Fabien Arca | Pas à pas pour « petits petits »
Samedi 4 février : Mise en place d’un système d’écriture.
14h- Je viens d’arriver à Gare au théâtre. J’y retrouve un groupe d’amateurs. Enfants et adultes. Tous résidents de Vitry. Toute l’année, ils participent aux ateliers de théâtre qui se déroulent à Gare au théâtre.
C’est avec la complicité de :
– Maryline et Julien (les deux profs/metteurs en scène),
– Mustapha (le directeur artistique)
– et Anne (la chargée des relations publiques),
que nous avons convenu et imaginé ce projet. Faire écrire ceux qui le souhaitent, et dans la foulée leur faire jouer ce qu’ils auront écrit. Inspiré du principe des « petits petits », un concept imaginé par Mustapha, je dois donc les accompagner dans l’écriture d’une forme dialoguée de 7 minutes grand maximum. J’ai 4 jours. A l’issue des ces 4 jours, ils répéteront les différentes saynètes, qu’ils joueront vendredi…
14h05- La particularité du groupe que je rencontre est son hétérogénéité. Des jeunes & des adultes. Cela sera une première pour moi, en règle générale j’anime des ateliers pour des groupes du même âge… Je ne m’inquiète pas pour autant.
14h30- Ne pas perdre de temps. Après une rapide présentation, je leur explique comment je procède.
1) Produire de la matière textuelle
2) Structurer cette matière textuelle/ Faire de la dramaturgie.
3) Finaliser et peaufiner la forme…
14h45- On commence. Avec l’aide d’une carte de Vitry, je leur demande d’où ils viennent. Où ils habitent. Quels sont les endroits sympas à Vitry. Les endroits qui craignent, etc. Je les fais parler. Indirectement, on brasse des idées. On se spatialise…
15h- Faut se lancer. Pour cela, j’utilise l’exercice de « l’inventaire ». Exercice trouvé dans le recueil Tous les mots sont adultes de F. BON. Je crois d’ailleurs que BON s’est inspiré de PEREC (Espèces d’espaces)…
De quoi s’agit-il ? Plutôt que de lancer les participants dans l’élaboration d’un texte (ce qui peut être anxiogène), je leur demande de créer une liste, un inventaire.
J’utilise souvent cet exercice. Un peu comme un passe-partout. Assez simple à mettre en place. Il agit comme un révélateur. Permet aussi de construire toute une séquence qui débouche sur l’écriture d’un texte…
15h10- Premier exercice : faites l’inventaire (sans détailler) de tout ce que vous avez croisé sur votre chemin depuis votre départ, jusqu’à maintenant.
Qu’avez-vous vu ? Qu’est-ce qui a retenu votre attention ? Dresser une liste. Sans réfléchir. Simplement, de mémoire, en suivant votre trajet.
Je les laisse travailler.
7 minutes (montre en main).
Une fois le temps écoulé, je demande à tous les participants de lire leur texte.
15h40- Deuxième étape de l’exercice : reprendre sa liste, mais cette fois-ci essayer d’approfondir, de creuser chacune des images posées (chaque mot de la liste) pour qu’elle devienne singulière. A cette seconde phase, des choses se précisent. Ou pas. Il faut savoir les saisir. Ou pas.
7 minutes. Encore.
Lecture. Encore.
16h10- Troisième étape, mais elle est déjà induite par la précédente, raconter un événement qui s’est produit dans le cadre de ce trajet.
7 minutes.
Lecture.
16h40- Petite pause.
16h50- Quatrième étape : par rapport à l’événement choisi, je demande maintenant de changer de point de vue, et d’écrire le monologue d’un personnage, qui était présent durant l’événement et qui va nous raconter quelque chose, son point de vue (je ne précise pas si c’est en rapport avec l’événement premier).
10 minutes.
Lecture.
17h25- J’explique maintenant, très brièvement, ce qu’est une situation dramatique. Un personnage a un enjeu (un désir). Il est confronté à un autre personnage qui a, lui aussi, un désir qui s’oppose au sien => conflit => tension dramatique.
17h30- Je propose aux participants de créer une situation dramatique (avec enjeu, conflit et tension dramatique) entre son personnage (celui du monologue) et un autre, choisi parmi ceux qu’on vient d’entendre.
10 minutes.
Lecture.
Fin de la séance de travail. En 4 heures, ils ont tous produit 5 textes :
1- Un inventaire.
2- Un inventaire "augmenté".
3- Une anecdote/ petite histoire/ récit personnel.
4- Le monologue d’un personnage.
5- Une scène dialoguée avec un autre personnage.
Lundi 6 février : Reproduire le système.
Je retrouve le groupe à 18h cette fois-ci.
Nous n’avons que 3 heures. Mais je sais que le processus de travail a été enclenché. Nous allons reproduire le système éprouvé samedi, mais cette fois, en travaillant à partir de l’évocation de 5 ou 6 lieux de la ville qui ont un caractère magique et/ou mystérieux.
Ils doivent rapidement à l’aide d’images simples, décrire le lieu en laissant venir les images à eux. Sans chercher à structurer quoi que ce soit. Décrire les choses comme elles arrivent. Simplement. Sans faire des phrases complexes.
Dans un second temps, ils doivent creuser l’image, la préciser.
Puis ensuite, évoquer une anecdote, un souvenir qui les implique dans ce lieu.
Puis changer de point de vue. Imaginer un personnage (personne, objet, animal…) qui pourrait prendre la parole et le laisser s’exprimer. Création d’un monologue. Puis mutualisation des personnages pour créer une scène. A ce stade, et pour être plus précis sur ce que j’attends dans le cadre de l’écriture d’une scène je leur amène une scène de Bernard Marie Koltès tirée de Roberto Zucco. A nouveau je redéfinis, exemple à l’appui, ce qu’est un enjeu, un conflit… Avec cette scène, « le meurtre de la mère » c’est assez évident.
A la fin des trois heures, ils ont encore produit plusieurs textes.
Mardi 7 février : Prendre de la hauteur.
J’ai demandé à ce qu’ils impriment leurs textes.
Ils doivent les disposer au sol de manière à voir les textes de haut. C’est important, car dans cette étape, il va s’agir de prendre de la hauteur par rapport au travail.
Donc nous disposons les textes au sol sur une ligne verticale.
La salle dans laquelle nous travaillons est suffisamment grande pour qu’on puisse mettre au sol tous les textes des participants.
Une fois que cela est fait, je leur demande de relire leurs textes et d’essayer de trouver des liens, des éléments communs, de manière à pouvoir opérer des fusions.
Prendre de la hauteur. Prendre du recul. C’est peut-être le plus difficile.
Je les accompagne dans cette démarche.
Je leur fais éventuellement des propositions.
Je soumets des idées.
Des « et si »…
Peu à peu et pour tout le monde, la magie opère. Parce qu’inconsciemment, certaines choses reviennent. Des systèmes. Des thématiques. Une manière de dire les choses...
C’est ainsi qu’une fois le lien trouvé, je les invite à travailler sur la composition d’un nouveau texte, en utilisant la matière existante et en produisant au besoin une nouvelle matière.
Au bout des 3 heures, ils ont tous finalisé une première version d’un texte.
Mercredi 8 février : Corrections et approfondissement.
J’ai proposé qu’on se retrouve vers 16h30 pour relecture des textes. Encore quelques modifications et quelques pistes de travail. Les auteurs travaillent à la finalisation de leur texte jusqu’à 18h30, heure à laquelle les autres participants (comédiens, et metteurs en scène) arrivent.
Ils vont ensuite pouvoir passer au plateau. Ma participation s’arrête pour le moment, mais je leur dis que le travail ne va pas s’arrêter pour autant ; le plateau doit leur permettre d’approfondir encore leurs textes sous le regard bienveillant des metteurs en scène.
Vendredi 10 février : Mise en jeu devant public.
Il est 20h30. Je viens d’arriver au théâtre. Je retrouve les jeunes et les adultes qui ont participé au travail. Trac. Stress d’avant première. C’est normal, ils vont jouer dans quelques minutes. Les proches arrivent aussi. La représentation va commencer. Mais déjà à ce stade, je sais que l’expérience est réussie…
Pour info : Le spectacle sera repris 2 fois. En avril, puis en juillet.
Tous les textes écrits seront publiés sur le site que je prépare.