9 — Scène primitive
Avec la complicité des musiciens Yves Robert [1] et Fantazio [2], le philosophe Jean-Paul Curnier a transformé la médiathèque Marguerite Duras en agora, bateau pirate, arène, cercle de pow-wow. En scène primitive où il a été question des rapports entre prédation et démocratie. Sa résidence à l’Espace Khiasma nous invitait à philosopher de concert avec lui : elle est devenue, pour RELECTURES, un véritable « concert de philosophie » !
Ainsi, juste avant de se concrétiser sous la forme d’un livre, sa réflexion s’est offert, après bien des détours, un autre tour de scène. Le public qui l’accompagna tout au long de l’année se souviendra qu’il y fut question de chasse à l’arc, de destruction de bidonville, de piraterie et de corrida, de Pat Garrett et de Billy le Kid. Or, cette façon de concevoir l’exercice de la pensée est au cœur de son projet : non pas comme une démonstration, mais comme un récit d’aventures, un cheminement dans l’espace commun des discussions publiques.
Au carrefour de l’anthropologie, de la fiction et de la philosophie politique, Jean-Paul Curnier entreprit donc d’élucider la façon dont les démocraties pouvaient contenir, en germe, ce à quoi l’on considérerait spontanément qu’elles s’opposent. La pratique la plus barbare qui soit, la plus honnie moralement, la moins défendable socialement : la prédation. Relisant les philosophes et reconsidérant l’héritage grec et nord-américain à l’aune de cette intuition, de la conquête de l’Ouest à la République de Salé, il développa, au fil des rencontres, l’idée d’une « scène originelle » d’appropriation du territoire et des richesses, que les considérations morales sur le principe d’égalité tendraient à escamoter. Yves Robert et Fantazio ont rejoué cette scène sur scène avec lui, et l’hypothèse freudienne de la « horde primitive » s’est découvert de curieuses affinités avec La Horde sauvage de Sam Peckinpah…
[1] Tromboniste, membre de l’ARFI (Association à la Recherche d’un Folklore Imaginaire) et du GRIM (Groupe de recherche et d’improvisation musicales), Yves Robert est un musicien majeur d’un certain jazz français affranchi de la référence américaine et des formes traditionnelles, reconnu pour son irréprochable technique instrumentale et sa volonté affirmée de repousser les frontières de la création musicale.
[2] Chanteur, performeur et musicien capable d’utiliser les ressources les plus insoupçonnées de son instrument (la contrebasse), Fantazio s’est taillé une réputation à sa mesure lors de concerts d’anthologie dans les bars, les salles et les squats de Paris, de Berlin et d’ailleurs, où il expérimenta toutes formes de mélanges entre rock’n’roll, jazz, java et musiques improvisées.