Une floraison constante et discrète

Mia Brion, en résidence au lycée Joliot-Curie (Dammarie-les-Lys, 77) de janvier à mai 2023.
Lire en miroir le témoignage du professeur, Valentin Grimaud.


Comment et pourquoi avoir choisi un lycée comme lieu de résidence ? Aviez-vous déjà une expérience face à des élèves ? Avec le ou la professeure qui vous accompagne ?

Ma pratique, que ce soit sur l’axe littéraire, artistique ou de petits boulots, est renseignée depuis plus de dix ans par des questions de transmission, d’éducation et de travail collectif. Je viens d’une famille de professeurs, je dois énormément à l’éducation nationale : dès lors c’était une évidence. Valentin Grimaud, le porteur du projet de la résidence, est un ami de longue date, rencontré en prépa lettres, dont j’ai pu apprécier l’envergure du parcours littéraire et humain, au-delà de son statut de normalien agrégé, nous partageons des passions littéraires, musicales et ludiques communes, et avons pu ces dernières années renouer précisément sur ces sujets, dans une générosité et une bienveillance pour lesquelles je le remercie chaque jour ou presque depuis.

Comment se passe une séance en classe ?

Au cours de ces cinq mois de résidence, j’ai pu faire une douzaine (? beaucoup) d’ateliers différents, souvent sur plusieurs séances. Le projet de résidence était de faire travailler les élèves sur une approche empirique de la poésie par le travail des liens de cette dernière avec les musiques contemporaines, c’est-à-dire : la pop, les hymnes, les tubes, les hits, les punchlines.

Par exemple sur une heure, deux, deux ou trois fois : un travail de centon sur les premières pages de mon premier ouvrage, poème en prose, à retravailler dans une structure classique musicale : 2 à 3 couplets entrecoupés d’un refrain. Une étude de la prosodie d’une chanteuse pop anglaise, Charli XCX et son sleeper hit « Official » pour poser un couplet mimant sa scansion sur un thème libre. Écrire un poème d’amour lyrics faisant l’interpolation d’une chanson de son choix. Et d’autres choses, mais concentrons-nous sur ces trois cas.

Après m’être présentée suite à l’introduction des professeur·es, on se met au travail, toujours collectivement, dans une approche vue-de-dessus pour repérer la structure pré-existante ou celle nécessaire. Puis des temps solo et calmes, en insistant sur la facilité qu’il faut se permettre de prétendre avoir pour écrire de la poésie.

Les réactions ont été, à mon plus grand plaisir, bonnes, du moins jamais négatives, et parfois enthousiasmantes dans ce triangle élève - professeur - moi-même. Chaque professeur·e avec qui j’ai pu travailler a été enchanté·e de ma présence et curieux·se de mon approche pédagogique de la matière littéraire. Bien sûr, les élèves ne voulant pas travailler du tout, ou bâcler le travail demandé, il y en a eu quelques un·es. Et tant mieux, finalement, l’idée n’était ni punir ni surveiller.

Avez-vous constaté avec le temps des changements ?

Je dirais une sorte de floraison constante et discrète. Il ne s’agit pas de faire de miracles, mais de faciliter quelque chose, que ce soit du côté des jeunes que de leurs professeurs. Les élèves avec qui j’ai pu travailler régulièrement, sur des temps longs, plusieurs séances, ont joué le jeu mieux que j’aurais pu l’espérer.

Que pensez-vous qu’une telle expérience peut leur apporter ?

C’est ça peut-être l’enjeu, l’espoir. Je ne pense pas que l’expérience telle ait apporté quelque chose à leur vie déjà si pleine. J’espère qu’iels ont pu comprendre plus jeune que moi j’ai pu le faire : on peut être jeune, en vie, illégitime vis-à-vis de l’hégémonie littéraire, le canon, et être capable de traduire l’océan d’information, d’images et de paroles qui joue un rôle crucial dans notre rapport au réel.

Que vous apporte la présence du ou de la professeure ? Votre regard sur son métier a-t-il changé ?

Leur présence est celle nécessaire : l’habitude qu’iels ont du temps long pédagogique permet de cadrer, de contextualiser mes interventions : faire des notes de bas de page se référant aux choses abordées en classe a toujours été très utile. Leur connaissance des élèves a permis aussi d’adapter mon approche. J’avais déjà un respect infini pour le corps professoral, comme spécifié plus haut. Cependant, j’ai pu voir de près comme ces personnes ont un travail gigantesque. Plusieurs fois, j’ai compris que j’étais là pour fluidifier, pour alléger, une fois que les professeur·es avaient compris qu’il était possible de me laisser la place de productrice exécutive. Un jeu à somme non nulle.

Ces circonstances influent-elles d’une façon ou d’une autre sur votre création en cours ?

J’ai ce souvenir vague d’un séminaire lors de mes études sur les « à-côtés », les pratiques « non artistiques » des artistes. J’ai eu l’impression d’utiliser plus profondément des thèmes et techniques du livre que j’ai pu finir d’écrire et envoyer quelque part. Tout en devant être la plus claire possible, alors que mon approche de la référence, de l’interpolation, du remix, etc. est, dans ce paradigme, cryptique à souhait. Expliciter un fonctionnement que l’on comprend de façon complexe permet de le comprendre à un niveau de complexité plus haut encore.

Un cas spécifique, où je remercie vivement une fois encore M. Grimaud : lors d’une rencontre à la médiathèque de Dammarie-les-Lys, qu’il a menée avec le regard vif qui j’espère le rendra célèbre (célébré, surtout), j’ai compris une chose. Dans son approche de ma très jeune pratique, il l’a considérée comme une monographie, permettant de créer un parcours cohérent, reliant mes cinq années d’études en art, mes dix douze années de poésie, la résidence… Et il m’a fait réaliser un lien entre mon premier livre et le prochain qui m’échappait inéluctablement comme je voulais à tout prix écrire dans un autre paradigme poétique. De réaliser ce type de lignage m’a permis de clore bien des choses vis-à-vis du livre.

Puis, que je sois sérieuse, autant que je suis reconnaissante. Les conditions matérielles de production d’une œuvre, même littéraire, sont cruciales. Ne pas avoir de job alimentaire, « à côté » (haha), m’a permis plusieurs choses : rembourser des dettes, m’acheter du matériel pour travailler de meilleure manière, payer mes loyers, ne pas être en stress constant de joindre les deux bouts. C’était génial comme sensation, et elle va me manquer. L’argent est donc une sensation. Avoir 1800 euros par mois environ, c’était une première pour moi. Je rêve désormais d’un salariat.

T T+