Un ou une élève lit
La scène se reproduit de classe en classe : un ou une élève lit. D’un individu à l’autre les variantes sont nombreuses : voix assurée, cassée, forte, faible, hésitante, trop rapide, presque étouffée, timide, bravache, fière, tendu par l’émotion, apparemment indifférente, grave, aigüe, criarde, murmurée, portée, soutenue, relâchée. Le ton est parfois bon, parfois absent. Certains surjouent, cabotinent, d’autres me font clairement entendre au ton de leur lecture qu’ils n’avaient pas envie de lire. Mais un ou une élève est en train de lire (et si j’ai parfois beaucoup insisté, je n’ai jamais forcé personne), il ou elle lit le texte qu’il ou elle vient d’écrire.
De classe en classe, la consigne est sensiblement la même : partir d’un élément du cours pour se l’approprier. Par exemple : puisqu’il faudra évoquer un texte de loi durant le grand oral du bac Sanitaire et Social, je propose d’écrire en quoi cette loi-là peut concerner celle ou celui qui l’a choisi. Par exemple : lister les notions de philosophie du programme, en choisir une et écrire en quoi cette notion-là concerne celle ou celui qui l’a choisie. Par exemple : évoquer des notions au programme comme la discrimination, l’égalité des chances, la parité, et écrire en quoi ces notions-là peuvent concerner celle ou celui qui les a choisies.
De classe en classe, je demande aux élèves de prendre appui sur un élément de leurs cours et d’écrire un texte personnel et singulier dans lequel un lien sera noué entre ce savoir et la vie quotidienne.
L’idée toute bête est de décloisonner un peu. De s’amuser, d’essayer, d’expérimenter. De s’emparer de la langue pour dire quelque chose de soi qui soit en lien avec l’une des matières scolaires.
Et ensuite, chaque élève lit, à voix haute, devant les autres.
Et on verra si plus tard ces textes-là seront diffusés, s’ils resteront confinés au secret de la classe, s’ils seront partagés et à qui.
Pas de censure, pas de moquerie, pas de jugement. La confiance.
Alors, un ou une élève lit, et la classe écoute. Et parfois (souvent) l’émotion flingue tout le monde. J’explique qu’il y a deux intelligences : celle du savoir et celle du sensible. Connaitre une loi, c’est un savoir. Voir comment elle s’applique à nous, comment elle est respectée ou trahie, comment elle peut infléchir nos vies, c’est du sensible.
J’entends des choses inouïes.
Nous entendons des choses inouïes.
L’autre jour, une élève lisait, la sonnerie a retenti au milieu de son texte et personne n’a bronché. Pourtant la classe était finie, la journée aussi. Personne n’a bronché parce que ce qu’elle avait écrit nous flinguait. Quand tout le monde est sorti, ensuite, je suis allé la voir pour la remercier. Elle m’a juste répondu que ce texte-là, elle ne l’avait pas écrit que pour elle mais aussi pour d’autres filles de la classe qui avaient vécu la même chose qu’elle. Elle avait compris d’elle-même l’une des plus hautes fonctions de la littérature : faire communauté. Écrire un texte singulier qui va savoir devenir collectif. Et elle est partie en souriant, fière et heureuse.
Alors oui, je continue. Je travaille en collège et en lycée pour ces moments-là, ces moments où je ne suis plus face à une classe mais bien face à un groupe d’individus dont les singularités s’additionnent, se croisent, s’enrichissent dans l’écoute, le travail et le partage.