#2. Mon projet littéraire n’est pas d’inspiration

mars 2011 / Paris /
dossier de demande d’aide à la résidence d’écrivain en Ile-de-France /
présentation du projet littéraire Je deviens Jimi Hendrix / d’Eric Da Silva /
aux responsables de la sélection des écrivains
qui bénéficieront d’une résidence en Ile-de-France /
durée : 7’55


Mon projet littéraire n’est pas d’inspiration – je n’ai pas commencé par être auteur – par écrire. J’ai commencé par jouer pour apprendre. Apprendre à vivre en jouant est le leitmotiv que je préfère avancer – en préalable.
Plus tard la question est devenue : si jouer est vivre, il faut donc écrire ses propres partitions, pièces, histoires. Parce qu’elles deviennent aussi nécessaires à l’incarnation du jeu que les évènements fortuits et inédits qui construisent notre réalité. À chacun – sous ce postulat « d’entreprendre à vivre », une étonnante énergie a tout de suite emboîté le pas et poussé sur ma pratique du théâtre un appétit vorace de chercher à singulariser qui par références, défauts, tics, manques, ratages ou bien vrais talents et réelles inspirations et m’a encore plus vite persuadé que je n’arriverais jamais « à bon port » si je laissais à d’autre le soin de me conduire – quand bien même cet autre se nommerait Shakespeare.
Fort de cette vision ou conviction, m’apparut l’idée que ce que je fabriquais pourrait, aurait l’audace de concurrencer la réalité – sinon rien. La vie de théâtre et comme on dit « la vraie vie », face à face en concurrence. Il me sembla mettre à jour une motivation intérieure impérieuse que je n’avais jamais éprouvée et pour cause, je ne la possédais pas en propre. Elle ne m’était pas « innée » - c’est le théâtre qui me l’avait acquise – voilà pourquoi il me revient de dire que mon projet littéraire n’est pas d’inspiration – il est contingent à ma pratique de théâtre.
Mais je ne donne encore qu’une partie de l’explication qui peut apparaître à brûle-pourpoint, arbitraire, abstraite et que sais-je encore ! Je poursuis – ce qui me fait écrire, c’est-à-dire jouer, vivre, n’est pas le monde ou l’univers intérieur que je porterais et que j’exprimerais parties par parties, pièces APRESPIECESMORCEAUXAPRESMORCEAUX dans une lente mise en lumière de mon intériorité ruminante et affectée, légitimant pour l’occasion une espèce de cohabitation personnelle avec le MONDE.
Rien de tout cela me concernant. Ce que j’écris ne préexiste pas en moi et s’il y a des choses en attente d’existence, elles sont je crois pulsions d’une autre nature – résonances avec un dehors – et produisent un mouvement – appellent un jeu – des moyens d’espace et de temps se créent, se forment pour une mise en relation avec ce que je désigne par « conflit » : une apparition – une sorte d’intensité « métamorphique » qui ne se prévoyait pas à l’avance et qui vient « à l’insu de mon plein gré ».
Ainsi donc voilà comment écrire devient l’acte de l’insolite et de l’inaccoutumé – écoulement intensif, porteur d’une dimension qui ne préexistait pas en moi. Voici l’exemple que j’ai à vous donner – il y a une dizaine d’années, après la lecture du livre de Pierre Bourdieu « La misère du monde », j’ai décidé, convaincu et encouragé par quelques-uns de m’aventurer dans ce que je supposais et suis toujours convaincu d’être la vocation d’un écrivain de théâtre, à savoir, partir à la conquête de personnages « de déroute et pourtant d’acharnement » et vont dans notre société et sont dans le paysage théâtral actuel sans représentations, sans visibilités.
J’ai donc écrit une saga composée de dix pièces regroupées sous le titre générique : « Je ne pourrais pas vivre si je croyais que je faisais du mal ». Depuis ce projet et davantage qu’avec mes précédents, je considère que le geste fondateur ou déclencheur dans l’acte de théâtre contemporain est celui de subtiliser même si l’habileté frise quelquefois et plutôt deux fois qu’une, une imprudente inconscience, à l’actualité certains de ses monstrueux personnages afin de mouvementer en l’élargissant le bestiaire du répertoire. L’écriture dans ce cas devient une espèce de manière d’être – conquérante attitude qui tourne (sans a priori de style – fais comme il te plaira) l’évènement en récit et le tient au-delà de son accomplissement, vivant dans la trace du récit. Si mon écriture prend pied, c’est que je m’incarne dans mon propre temps.

À quoi puis-je vérifier que c’est la bonne aventure ? Est-il possible que d’autres yeux m’aient poussé puisque c’est avec plus de jambes et plus de bras que je marche et joue – la folie monte. J’avoue, cette saga est loin de satisfaire à l’exhaustivité, c’est pourquoi l’année passée, je l’ai enrichie d’un onzième épisode – et comme encore cette onzième dimension suivant les précédentes me fait l’effet d’un nouvel échafaudage devant l’édifice qui se dérobe toujours, m’abandonnant dans les pas d’une métaphore avec l’imaginaire apparaissant soudain « trop privé », quand je suis comme je m’efforce d’expliquer à la poursuite de la réelle métamorphose sociale du monde en train de se faire. C’est sans doute qu’on ne feinte pas la « nature de l’homme » justement en dix, quinze ou trente fois si facilement – il en faut beaucoup plus. Comment conclure maintenant : Elle nous rattrape toujours ou Elle s’échappe toujours ? Enfin voilà qui me conduit tout directement à vous entretenir de mon prochain travail et vous le donner à apprécier – je l’appelle « Je deviens Jimi Hendrix » et aussitôt il me résonne comme une confabulation – il m’attendrit au moment de vous en parler - je me sens flexible de vous en livrer quelques lignes d’introduction espiègles, ce qui devrait éclairer sa posture rythmique, entre narration et je ne sais quoi encore – appelons-le scènes – je ne crois pas être à ce jour en possession de « l’effet-mêlé » recherché – figurant un extrait de départ que vous demandez et qui servira le cas échéant, soit à m’estourbir provisoirement, soit à me pousser en avant toute comme vous le souhaiterez. Le plus juste je crois est de vouloir entendre cet extrait comme un avertissement – un prologue.

Je deviens Jimi Hendrix !
Autoportrait(s).
(Pièce(s)-performance pour deux acteurs, une actrice ou deux actrices, un acteur
et un musicien en alternance)


Tout le monde sait, du moins ceux qui ont des cœurs et des oreilles qui était Jimi Hendrix. Un guitariste noir de génie et qui mourut étouffé dans son vomi, dans une piaule du Samarkand hôtel de Londres défoncé au Vesparax et qui n’était et n’avait jamais été héroïnomane et dont la musique avait pour objet le corps. Le désir du corps quand il décida probablement un jour où il se trouvait comme le gars qui voyage dans un avion qui explose …

...TAKING A TRIP ? 
GO LSD 
The Real Way To 
Go ! 
SEE YOUR 
TRAVEL AGENT



... et qui se dit : « Merde, voyons ce truc-là ! », et il est parti parce qu’il n’aurait jamais pu mourir de simple frustration.
En revanche vous ne connaissez pas ce type extraverti en montée d’adrénaline, accroc à la substance créative qui traite le souvenir d’Hendrix en chapardant à l’histoire certains épisodes de sa vie et qui comme un homme à son corps accouplé, s’éclate, dans une épreuve d
(…˜animal qui s’échappe du corps)
e mémoire, refusant toute transposition réaliste comme s’il se plongeait la tête dans un chaudron d’acide et qui se voit lui-même en figure habité par l’autre à qui il prête sa carcasse
pour des acrobaties libres de droits. La ressemblance avec les moyens de la non ressemblance.
Sans obligations figuratives. Tout le monde a des discussions sur la mort pas vrai ? Si on pense qu’on ne vivra pas vieux voilà ! La sensation de se consumer, à la merci d’un fusible en soi dont on ne connait pas la durée. « Je respire normalement mais je suis malade et je n’arrive pas à me réveiller ». Et il croit qu’on peut se faire une tête avec ça ? Une tête surgie de dessous son propre visage comme ça, Pfffttt ? Une figure prise à la dé-figuration de ça ? Pfffttt ?
Corps à corps d’énergie et cap sur le point final sans rater une virgule de la partition, il ne va pas faire long feu on se dit, mais il joue sa vie comme dans un film de Fellini, tout ouvertement en état de grâce. Il dit : « je deviens le busard-dindon, le Lucifer du théâtre, le joueur de flûte de Hameln, le porte parole des sympathies imprécises et des attouchements incontestables, parce que : Si tu te rappelles ce que tu as fait la nuit dernière c’est que tu ne t’es pas amusé, Aaah ! Oui !!! Ah ah ah ah ».
C’est ici que le pauvre B.Brecht se prend un coup de vieux ! (qui disait fichtre : « une histoire que l’on comprend est une histoire mal racontée »).
Il parle beaucoup de ses copains et copines, soudain il pointe du doigt une fille dans la salle, celle avec la culotte jaune. Oui toi. Je me rappelle de toi l’autre soir bébé. Puis il enchaîne, je vais vous ennuyer pendant quinze, vingt minutes, à faire un petit quelque chose vous savez. Il faut que vous m’excusiez ... enfin laissez-moi simplement parler ma parole d’accord ? C’est un petit truc à la Shakespeare. Il se marre. J’aperçois justement son arrière arrière arrière et arrière petite fille qui est là. Bonsoir Mademoiselle Shakespeare, il s’esclaffe, ah ah ah ! Et même si c’est pas elle, j’en profite pour la saluer. Puis il poursuit encore : « hey c’est le bon endroit au bon moment. J’ai une de ces ... son pénis comme un barreau. Ouaaou ! La belle sensation ». Il soupire, inspire, se marre plus fort, puis rajoute, tu sais je pourrais passer la nuit à vous remercier d’être là, alors merci, merci, il répète comme il s’approche de l’assistance, mais j’aimerais juste pouvoir t’attraper Monsieur il dit et juste ooh ... il fait un drôle de geste ... une de ces choses Monsieur, tu sais une de ces situations anatomiques. Mais écoute, il est au pied du mec maintenant. Je peux pas faire ça, je dois me garder dans le droit chemin, donc ... ce que je vais faire. Il marque une pause : « je vais sacrifier quelque chose ici-même ce soir. Quelque chose que j’aime beaucoup, que j’ai déjà « joué », mais qui me fout une sacré pétoche aussi et avant de commencer... », il remercie une nouvelle fois l’arrière arrière et petite fille de Shakespeare. Je suis hors la tête il dit encore. L’arrière et arrière de Shakespeare sait bien mais ... et pour finir avant de se lancer il prévient : « Ne vous fâchez pas, ne soyez pas fâché, NON ! Je veux que tout le monde m’approuve aussi d’accord ? NON ... ».
Et puis, je ne sais pas, je ne peux pas parler vraiment de ce qu’il va dire et faire après mais je suppose qu’à la fin quand tout est fini il dit : « Je vous remercie de votre patience et à une prochaine fois j’espère... à bientôt. »


Post-scriptum :
Définition narrative
S’il y a aberrance à imiter, il y a aberrance à ne pas vouloir ressembler à quelqu’un d’inimitable à condition toutefois de repousser préalablement toute idée d’identification et d’empathie. En effet, il ne s’agit ici que de développer un « devenir Jimi Hendrix » et poursuivre notre propre travail théâtral « d’individuation ».

28 février 2012
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