, pendant 17 ou 18 000 ans.

On a beau savoir qu’on est àl’intérieur d’une copie, l’imagination cherche des repères àquoi s’accrocher. C’est tellement inimaginable... Qui sont-ils ? Comment ont-ils fait cela ? Dans quel but ? Comment vivaient-ils ? Comment pensaient-ils, ces hommes et ces femmes de Cro-Magnon qui ont peuplé cette extraordinaire vallée de la Vézère ?
Gwenn nous fait part des techniques et des procédés : polychromie (rouge brique, ocre, noir, blanc et même violet), pochoirs, estompes, réserves, perspective. Même l’anamorphose est maîtrisée. L’utilisation du relief des parois est d’une subtilité incroyable. Du matériel a été retrouvé dans la grotte d’origine, permettant de savoir que les peintres de Lascaux utilisaient des lampes àhuile pour s’éclairer, des pigments minéraux (oxyde de manganèse pour le noir, ocres et argiles pour le rouge et le jaune) qu’ils écrasaient et appliquaient avec des pochoirs, des pointes de sagaie qui servaient de burins àgraver ; on suppose qu’ils ont construit des échafaudages pour atteindre les parties élevées des parois et le plafond de la grotte.
Bientôt on est pris par le vertige ; la foule des animaux qui tournoient dans une cavalcade endiablée autour de nous introduit une sorte de divagation étrange, de sidération.

À déambuler ainsi au milieu des aurochs et des chevaux, des rennes et des taureaux, on est saisi par la grande beauté des images, leur extraordinaire vivacité, le mouvement intercepté, la formidable technique des peintres qui ont réalisé ces fresques. L’unité de style surtout, est frappante, car on est, àn’en pas douter, devant l’œuvre de grands stylistes. Il n’y a rien de spontané ici, rien de jeté au hasard sur la paroi. Tout est « tenu  » àl’extrême, parfaitement conçu et réalisé avec une précision stupéfiante, mais aussi un prodigieux sens esthétique.
Gwenn Rigal nous précède dans les salles que nous découvrons les unes après les autres, la splendide salle des Taureaux tout d’abord, puis le diverticule axial, le passage, la nef, le diverticule des félins, l’abside.

Tout au long de la visite, en soulignant les particularités de chaque salle et en dévoilant leurs détails parfois invisibles aux béotiens que nous sommes (il y a énormément de choses àvoir, chaque représentation recèle ses mystères et ses merveilles), Gwenn avance diverses hypothèses émises par les archéologues pour « expliquer  » toutes ces figures, ces signes, ces ponctuations, tenter une interprétation. Chamanisme, pratiques rituelles, lieu de rencontres et/ou de culte, guides de chasse, symboliques variées et diverses... les idées avancées par les chercheurs ne manquent pas. En réalité, on ne sait pas et on ne saura jamais. Mais que peut-on espérer savoir de ces hommes et femmes du Magdalénien ancien, si ce n’est qu’ils étaient déjàhabités par les mêmes questions que nous ? Aucun décor ou paysage, aucun être humain, seulement des animaux, encore et encore, qui déploient sur les parois de la grotte, sur son plafond, leur grande sarabande colorée. Aucune représentation du réel autre que celles des grandes figures animales... Oui, bien sà»r, cela avait un sens, mais il nous reste àjamais interdit. Mieux, il nous offre le rêve, l’imagination, le mystère de leur hermétisme.

Autour de la réplique de Lascaux, s’articule un véritable musée du XXIe siècle renfermant des salles thématiques, une galerie d’exposition, un théâtre, un vaste atelier qui présente huit grandes parois de la grotte autour desquelles on se déplace librement, muni de tablettes interactives. Je comprends ce qui a animé les concepteurs de cette scénographie connectée qui permet au public d’admirer au plus près les répliques des parois emblématiques, mais la topographie serrée de la grotte disparaît et les représentations, extraites de leur contexte, se transforment en images dénuées de leur pouvoir envoà»tant. Au sortir du musée, le soleil illumine les feuillages dorés de l’automne finissant. L’air vif qui tournoie au pied de la colline de Lascaux me ramène au présent. Mais le passé existe-t-il vraiment ?

L’après-midi, une autre grotte m’attend, celle de Font-de-Gaume. La veille au soir, après la projection et la discussion avec le public du festival, au cinéma Vox de Montignac, j’ai fait la connaissance de Philippe Pons, un photographe et plasticien qui m’a proposé de m’y conduire. Nous partons en début d’après-midi dans sa voiture qui sent bon le cèpe et la terre humide et nous longeons la Vézère, àtravers des paysages somptueux de la vallée dont on comprend, en la parcourant, comment elle a pu attirer les groupes humains qui la sillonnaient. Des surplombs, des petites falaises trouées de cavités, des abris, un relief contrasté qui favorise la chasse et offre des cachettes, une lumière sublime (pourquoi aurait-elle été différente il y a 20 000 ans ?). Même si àl’époque glaciaire, il n’y avait ici qu’une steppe àherbes rases regorgeant de gibier et pas de forêt, le territoire propose de nombreuses manières de l’habiter. Philippe, qui y vit depuis l’enfance, le connaît bien et m’en fait découvrir les richesses secrètes : nous dépassons de ravissants petits châteaux le long de la rivière, dans un paysage qui semble, àchaque virage, se renouveler et offrir des visions inattendues.

Mais nous voici àFont-de-Gaume. C’est, avec celle des Combarelles toute proche, une des dernières grottes ornées encore accessible au public. Une poignée de visiteurs peuvent y entrer chaque jour. Philippe me raconte que l’été, les touristes campent devant l’accès et font la queue dès 5h du matin en espérant pouvoir acheter leur ticket d’entrée. Philippe est venu les réserver le matin même et, tout comme j’ai bénéficié àLascaux 4, pourtant archi-fréquenté l’été, d’un site quasiment vide, je profite àFont-de-Gaume de la morte saison. Les dieux de la Préhistoire et de l’archéologie veillent sur moi et me pilotent àdistance, plaçant sur mon passage les messagers qui m’ouvrent le chemin.

Notre guide, une jeune archéologue, nous fait entrer àl’intérieur de la grotte, après en avoir déverrouillé la grille qui barre l’accès du premier boyau. La sensation est immédiate : rien àvoir avec la visite du matin. On entre ici dans le sein de la Terre, on s’enfonce dans l’étroit couloir, entre les parois minérales àpeine éclairées par de modestes lampes qui conservent au lieu sa nature sombre et fraîche.
J’ai visité cette grotte il y a près de 50 ans, lorsque j’étais enfant, avec ma famille. Font-de-Gaume aux bisons... Les voici qui apparaissent, rouges sur la paroi luisante. La guide nous explique qu’àcette saison on les voit mieux, car l’eau qui s’infiltre humidifie les parois et les pigments ressortent. Les bisons épousent les contours de la roche, musculeux et puissants, ils se plaquent au relief bosselé pour gonfler leur dos et leurs poitrails. Ils sont magnifiques. Le passage est si étroit qu’on ne peut avancer de front. Pénétrer dans Font-de-Gaume, c’est comme entrer dans un labyrinthe enchanté. Les peintures sont haut perchées, il faut lever les yeux pour distinguer les frises de bisons s’alignant les uns derrière les autres. Les représentations polychromes sont rehaussées de traits gravés et les détails de l’anatomie des animaux sont rendus avec une précision remarquable.

De nombreuses peintures sont situées en hauteur, hors de portée du champ manuel. Làencore, des échafaudages ont dà» être utilisés. On peut voir aussi des signes en forme de mât surmonté d’un petit toit, les « tectiformes  », et les deux merveilleux rennes qui se font face, dont la silhouette stylisée apparaît au carrefour, comme une vision de perfection absolue. La file de mammouths gravés se distingue moins facilement. Des chevaux dessinés en noir et des cerfs aux grands bois viennent compléter le bestiaire. Un loup, enfin... Philippe, qui en connaît l’existence, le cherche dans la pénombre. La guide sait où il se trouve, mais on le distingue très mal, àpeine la pointe des oreilles émerge-t-elle de la calcite qui recouvre son corps et estompe tout. Font-de-Gaume recèle d’autres beautés, mais il faudrait ramper pour y accéder ; les galeries se resserrent et s’abaissent, interdisant la visite du diverticule terminal (un félin, un rhinocéros laineux), de la galerie terminale (des aurochs femelles noires) et de la galerie latérale (un ours debout).

Les deux rennes de Font-de-Gaume, relevé dessiné par l’abbé Breuil.

La visite qui dure ordinairement 30 à35 minutes se prolonge. Personne n’a envie de quitter les lieux, la guide s’attarde elle aussi. Dans le mince corridor creusé dans la roche, encadrés par les hautes parois qui montent comme des tentures de pierre décorées vers le plafond ténébreux, nous sommes hors du temps. Chacun se tait, songeur. Lorsque nous sortons àl’air libre, en haut du petit vallon que domine la grotte, les arbres vêtus de bronze et d’or et le ciel d’azur nous accueillent, témoins muets de notre admiration.

Nous aurions pu aller aux Combarelles toutes proches, mais nous nous sommes fait souffler les deux dernières places juste avant notre arrivée. C’est une belle après-midi de fin d’automne, le vent pousse les nuages dans le bleu vif du ciel, la lumière cisèle le paysage et souligne chaque détail de la nature environnante : la fraîcheur et la beauté du décor donnent envie de plonger dedans. C’est sans doute ce qui donne l’idée àPhilippe Pons de me faire découvrir le site de Commarque. Nous roulons sur une petite dizaine de kilomètres, sans quitter la commune des Eyzies-de-Tayac, et nous laissons la voiture au bord d’un ruisseau, non loin d’un surplomb rocheux comme on en voit tant par ici, troué de petites cavités. On gagne le château en marchant àtravers bois et lorsqu’on approche de la ruine splendide qui fut le décor du premier film de Ridley Scott, Les Duellistes, on a déjàchangé d’époque : une atmosphère médiévale se dégage des murs àdemi rongés par les siècles, écroulés en partie.
Au pied du château, sous le surplomb rocheux, Philippe me montre une grotte fouillée par l’abbé Breuil dont l’entrée est fermée par une porte métallique (assortie d’un petit panneau, tout de même).

Nous grimpons jusqu’au château, du moins ce qu’il reste de l’édifice malmené par les siècles. Des pans de murs écroulés, des pignons àdemi rongés, de la tour encore fière, il se dégage une sorte d’âpreté et de sauvagerie très particulières. Alors que nous atteignons le haut de l’éperon, au-dessus des ruines, face àla vallée qui s’étend devant nous, un vol de palombes venu du bois de chênes voisin passe au-dessus de nos têtes dans un frou-frou d’ailes assourdissant. Une petite pluie fine s’est mise àtomber... On s’attendrait presque àvoir surgir, dans ce lieu àl’écart du monde, un seigneur àcheval ou bien Keith Carradine dans sa veste àbrandebourgs, ou même Denis Peyrony, instituteur devenu préhistorien et qui fouilla de nombreux sites autour des Eyzies, découvreur avec l’abbé Breuil et Louis Capitan des grottes de Font-de-Gaume et des Combarelles.

Dans l’après-midi finissante, Philippe et moi contemplons le paysage qui s’étend àperte de vue en contrebas, au cœur de ce Périgord noir qui concentre tant de sites préhistoriques majeurs. J’ai une pensée pour Catherine Schwab et pour mon cher musée de Saint-Germain-en-Laye, dont une partie des collections paléolithiques viennent de la vallée de la Vézère...

L’escapade àMontignac n’est pas tout àfait terminée : j’ai rendez-vous le lendemain matin devant Lascaux 2 avec François Bouyssavy, responsable du site. Il m’attend dans le bois qui, àflanc de colline, entoure l’entrée du fac-similé, àmoins de 200 mètres de la grotte de Lascaux. Le site est fermé àcette saison (jusqu’en avril), mais il me fait le grand plaisir d’une visite privée. Alors que nous pénétrons dans le petit hall qui précède la réplique et où quelques photos de l’époque de sa découverte sont exposées, François Bouyssavy m’explique l’histoire de cette première copie.
Au moment de sa découverte en 1940, le terrain où se trouvait Lascaux était la propriété du comte de la Rochefoucauld qui, une fois la grotte fermée en 1963 (les nombreuses visites entre 1948 et 1963 et de graves erreurs de conservation ont bien failli faire disparaître l’ensemble des peintures), imagina le premier, sur une proposition de l’artiste Monique Peytral, de faire réaliser un fac-similé de l’original. Pour financer le projet, il vend la grotte àl’État en 1972. La copie de la partie la plus emblématique de la grotte est réalisée dans les années 1970. Une armature métallique est fabriquée d’après les relevés précis faits par l’IGN àl’intérieur de la grotte, puis recouverte d’une coque moulée en béton (un béton spécial composé de chaux, sable et marbre) : l’ensemble reproduit fidèlement les parois de la salle des Taureaux et du Diverticule axial.
Durant des mois, Monique Peytral a travaillé avec les mêmes matières que les peintres du Magdalénien (oxydes de manganèse, hématite, argile jaune, calcite blanche), et selon les mêmes techniques. Lascaux 2 a ouvert au public en 1983.

François a allumé un flambeau et nous entrons dans la salle des Taureaux. C’est très impressionnant, et complètement différent de l’expérience de la veille àLascaux 4. On croirait découvrir les peintures, qui apparaissent telles des créatures fantomatiques àla lueur de la torche qui les éclaire tour àtour. François me raconte que lorsque les quatre adolescents qui ont découvert la grotte y sont entrés pour la première fois, ils étaient si attentifs àregarder où ils mettaient les pieds, sur un sol irrégulier et inconnu, qu’ils n’ont pas vu les peintures. Ce n’est qu’en quittant la salle des Taureaux qu’ils ont distingué, sur leur gauche, la grande vache rouge qui orne la paroi. Alors, ils se sont retournés. Et ils ont vu aux murs, au plafond, partout, les peintures, les grands aurochs, les chevaux, la sarabande des animaux en mouvement. J’imagine le choc éprouvé par ces jeunes garçons, bien qu’ignorants de l’importance de leur découverte, et l’émotion esthétique qu’ils ont dà» ressentir. Ce n’est pas pour rien que l’abbé Breuil a surnommé Lascaux « la chapelle Sixtine de la Préhistoire  ».

J’ai déjàvisité Lascaux 4 il y a 24 heures, mais je reste éblouie une nouvelle fois. François me fait remarquer l’homogénéité du style, l’incroyable intention qui sous-tend l’œuvre, la construction des figures, la maîtrise des traits, réalisés point par point, la technique du pochoir (sans doute en peau découpée) qui permettait de produire des figures symétriques, l’utilisation subtile des pigments, les effets de relief et de matière. J’écoute, mais je n’entends qu’àdemi. Je suis fascinée par la beauté de cette copie, son atmosphère intime et intense. Contrairement àLascaux 4, où pas un instant on n’est dupe de l’artifice malgré la maîtrise des techniques de réplication, ici on jurerait être dans la vraie grotte. C’est ce qui différencie les deux sites, radicalement opposés dans leur concept et leur finalité. À Lascaux 4, on est dans un musée. À Lascaux 2, on retrouve presque l’intériorité de la caverne, son extraordinaire puissance d’évocation.
À l’extrémité du diverticule, un cheval se cabre et bascule dans l’ouverture d’une cavité, comme s’il était précipité dans les profondeurs de la Terre, englouti par quelque enfer ou monde parallèle, qu’il va rejoindre en un ultime galop. Je pourrais rester des heures devant cette image... Elle dit tant de choses, elle porte en elle une métaphysique complète. Toutes les mythologies pourraient s’y reconnaître.

La lumière du flambeau abolit toute notion de temps, et fait reculer les limites du présent en même temps qu’il les dissout dans une sorte d’hallucination : être dans une grotte procure un sentiment très spécial qui me renvoie, je ne sais pourquoi, àcertaines images de la mythologie grecque : séjour des morts, monde inférieur, grotte du Dikté où naquit Zeus, caverne du cyclope, mais aussi au « nombril du monde  » des Indiens Navajo, réceptacle d’énergie tellurique et lieu de surgissement de l’humanité. Nous y sommes. Tout est là ! Je ne sais quels rites, quelles cérémonies, quelles croyances ont inspiré ceux qui ont orné Lascaux, mais je comprends quel dépassement de soi les a guidés, quelle force au-delàd’eux-mêmes ils ont puisé dans l’intimité des cavernes, création, initiation, origine du monde, naissance des mythes fondateurs et de leur propre existence.
Je sors de Lascaux 2 comme je quitterais une enceinte souterraine, hors du monde et dans le même temps puissamment ancrée dans un univers chtonien insoupçonné.
Lorsque nous descendons de la colline pour rejoindre Montignac, en fin de matinée, il me semble revenir d’un très long voyage...

Merci àGwenn Rigal, àPhilippe Pons, àFrançois Bouyssavy, et àtoute l’équipe de CinéToile àMontignac-Lascaux. Sans leur gentillesse, leur disponibilité, leur passion et l’attachement qu’ils ont pour les sites qu’ils connaissent si bien, ce séjour n’aurait pas été aussi enchanteur.

9 janvier 2020
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