Explorer leur singularité créatrice

Nathalie Broux, professeure au lycée Germaine-Tillion du Bourget, où Ismaël Jude est en résidence de janvier à octobre 2023.
Lire en miroir le témoignage de l’auteur.


Pourquoi, par rapport au lycée et du point de vue personnel, avoir décidé d’accueillir une résidence d’auteur ?

Je suis, depuis de longues années maintenant, convaincue de l’importance des ateliers d’écriture pour les élèves (et sans doute pour d’autres publics d’ailleurs !).
De même qu’il est fondamental d’essayer de leur faire découvrir la lecture, il est nécessaire de les faire écrire, à la main, de manière artisanale et intime, dans un cahier ou un carnet – « à l’ancienne », comme ils disent.
Dans leur vie, ils n’écrivent désormais à la main que pour noter leurs cours, et rédiger des copies. Autrement dit, uniquement à l’école, et pour être évalués. Le geste de l’écriture est donc associé à l’orthographe, à la correction, à la notation. Quelle tristesse !

L’atelier d’écriture permet de travailler autrement, non pas forcément pour réaliser des exercices « gratuits », mais pour leur faire retrouver, ou découvrir, la force émancipatrice de l’expression, explorer leur singularité créatrice.
Bien sûr, un tel atelier peut être animé par le professeur lui-même, qui fait ainsi un « pas de côté » par rapport à sa pratique quotidienne de l’enseignement du français et de la littérature. Mais rien ne vaut l’intervention d’un tiers, d’un auteur en l’occurrence, pour incarner ce déplacement, pour l’accompagner, et pour transmettre les tâtonnements, les doutes, mais aussi les horizons propres à la création littéraire.
Il était donc évident qu’une telle résidence, au long cours, ne peut être que fructueuse pour les élèves.

Enfin, nous avions envie, dans l’équipe de la filière technologique du lycée Germaine-Tillion (une seule classe de STMG en Première et en Terminale) d’offrir un projet ambitieux, élitaire, aux élèves de cette voie, si souvent sous-estimés.

Pourquoi cet ou cette auteure ?

Ismaël Jude travaillait déjà au sein de l’établissement depuis un an, avec d’autres équipes. Il était évident que dans la continuité de ces premiers ateliers, le projet de résidence lui permettrait de s’ancrer plus intensément et plus durablement au lycée.
Je savais, par mes collègues, que la collaboration ne pouvait qu’être positive, et surtout, que la relation d’Ismaël aux élèves était à la fois simple, authentique et profonde.
Ce qui n’est pas toujours le cas des artistes ou auteurs que nous accueillons dans les établissements, qui souhaitent très sincèrement accompagner les jeunes, mais ne se positionnent pas toujours de manière adéquate auprès d’eux… si je peux me permettre d’affirmer cela…

Comment se passe l’accueil de l’auteur dans le lycée, dans votre classe ? Comment cette collaboration se construit et évolue-t-elle ?

Au sein du lycée, je le redis, Ismaël avait déjà quelques repères et connaissances. Désormais, il est connu de tout le monde ! C’est un membre de l’équipe à part entière, et c’est particulièrement appréciable dans un établissement, que d’identifier ensemble celui que certains nomment encore « l’écrivain » !

Pour ce qui est de notre collaboration, elle a commencé par des séances de cours de français qu’Ismaël est venu observer, en témoin, pour découvrir la classe.
Puis, peu à peu, il a tissé un dispositif d’écriture avec les élèves, qui leur a permis à la fois de passer d’une consigne à une autre, mais aussi de comprendre qu’il existait un « fil » dans leur travail. Cela s’est fait très naturellement, d’une séance à l’autre, au gré des réactions et implications des élèves.

Pour ma part, je dois avouer que j’avais envisagé une planification plus rigide, plus scolaire sans doute, de la progression des séances, inspirée par l’idée de départ de notre résidence. Mais Ismaël m’a convaincue, en actes, que l’élaboration progressive de l’œuvre allait se faire intuitivement, sans que les élèves aient forcément besoin de savoir trop à l’avance vers quoi, et pour quoi, ils composaient leurs textes.
L’émergence de textes très forts, de fulgurances poétiques, a donné raison à cette méthode du pas à pas. C’est le but de toute collaboration : chacun apprend de l’autre !

Plus concrètement, la venue d’Ismaël se faisait toutes les semaines, entre début février et fin mai 2023, pour des séances d’une heure ou d’une heure et demie, en demi-classe. L’atelier se déroulait en cours de français, ou en cours interdisciplinaire (un dispositif spécifique à notre établissement) avec alternativement le professeur d’histoire-géographie, ou la professeure d’anglais. Une partie de l’équipe a donc très directement participé à l’atelier.

La première phase de la résidence s’est conclue par une magnifique surprise que l’auteur avait préparée pour les élèves, le 30 mai : quatre comédiens ont fait une lecture d’une première version de l’œuvre, devant toute la classe, pendant trente minutes. La fierté et la reconnaissance se lisaient sur les visages.

Quelles activités avec les élèves ? quels propos, réactions, avez-vous retenus ?

Les activités sont donc principalement des séances d’atelier reposant sur une « consigne » donnée par Ismaël, puis un temps d’écriture pour les élèves, puis la lecture de leurs textes. Les tables sont disposées en carré. Le temps de lecture est fondamental, puisqu’il instaure une habitude d’écoute, de respect de chacun, et l’horizon de l’œuvre collective.
Les élèves n’ont jamais rechigné à écrire, ni à lire leurs textes. Chaque séance s’est déroulée avec un naturel, une simplicité, assez étonnants. J’ai eu, à quelques rares reprises, à demander le silence, à solliciter l’attention. Ce sont des moments particulièrement précieux, comme suspendus.

Par ailleurs, nous avons emmené la classe assister à deux pièces de théâtre contemporain avec le théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis, et fait une sortie aux Beaux-Arts de Paris pour un festival au sein duquel une des œuvres d’Ismaël faisait l’objet d’une installation sonore et olfactive. Une expérience singulière et unique !

Voyez-vous une différence dans leur attitude ou leur travail ?

Je le redis, leur attitude en atelier d’écriture a été globalement plus apaisée, plus « retenue » que dans d’autres circonstances. Autrement dit, ils ont adhéré au dispositif, été sans doute sensibles à la présence d’un écrivain, flatteuse symboliquement à leurs yeux. Ils ont été encadrés de manière souple et bienveillante par Ismaël, et le fait d’avoir à lire leurs textes à la fin de chaque séance les a « exposés » aux yeux des autres, ce qui a créé une forme de douce régulation. C’est un dispositif subtil et très efficace.

Pour certains aussi, l’atelier a permis de prendre confiance en eux bien sûr, de s’autoriser à mieux développer, mieux approfondir les écrits produits dans d’autres lieux… en cours de français par exemple !

Plus largement, les traces laissées par un tel projet ne sont pas toutes mesurables sur le moment… Mais on les devine tout de même déjà.

Votre regard sur le travail de l’auteur en a-t-il été modifié ?

Difficile question que de « commenter » le travail de l’auteur. Ce qui est sûr, c’est que j’ai découvert, grâce à cette résidence, une nouvelle approche des « jeux » d’écriture, et une nouvelle manière de faire émerger la créativité des élèves. Une méthode, sans doute, peut-être, inspirée par l’expérience de l’art-thérapie que pratique Ismaël ; qui constitue une source d’inspiration et de curiosité pour moi désormais.

Est-ce une expérience que vous envisageriez à nouveau ?

Selon moi, je l’ai dit, les ateliers d’écriture sont des propositions pédagogiques essentielles, qui devraient être étendues, voire généralisées. La résidence permet un travail en profondeur, sur le long cours… elle est en cela tout à fait adaptée au temps de l’éducation, comme aux aléas de l’adolescence.

J’avais participé à une résidence d’artistes avec la Région Ile-de-France il y a quelques années. Cette résidence avec Ismaël Jude est donc pour moi la reconduction d’une expérience antérieure… Alors à quand la prochaine ?


De Nathalie Broux on lira également cette « Scène de rencontre », remarquable témoignage et analyse où la professeure revient sur les enjeux d’une rencontre en classe avec l’auteur Michel Simonot.

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