1 — Philosopher à l’arc
Prédation et démocratie — Jean-Paul Curnier à l’espace Khiasma
Soirée de lancement de la résidence
La résidence de Jean-Paul Curnier a été inaugurée par une discussion publique au sujet de l’un de ses livres récents, ayant constitué la matrice de sa réflexion menée à l’espace Khiasma, laquelle explora les liens entre prédation et démocratie. Ce titre, Philosopher à l’arc, désigne en effet ce qui fait le contenu de ce livre : une autre condition, une autre expérience de la pensée. Donc aussi une autre forme de pensée. C’est en quelque sorte une forme d’« expérience extérieure » qui fait réponse à la notion d’« expérience intérieure », développée par Georges Bataille.
Jean-Paul Curnier fit donc part au public des modalités selon lesquelles cette « expérience extérieure » se déploie dans l’exercice de la chasse à l’arc. Une façon de penser la prédation, car la pensée dont il est question dans l’expérience de la chasse à l’arc est celle à la fois du fait de devoir tuer pour manger, et celle de savoir qui tue qui, étant donné l’expérience particulière de la chasse à l’arc. Il s’agit alors, en réalité, de renouer par cette expérience avec les formes de pensée de l’homme qui nous a précédé, puisque cette expérience a été la sienne :
— Elle implique une confusion, une sorte d’osmose entre la proie et le chasseur dont la trace dans les civilisations contemporaines n’a pas totalement disparu.
— Inversement, cette expérience implique un rapport de fraternité avec la matière du monde (avec la « chair » des êtres du monde) qui ne permet pas de penser le rapport aux animaux ni à la prédation en général de la même façon que celle que nous connaissons et qui élargit notre sensation d’appartenance au vivant et à l’humain d’une manière considérable. Non seulement les notions de bien et de mal n’y sont plus les mêmes, mais l’éthique qui règle les rapports entre les êtres ne se fonde pas sur les mêmes certitudes. Venant comme en prolongement de cette osmose dans le rapport de vie et de mort pour la nutrition, la chasse à l’arc, du fait de la courte portée des flèches, implique un rapprochement maximal avec les proies. Cela signifie d’une part une connaissance approfondie et presque intime des animaux, mais aussi une faculté commune à une très grande partie des êtres vivants qui prend tout son sens ici pour le chasseur : celle du camouflage, du brouillage des apparences, de la discrétion absolue de soi. Jusqu’à ne plus exister que comme un animal, précisément. Se camoufler, ce n’est pas se cacher. C’est jouer avec les perceptions de l’autre, c’est troubler ses habitudes. Introduire de l’incongru dans sa connaissance, souvent très étendue, de l’homme comme prédateur. Alors, l’expérience de l’arc devient une expérience décisive qui ne permet plus de retour en arrière et ne peut plus se contenter de faux-fuyants.