Identités, projet
Identités
Somos lo que hacemos, pero sobre todo
lo que hacemos para no ser lo que somos.
(Nous sommes ce que nous faisons mais, surtout,
ce que nous faisons pour ne pas être ce que nous sommes).
Eduardo Galeano
Au moment où nous travaillions sur le projet Alter Égaux (lien avec le projet Alter Égaux), se tenait le « grand débat sur l’Identité Nationale » (novembre 2009). Un matin, avant de rentrer dans le salon où nous allions travailler, j’ai demandé à un groupe d’élèves, participant au projet, ce qu’ils pensaient sur le sujet. La réponse, unanime, fut tranchante : l’identité ce sont les papiers. Oui, les papiers d’identité. Je me suis demandé : où en sommes-nous arrivés lorsque nous pensons que l’identité est quelque chose que l’on nous donne, que l’on nous attribue et que l’on peut nous enlever. Qu’est ce qui se passe quand l’identité devient un objet que nous portons dans la poche, que nous montrons plus pour dire ce que nous ne sommes pas, que ce que nous sommes ; un document qui signale que nous ne sommes pas des délinquants, ni des étrangers en situation irrégulière, ni des criminels répertoriés dans les dossiers de la police ; un papier sensé prouver que nous avons le droit, la permission d’être là. Sous ce regard, l’identité devient aussi quelque chose que nous pouvons fausser, usurper, égarer, qui peut nous être volé, retiré…
Au-delà de l’identité, comme ce qui fait de chacun un être identique à lui-même, des philosophes, des penseurs, français entre autres, ont proposé d’autres idées comme : l’identité en tant que processus, quelque chose qui n’est jamais figé mais constamment en mouvement. L’identité comme une construction de soi dans le rapport aux autres. Le sujet scindé. Les identités complexes, métisses, multiples… L’identité, dit Michel Serres, ce sont les fleuves que nous avons traversés.
Il m’a semblé que, dans la situation décrite (la réponse unanime à la question de l’identité en tant que papiers d’identité), il y avait une porte qui s’était fermée et à laquelle on pourrait sonner.
Enrique Buenaventura, mon père, était dramaturge et metteur en scène ; étant enfant, je l’attendais en jouant dans la rue jusqu’à la fin des répétitions de la troupe de théâtre qu’il dirigeait, c’était à Cali, en Colombie. Il passait me prendre et on allait manger un bout, avant de rentrer à la maison, dans le seul restaurant ouvert à cette heure-là : La viña del mar. Le serveur connaissait bien Enrique. Un jour, il s’est approché pour lui demander : Maestro, s’il vous plaît, est ce que vous pourriez m’aider ? Je voudrais écrire une lettre pour ma fiancée, elle habite Ibagué. Enrique a souri : Bien sûr. Il a pris son stylo-bille, une feuille et il lui a demandé : qu’est-ce que vous voudriez lui dire ? L’air désolé le serveur lui a dit : Je n’ai pas la moindre idée. Si je le savais je n’aurais pas besoin de vous pour écrire la lettre. Enrique a compris. Ils ont parlé un moment, il était peut-être question de l’absence de l’aimée, du poids de la distance, je ne me rappelle pas… Ce dont je me rappelle c’est d’avoir vu Enrique écrire la lettre, d’un trait. En la lisant, l’homme était content, ému presque et il a dit : Voilà, c’était justement ce que je voulais lui dire. Enrique disait : c’est ça la littérature, être la voix de l’autre.
Trouver les mots pour parler d’une identité autre que la sienne me semble le défi à assumer dans cette quête.
Dans le projet Alter Égaux dont j’ai parlé, il y avait deux éléments qui m’ont semblé cruciaux : d’un côté des intervenants extérieurs, des femmes et des hommes qui venaient témoigner de leur itinéraire, qui venaient nous raconter, en quelque sorte, les fleuves qu’ils avaient traversés. Le deuxième élément était la publication d’un livre à la fin du projet. J’ai imaginé que dans ce nouveau projet, sur les identités, nous pourrions nous réapproprier ces deux éléments.
Dans la première réunion que nous avons eue avec les professeurs du lycée Champlain j’ai proposé cette question des identités, une des professeurs a exprimé son souhait de travailler sur les métiers, question brûlante de nos jours qui hante une bonne partie des jeunes lycéens. Et c’est ainsi que les identités, la rencontre de l’autre et les métiers, sont devenus les trois axes qui définiront les territoires que nous nous apprêtons à explorer dans cette démarche.
Nicolás Buenaventura